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Été 2017, tout jeunes mariés, Cécile et Charles-Antoine Schwerer, 32 ans, partent durant treize mois à la rencontre des peuples de Haute-Asie. Une aventure physique, humaine, intellectuelle et spirituelle au terme de laquelle ils ont publié, après deux ans d’écriture, Entre les plis du monde (Alisio), récit de voyage qui a obtenu le Prix du témoignage d’aventure organisé par la Société des Explorateurs Français. Tous deux diplômés d’HEC et de Sciences Po, parents d’un enfant, bientôt deux, Charles-Antoine est économiste et Cécile chef de projet au sein d’une association de défense et de représentation des personnes en situation de handicap.
Animés par une sensation d’urgence à enquêter sur « un monde dont on entend partout qu’il disparaît », Cécile et Charles-Antoine ont bravé le froid et l’hostilité des sommets himalayens, dans un dénuement recherché, pour rencontrer ces peuples tiraillés entre l’attrait de la modernité et le désir de conserver leur identité propre. Ils ont côtoyé des chamanes, des moines tibétains, des missionnaires chrétiens... et sont devenus les témoins privilégiés d’un syncrétisme religieux parfaitement assumé. « Pour comprendre ces mondes, il fallait disséquer comment leurs religions changeaient, se métissaient, se mondialisaient au contact de fois venues d’ailleurs », confient-ils. « Nos pieds ont ainsi touché à l’immense diversité de l’Eglise ».
Aleteia : D’où est venu ce désir de tout quitter pendant un an pour aller à la rencontre des peuples de Haute-Asie ?
Charles-Antoine Schwerer : Il y avait d’abord une attirance d’ordre intellectuel, celle d’explorer certains endroits dont nous avions l’impression qu’ils étaient sur le point de changer profondément. Nous ressentions une sorte d’urgence à connaître certaines cultures dont on pensait qu’elles étaient sur le point de disparaître. En tant qu’économiste, ce voyage revêtait une dimension de recherche : en allant voir des endroits où le marché, la modernité commencent juste à se mettre en place, il est passionnant de pouvoir discerner les rouages de l’économie.
Cécile Schwerer : Parallèlement, il y avait aussi une motivation spirituelle à passer une année dans la pauvreté, à faire l’expérience de l’indigence. Enfin, nous souhaitions comprendre comment notre religion, le catholicisme, affectait ou non les cultures. Comment les missionnaires occidentaux avaient supprimé, heurté, intégré ou sauvé des traditions, des mythes, des rites.
Que retirez-vous de cette année passée dans la pauvreté ?
Cécile Schwerer : Nous en avons retiré une évidente sensation de liberté. Plus rien n’est important, mis à part l’autre. En vivant un détachement complet du matériel, nous avons appris à nous attacher à l’essentiel. Et puis rencontrer les gens n’aurait pas été possible sans cette pauvreté. Arriver pauvres chez des gens que l’on aurait considérés comme pauvres habituellement, cela change complètement le regard. En arrivant à pied avec trois cacahuètes, vous regardez de nobles éleveurs vous inviter à festoyer. Il est plus facile d’entrer en communication quand ce sont eux qui doivent s’abaisser à votre niveau. Là, c’est vous qui êtes dépendant, de l’hospitalité, d’un toit qu’on vous offre, de la nourriture qu’on vous propose, du feu près duquel on peut s'asseoir.
Quel rapport entretiennent-ils avec la modernité, l’arrivée du marché et du capitalisme occidental ?
Charles-Antoine Schwerer : Il est intéressant de voir l’ambivalence du sujet pour eux. Il y a une tension permanente entre deux tendances : une attirance évidente pour les progrès matériels, pour la vie plus facile, pour avoir des routes, l’électricité, accès à des modes de consommation modernes, une médecine plus efficace, etc… et en même temps, une certaine élite, les chefs de village, les religieux, ont conscience qu’accepter ces progrès matériels remet en question leurs spécificités culturelles et spirituelles.
« D’un côté, les gens gagneront en confort. De l’autre, nous perdrons notre spiritualité, pris dans le tourbillon du monde », nous confiait un moine du monastère de Lingshed (Zanskar). A Dimaluo, aux confins du Tibet, la fermeture de l’école envoie les enfants au pensionnat. Là-bas, ils découvrent le téléphone et Internet, et en deux semaines, plus rien ne les intéresse. « Ils n’écoutent plus nos histoires à la veillée », nous ont raconté les anciens. Ce qui interroge, ce n’est pas le changement, le changement est normal, c’est la marche du monde, mais c’est plutôt cette tendance à l’uniformisation du monde.
