Au moment où l’on commémore le quarantième anniversaire de la promulgation de loi abolissant la peine de mort le 9 octobre 1981, ce n’est pas sans inquiétude que l’on constate que certains sondages récents indiquent qu’une majorité de Français serait favorable au rétablissement de la peine capitale. Il n’apparaît pas inutile de revenir brièvement sur les raisons profondes qui expliquent la disparition de la peine capitale dans l’arsenal répressif du droit français. La peine de mort, du reste comme les autres sanctions pénales, ne trouve pas sa signification en elle-même, mais doit être comprise au regard non seulement du système pénal dans lequel elle prend place, mais aussi et surtout des finalités que notre société assigne aux peines. Dans cette perspective, l’opinion publique doit avoir conscience que l’évolution de la réflexion relative aux finalités des sanctions pénales depuis le XIXe siècle prive de tout sens l’idée de rétablir la peine capitale dans notre droit.
Robert Badinter, ministre de la Justice et garde des Sceaux en 1981, a dans son combat abolitionniste synthétisé ce qui dans la peine de mort était contraire à l’humanité et rappelé l’importance de la tradition abolitionniste en France, de Victor Hugo (†1885) à Albert Camus (†1960), en passant par Jean Jaurès (†1914). Dans le discours qu’il prononce devant la représentation nationale en 1981 au moment où il présente le projet de loi d’abolition, Robert Badinter met en avant plusieurs arguments dont la dimension est plus philosophique et morale que juridique. Tout d’abord, Robert Badinter conteste le caractère dissuasif de la peine capitale, en ce que les pulsions criminelles ne semblent en effet jamais intimidées par la mort. Il rappelle aussi que la pratique pénale montre qu’il n’y a pas plus aujourd’hui qu’hier un lien entre l’application de la peine capitale et la baisse de la criminalité sanglante.
Pour Robert Badinter, la peine de mort se pose avant tout en termes de choix moral et de choix de civilisation.
L’histoire du droit pénal en donne des illustrations : la peine de mort encourue par les "bandits de grands chemins" sous l’Ancien Régime poussait paradoxalement les voleurs à tuer les témoins afin de ne pas être dénoncés. Dépourvue donc d’utilité sur le plan de la prévention, la peine capitale apparaît comme une justice d’élimination dont les erreurs sont irréversibles. Robert Badinter souligne enfin que l’efficacité de la peine de mort supposerait que nous soyons dans une société dans laquelle la culpabilité des auteurs d’infractions serait totale et certaine et à qui s’appliquerait une justice infaillible. Pour Robert Badinter, la peine de mort se pose avant tout en termes de choix moral et de choix de civilisation.
Par-delà les arguments philosophiques, le rétablissement de la peine capitale en France se heurterait à d’importantes difficultés qui sont tout à la fois juridiques et politiques. La France a en effet ratifié à la fois le Protocole n° 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (CEDH) relatif à l’abolition de la peine de mort, mais aussi le 2e protocole, visant à abolir la peine de mort (1989), se rapportant au pacte international relatif aux droit civils et politiques (1966). Cette évolution a conduit à la révision constitutionnelle du 23 février 2007 inscrivant l’abolition dans notre constitution (art. 66-1). La dénonciation de ces textes, en plus de susciter d’importantes difficultés juridiques, constituerait une quasi-impossibilité politique.
Mais à l’ensemble de ces remarques, il faut ajouter un argument qui est rarement évoqué et qui explique pourtant pour l’essentiel pourquoi la peine de mort ne peut plus être en débat dans notre système juridique : la peine capitale n’est aujourd’hui plus en adéquation avec notre conception de la peine.
Sous l’Ancien Régime, la peine de mort se justifiait pour des raisons juridiques et politiques : sur le plan juridique, la peine capitale, exécutée en public sous la forme d’un spectacle judiciaire, correspond au but d’exemplarité et d’intimidation qui est assigné à la peine (J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, Puf, 2e éd. 2006). Le meilleur exemple de cette vision de la peine est le « pilori » qui consiste à entraver le condamner sur une place publique à la vue de tous. Sur le plan politique, s’appliquant le plus souvent à des individus en marge, la peine capitale se justifie par le pouvoir du roi de donner sa grâce ("lettres de rémission") et de contrôler ainsi à la fois les juges royaux inférieurs et les juges seigneuriaux (Cl. Gauvard, Condamner à mort au Moyen Âge, Paris, Puf, 2018). La peine de mort et la grâce illustrent le fait que, sous l’Ancien Régime, la justice et la miséricorde sont les deux faces d’une même médaille (J.-M. Carbasse). C’est d’ailleurs le sens de l’adage des juristes de l’Ancien droit : "Tout homme qui tue est digne de mort, sauf s’il n’a lettre de prince", ce qui signifie que l’homicide rend passible son auteur de la mort, mais celui-ci peut du roi obtenir sa grâce.
L’on a toutefois assisté à une évolution fondamentale à partir de l’époque contemporaine (XIXe-XXe) : au milieu des évolutions importantes des réflexions sur le droit pénal et sur le sens de la sanction, émerge un important courant dans la pensée des juristes, la "défense sociale nouvelle". Ce courant doctrinal fait considérablement évoluer notre conception de la peine : la sanction n’a plus pour finalité première de terrifier et d’intimider par l’exemple, mais s’efforce de rechercher la personnalisation et l’individualisation pour permettre la réinsertion. C’est dans ce contexte qu’a lieu une étape décisive dans l’histoire de la peine capitale : à partir de 1939, la peine de mort n’est plus exécutée en public. La peine, qui ne se présente plus sous la forme d’un "spectacle judiciaire" est alors privée de ce qui fait sa raison d’être. À partir de la Libération, les condamnations capitales prononcées par les cours d’assises sont de moins en moins nombreuses. C’était en réalité la preuve de la déconnexion progressive de cette sanction avec notre vision de la peine. La peine de mort, jusqu’à son abolition en 1981 n’était en réalité qu’en sursis.
Aujourd’hui, en dépit du caractère clivant que conserve cette question dans l’opinion et des effets d’annonce de certains candidats dans le cadre des élections présidentielles, il n’y a plus de sens à se demander si on est "pour ou contre la peine de mort" : elle ne peut être rétablie, car son application n’aurait pas de cohérence au regard des principes qui régissent la peine dans notre droit.