À quelques jours de la publication du rapport de la commission indépendante chargée de faire la lumière sur les abus sexuels commis par des prêtres et religieux depuis 1950 en France, l’Église se prépare à affronter une véritable déflagration. Selon différentes sources, il est question de 3.000 pédocriminels et au moins 10.000 victimes
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Un séisme, une onde de choc, un cataclysme… Les mots ne semblent pas assez forts pour définir ce que l’Église en France s’apprête à traverser dans les prochains jours. Mardi 5 octobre, la Commission indépendante chargée de faire la lumière sur les abus sexuels commis dans l’Église (Ciase) depuis 1950 jusqu’à nos jours doit rendre son rapport. Combien de victimes ? Combien de prêtres agresseurs ? Comment l’Église s’est-elle comportée ? Que reste-t-il à faire ? Personne ne l'a lu ce document de 2.500 pages mais chacun s'y prépare tant le sujet est douloureux et les chiffres avancés effarants.
Présidée par Jean-Marc Sauvé et composée d’une vingtaine de membres, la commission a travaillé pendant près de trois ans à la réalisation de ce document composé d’un rapport général (état des lieux du phénomène, analyse des actions menées par l’Église face aux abus sexuels, recommandations) et accompagné d’annexes dont un important recueil de témoignages de victimes. Et "l’état quantitatif du phénomène", s’annonce glaçant. Lors d’un point d’étape en mars, Jean-Marc Sauvé avait estimé à "au moins 10.000" le nombre de victimes d'agressions sexuelles commises par des clercs sur des mineurs ou des personnes majeures vulnérables (en situation d'emprise spirituelle ou victimes d'abus d'autorité...) depuis 1950. Un chiffre "nécessairement revu à la hausse" dans les conclusions du rapport, assurent plusieurs connaisseurs de l’épineux dossiers. Il y a eu "entre 2.900 et 3.200 pédocriminels", a assuré Jean-Marc Sauvé ce dimanche 3 octobre à l'AFP. "Une estimation minimale" à rapporter à une population générale de 115.000 prêtres ou religieux au total.
Interrogé par Aleteia en 2019, Jean-Marc Sauvé confiait déjà : "La perception de la réalité que nous découvrons est de fait profondément différente des anticipations que l’on pouvait faire à ce sujet". Des abus terribles qui se doublent, dans le cadre ecclésial, d’un abus spirituel. "Ce qui est aussi terrible, c’est de prendre conscience de ce que les abus sexuels commis dans l’Église sont d’une nature très différente de ceux qui peuvent se produire dans un autre contexte : du type école, mouvement de jeunesse ou monitorat sportif… Dans le cadre de l’Église, ou d’un culte en général, les abus sexuels s’enracinent dans une relation d’autorité et de confiance fondée sur la foi", détaillait-il. "Ils sont inséparables d’un accompagnement spirituel et donc d’un cheminement vers Dieu, qui se trouvent dévoyés et pervertis. L’abus sexuel se double, dans l’Église, d’un abus spirituel. C’est de l’abus au carré qui touche doublement à l’intimité de la personne humaine, corps et esprit". Des propos qui laissent présager d’un rapport sans concession et impartial.
Tant que nous ne regardons pas la réalité, nos mesures ne seront pas à la hauteur
"Nous devons être confrontés à ce fardeau, aussi noir, tragique soit-il, tel qu’il est, si nous voulons ensuite vraiment prendre les mesures qui s’imposent. Que chacun éprouve un véritable tremblement intérieur. Tant que nous ne regardons pas la réalité, nos mesures ne seront pas à la hauteur", a réagi sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), qui a commandé ce rapport avec la Conférence des évêques de France (CEF)."Nous sommes en dette avec les victimes. Cette dette, nous ne pourrons pas la solder, elle est insolvable. Mais ce n’est pas parce qu’elle est insolvable qu’il ne faut pas réparer ce qui peut l’être. Parce qu’aussi, c’est essayer, bien modestement, de permettre d’ouvrir l’avenir".
"Pour nous, prêtres, évêques, la première réaction ne doit pas être de nous braquer ou de contester. Il y a un fait, il faut l’accueillir", a averti pour sa part Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF en marge de la visite ad limina des évêques français à Rome. "Ce mal est là, il faut l’affronter, le traiter, essayer d’en sortir, le regarder en face." Il a raconté avoir profité de l’audience privée avec le pape pour lui remettre une note spéciale sur ce rapport qui risque de provoquer une déflagration dans l’Église en France. Le pape réagira-t-il publiquement au rapport ? "On espère un mot à toutes les personnes victimes qui se sont malheureusement accumulées depuis des décennies", a expliqué l’archevêque de Reims. Sans pouvoir dire si le pape François se prononcera après la publication, il a simplement souligné que le lendemain se tiendrait, comme chaque mercredi, une audience générale. Une réaction du pontife pourrait être attendue en marge de sa catéchèse.