Quelle place a la religion, les croyances chez ces peuples ? Vous évoquez un syncrétisme assumé, de quel genre ?
Charles-Antoine Schwerer : Dans beaucoup d’endroits, la croyance animiste est intégrée plus ou moins fortement à la croyance actuelle. Malgré la présence de missionnaires chrétiens, un renoncement total à leurs croyances d’avant est impossible. En Birmanie par exemple, les chamanes portent des croix autour du cou. Ils invoquent l’esprit de leurs ancêtres pour de petites affaires mais l’Esprit Saint pour les gros soucis. Quand on leur demande : Mais es-tu chrétien ou animiste ? Ils répondent les deux ! Pour eux, les conceptions chrétiennes peuvent très bien se marier avec les conceptions animistes : comme il y a une place pour les esprits dans la religion chrétienne, il n’y a pas de problème pour conserver les anciennes pratiques. Il est intéressant de noter que nous, les Occidentaux, sommes plus sur une posture de vérité, tandis qu’ils sont dans une logique d’efficacité. Peu importe ce qui est vrai ou faux dans leur croyance, l’important, c’est que ça marche !
Comment les missionnaires là-bas peuvent-ils convertir des peuples aux croyances et aux cultures aussi éloignées que les nôtres ?
Charles-Antoine Schwerer : C’est la délicate question des conversions. Il existe une forme de naïveté à croire qu’il n’y a que des conversions du cœur. Dans beaucoup de cas, il y a des raisons sociales et économiques. En Inde, la plupart des chrétiens sont des intouchables. Donc se convertir au christianisme permet de sortir du système de castes. En Chine, certains missionnaires rachètent les dettes de ceux qui se convertissent. Il est difficile de déterminer ce qui est de l’ordre de la croyance et de l’ordre de l’intérêt.
Cécile Schwerer : Et il existe une grande diversité de pratiques chez les missionnaires. Chaque église, qu’elle soit catholique, protestante, baptiste, évangéliste, adventiste, a sa propre stratégie. Depuis la France, on a du mal à se figurer cette espèce de guerre mondiale des religions. Il y a une vraie concurrence entre les différentes églises présentes sur place. Les missionnaires baptistes ont une politique d’éradication des cultures et considèrent que la conversion doit être totale et absolue, ce qui n’est pas du tout la politique des MEP (Missions Etrangères de Paris). Les protestants mettent l’accent sur l’apparence, ils construisent de belles et grandes églises… Les façons de convertir ne sont pas du tout les mêmes. Au fin fond de la Mongolie, une ville peut abriter cinq ou six églises, financées par des Coréens, des Américains, des Australiens, où chacun cherche à convertir.
Si vous deviez tirer de ce voyage un enseignement, quel serait-il ?
Charles-Antoine Schwerer : En tant qu’économiste, je retiens cette intuition, recueillie et analysée au cours de ce voyage, que l’on ne peut avoir un système économique efficace que s’il repose sur du don contre-don et sur des croyances.
Cécile Schwerer : D’un point de vue plus spirituel, j’ai pour ma part l’impression d’avoir vécu en condensé une série d’étapes spirituelles que l’on pourrait vivre au cours d’une vie. En découvrant toutes ces cultures, j’ai été d’abord désarçonnée et tentée par le relativisme. Je me disais : finalement, toutes ces croyances ne se valent-elles pas ? Et puis pendant notre séjour chez un missionnaire au nord de l’Inde, j’ai basculé dans la fascination pour le « gourou » : c’est Dieu avant tout, la fin justifie les moyens ! Au terme d’un cheminement physique et spirituel, je pense que j’ai trouvé une forme d’équilibre entre ces deux attitudes opposées.
Avez-vous d’autres projets de voyage ?
Cécile Schwerer : Oui ! On aimerait bien s’installer un an, dans un de ces villages, peut-être en Birmanie, pour y passer un temps plus long et plus profond.
Cécile et Charles-Antoine Schwerer donneront une conférence aux Missions Etrangères de Paris, co-animée par un prêtre MEP et le Président France d'Aide à l'Eglise en Détresse, ce jeudi 7 octobre, à 20h, au 128 Rue du Bac, Paris 7. Je m’inscris.