En ces jours de la Toussaint et de la commémoration des défunts, que nous allions ou non sur les tombes de nos ancêtres ou de nos proches, nous penserons à la mort. Et cette pensée, paradoxalement, est vitale. Quelques mois avant sa mort en déportation, la philosophe Etty Hillesum écrivait dans son journal qu’« en excluant la mort de sa vie, on se prive d’une vie complète et en l’y accueillant on élargit et on enrichit sa vie ».
La conscience de la mort enrichirait notre vie ? Christian de Cacqueray le croit car il le vit. Pour lui, le plus grand mal dont souffrent nos contemporains est de ne plus parvenir à intégrer la mort comme faisant partie du destin de tout vivant. Dans son dernier livre, Vivre en mortel (Salvator, 2021), le directeur du Service catholique des funérailles confie qu’après trente ans d’engagement dans les pompes funèbres, le plus beau cadeau qu’il ait reçu, « c’est un appel à choisir la vie, l’urgence de vivre ». Au fil de ses centaines de rencontres avec les familles endeuillées, et de ses propres expériences et réflexions personnelles, il a acquis cette sagesse : « Si je me détourne de la conscience que tout ici est éphémère, je sombre dans une vie subie, sans relief et insatisfaite. Au contraire, si j’entre dans la dynamique vivifiante de la finitude terrestre, l’urgence des choix existentiels me met en marche ».
La conscience de la mort, un secret pour vivre
La conscience de notre finitude serait donc un secret pour vivre ? Pour discerner autrement nos choix, choisir le bien et ce qui compte vraiment. Mais sans rien perdre. Car penser la mort ne cède en rien à notre désir de vivre. Bien au contraire. Penser la finitude du vivant nourrit notre responsabilité vis-à-vis de notre vie et de notre agir, mais aussi vis-à-vis de la vie en général et de toute la création. Christian de Cacqueray fait un parallèle entre l’éviction de la pensée de la mort et la perte du respect de la nature. Il relève une concomitance, dans l’histoire contemporaine, entre le bouleversement du rapport à la mort et le bouleversement du rapport à la nature. Ce qui nous pose cette question : dans les deux cas, une même vision matérialiste de maîtrise n’aboutit-elle pas à la consommation, de la vie dans un cas, de la Terre dans l’autre, pour un bénéfice immédiat, dans le mépris du sens de la destinée ?
Puisque la conscience de la mort fait naître l’urgence de vivre, il serait donc urgent d’apprendre à vivre en mortel. « C’est devant la mort que l’on prend conscience que la vie est quelque chose de prodigieux, d’unique, de créateur ", disait il y a déjà longtemps le théologien Maurice Zundel, un prophète pour notre temps.
Vivre en mortel, par Christian de Cacqueray, Salvator, 2021.