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Lorsque les temps sont explosifs, lorsque le monde est ébranlé dans ses fondations de par ses choix qui vont contre la loi naturelle et contre Dieu, rien n'est épargné, ni personne. Il n'est donc pas étonnant que l'Église, dans ses structures, subisse également les répercussions de cet état critique. Les fidèles sont en danger car beaucoup sont perturbés, inquiets, attristés et risquent de baisser la garde par lassitude, perdant du même coup ce sensum Ecclesiae, ce sens de l'Église, qui permet de demeurer ferme dans la tempête.
Au cœur du second conflit mondial, Pie XII, bien conscient des effets dévastateurs sur les esprits et les âmes, publia une profonde encyclique, en 1943, intitulée Mystici corporis, « Du Corps mystique ». Ce texte inspiré par toute la Tradition continuera de guider ses successeurs dans ce domaine. Le pontife écrit :
Et il poursuit :
Il s'ensuit donc que toutes les autres composantes de l'Église ne sont que des membres, du pape au plus simple fidèle, en passant par toute la hiérarchie et toutes les catégories. Cela signifie que, même si des membres de ce Corps sont malades, aussi éminents soient-ils dans leur charge ou leur mission, le Corps mystique demeure intact et en bonne santé car aucun homme n'en est l'origine, la fin et la tête, seul Notre Seigneur l'est et le demeure. Voilà qui devrait apaiser bien des tensions, des souffrances et des révoltes, mais cela n'est possible que si chacun regarde vraiment l'Église pour ce qu'elle est, et non point pour une simple — quoique remarquable par bien des points — institution humaine.
Dans ce Corps, nous sommes réellement et efficacement unis au Christ, et c'est cette Église qui a les promesses de la vie éternelle, pas sa structure imparfaite. Ce Corps mystique est aussi un Corps social parfait animé par l'Esprit-Saint et nous y sommes agrégés grâce aux trois vertus théologales — foi, espérance et charité — à la sainte Eucharistie et aux dons divins plantés dans nos âmes. Pie XII, reprenant saint Paul dans l'Épître aux Colossiens (1, 18), développe :
La Tête a besoin de tout le Corps, comme le rappelle saint Paul dans sa première Épître aux Corinthiens (12, 21). Le pape insiste sur cet aspect, pourtant détonnant, à savoir qu'« il faut pourtant maintenir, bien que cela paraisse vraiment étonnant, que le Christ requiert le secours de ses membres. Il veut recevoir l'aide des membres de son Corps mystique pour accomplir l'œuvre de Rédemption ».
Voilà qui a le mérite de remettre chaque chose à sa juste place et donc, en temps de crise et d'épreuve, de rassurer et de pacifier. Le jésuite argentin Leonardo Castellani, si persécuté au sein de l'Église, écrivait déjà en 1945 :
Une tentation contre la foi serait de confondre l'Église, Corps mystique, avec certains de ses membres pourris, fussent-ils nombreux. Il ne faut pas confondre l'Église avec ses habits, rutilants ou misérables. L'Église ne disparaît jamais, y compris si quelques-uns ou beaucoup de ses hiérarques sont infidèles. L'Église est d'abord celle qui est au service de la Tête, les saints, les humbles, les justes, ceux dont le zèle est ardent, qu'ils soient eux aussi nombreux ou un petit nombre — cela importe peu. Il suffit d'un saint François d'Assise pour éclairer un siècle. Lorsque l'Église, qui est Mère, se transforme soudain en marâtre abusive, il ne s'agit pas du Corps mystique mais simplement de tel ou tel membre qui abuse de son pouvoir, de son autorité. Il faut avoir foi en l'Église éternelle, si âgée déjà avec ses deux mille ans mais jamais défigurée malgré le péché des hommes qui la composent ou la dirigent.
Le risque est de comparer les âges de l'Église avec des critères qui ne sont point ceux de Dieu évidemment. Nous ne voyons plus que les rides et nous en concluons qu'elle n'a jamais été aussi pire qu'aujourd'hui, ou bien, au contraire, qu'hier. Dieu se rit de ces jugements à l'emporte-pièce, comme de ceux qui se glorifient de vivre dans une époque soi-disant plus parfaite et plus pure que les précédentes. Si nous croyons que l'ange de l'extermination va l'emporter sur le règne du Christ, alors nous ne sommes pas croyants. Notre Seigneur a déjà vaincu, définitivement, et ce ne sont pas les flottements et les trahisons de ses clercs et de ses fidèles qui confisqueront cette victoire définitive sur le mal et sur la mort arrachée au prix du Sang sur la Croix. Lorsque l'Église — certains dans l'Église — est fausse et sans merci, il s'agit de loups déguisés en brebis mais pas des membres du Corps mystique. La bureaucratie impersonnelle, les mauvais pasteurs ne peuvent se targuer du nom de l'Église. Ils peuvent être bien sûr des obstacles non négligeables et dommageables au message évangélique, mais ils ne le résument point. Ce qui est infidèle et ce qui est fidèle dans l'Église demeurera inextricablement lié jusqu'à ce que le Maître ordonne la Moisson et que l'ivraie soit enfin séparée du bon grain et jetée au feu. En attendant, il ne nous appartient pas d'être des faucheurs, nous qui sommes, du plus grand au plus petit, des membres obéissants ou essayant d'obéir à la Tête qui est le Christ.
Dans le livre de l'Apocalypse, le cinquième ange, celui de l'Église de Sardes, proclame : Esto vigilans et confirma cetera, quae moritura errant (« Sois vigilant, et conserve les choses qui restent, les choses qui sont sur le point de mourir » Ap 3, 2). C'est une invitation à recueillir soigneusement deux mille ans d'enseignement, à ne laisser se perdre aucun morceau — comme lors de la multiplication des pains et des poissons, à s'en tenir à cette nourriture inépuisable et savoureuse de toute la Tradition de l'Église. Le Corps mystique du Christ vit de cette sève qui irrigue tous les membres, ou qui devrait les irriguer. À chacun de faire effort pour apprendre, pour connaître, pour mettre en pratique, pour respecter et ainsi, de participer à l'œuvre rédemptrice de Notre Seigneur, selon nos modestes moyens et notre humble place. Il est bon de se blottir au sein de ce Corps mystique, non point pour fuir le monde mais pour l'éclairer en recevant la lumière du Christ.