Prêtres, religieux, laïcs engagés et plus largement l’ensemble des fidèles devront faire face dans les prochaines semaines à l'horreur que doit révéler ce rapport dans les "Je suis heureux que nous arrivions au terme de cette mission que nous avons confié à Jean-Marc Sauvé et à son équipe car c’est une étape importante", confie à Aleteia Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. "Nous devons l’accueillir avec l’esprit et le cœur ouvert à ce que ce rapport nous dira." Surtout, reprend-t-il "cela remet devant nos yeux le drame des victimes. Ces personnes qui ont été abusées, maltraités, abîmées pour un certain nombre jusqu’à la fin de leurs jours."
"Je souhaite que le rapport soit l’occasion d’une réception avec énormément de respect, de dignité et de compassion envers les victimes", abonde le père Thierry Dobbelstein sj, assistant du provincial d’Europe occidentale francophone et chargé de l’accueil et de l’écoute des victimes d’abus sexuels. "Nous devons mesurer le poids de la souffrance des victimes.J’espère que les chrétiens pourront se réunir pour accuser le coup et échanger ensemble", reprend-t-il.
Responsable de la pastorale des jeunes et de la pastorale des vocations, le père Vincent Breynaert a lui adressé une lettre aux équipes pastorales ayant une responsabilité auprès des jeunes et des animateurs afin de les inviter "à accueillir ce rapport et à d’abord penser à l’épreuve des enfants. [...] C’est avec le Christ, vainqueur du mal et de péché et source de notre espérance que nous traversons cette épreuve, souligne-t-il. C’est aussi ensemble, en portant les fardeaux des uns et des autres, et en nous mobilisant sans traîner, que nous souhaitons regarder ce drame". "Il nous faut ensemble "absorber" le choc", résume le père Vincent Breynaert. "Notre première tâche ne sera pas d’argumenter, ou de tenter d’expliquer, de comprendre. Il est tentant de savoir quoi dire, quoi répondre. On est devant le mystère du mal. Les évêques nous invitent d’abord à accueillir humblement en communion avec toutes les souffrances vécues par les personnes victimes".
Face à une telle révélation l'archevêque de Rennes, Mgr Pierre d'Ornellas va proposer aux fidèles de son diocèse de vivre une journée de jeûne et de prière au cours d’un vendredi ou d’un samedi de ce mois d’octobre. Plusieurs évêques ont d’ores et déjà écrit à leurs prêtres afin de leur rappeler cette date du 5 octobre et les inviter à en parler lors de la messe de ce dimanche. "Nous l’avons déjà évoqué la semaine dernière mais nous allons le rappeler ce dimanche, que ce soit dans l’homélie, la prière universelle ou à la fin de la messe", assure ce prêtre francilien. "Le contenu du rapport va être extrêmement douloureux et il va alimenter les médias et les réseaux sociaux. Nous devons le rappeler à nos paroissiens."
Il y a le séisme et l’après. La vague déferlante et, lorsqu’elle se retire, ce qu’il reste. "Nous avons vécu cette situation en Belgique en 2010 et 2012 avec une commission qui a mené une enquête parlementaire sur ce sujet", se souvient le jésuite. "Cela a été une onde de choc le jour de la réception et dans les semaines qui ont suivi. La publication de ce rapport ne sera certainement qu’une étape. Les autorités de l’Église devront se situer par rapport aux recommandations de la Ciase." Après la publication de ce rapport, un certain nombre de victimes pourraient aussi prendre la parole, le nombre de victimes identifiées sera sans doute plus important. "L’annonce de l’Évangile est impossible sans que la vérité et la justice se fassent", assure-t-il encore. "Ce rapport ainsi que la prévention et l’accompagnement des victimes participent à l’annonce de l’Évangile."
La Ciase va également présenter dans son rapport son analyse des mesures déjà prises par l'Eglise de France. Les évêques ont en effet travaillé depuis quelques années pour que des mesures soient prises afin que l’Église soit de plus en plus une "maison sûre". En mars dernier, ils ont pris 11 décisions qu’ils ont présentées dans une Lettre aux catholiques de France du 26 mars 2021. Une série de recommandations va également être formulée afin de lutter encore plus efficacement contre les abus sexuels dans l' Église et accompagner les victimes. "La vérité facilite l’évangélisation", assure Mgr Dominique Lebrun. "À court terme les personnes vont s’interroger sur la véracité de l’Évangile et vont peut-être s’interroger sur leur confiance envers l’Église. D’autres diront peut-être "Enfin !". Une chose est sûre, c’est une étape essentielle pour l’évangélisation."