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Ni papophobe, ni papolâtre !

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Jean Duchesne - publié le 28/09/21
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Il est aussi vain d’encenser que de débiner le pape du moment : ce n’est pas sa personnalité qui fait de lui le premier et indispensable serviteur du centrage de la foi et de l’unité des chrétiens.

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Le pape, quel qu’il soit, suscite des sentiments souvent passionnés. Il a ses thuriféraires et ses détracteurs. La plupart (y compris nombre d’incroyants) voudraient qu’il bénisse ce qu’ils pensent, désirent ou font, et ils ne sont pas toujours exaucés. Les autres (dont de soi-disant catholiques) se déclarent indifférents à tout ce qu’il peut raconter, mais s’énervent que sa parole ait tant d’audience, surtout lorsque, même sans viser nommément personne, elle critique leurs idées, leurs desseins ou leurs actes. Quelles leçons tirer de ces paradoxes ?

Il n’est d’abord pas si surprenant que le pape divise non seulement ses ouailles, mais encore ceux qui ne reconnaissent pas son autorité. La même chose est arrivée à Jésus : ses disciples ne le comprennent parfois pas et il se trouve des païens qui l’admirent. Si, comme il l’a lui-même dit, « le serviteur n’est pas plus grand que son maître » (Jn 13, 16), il faut s’attendre à ce que le « vicaire du Christ » en ce monde ne fasse l’unanimité ni dans l’Église (en sa faveur), ni même au dehors (contre lui). Cela vaut d’ailleurs également pour n’importe quel curé local : tous ses paroissiens ne chantent pas ses louanges, tandis qu’il ne manque pas de mécréants pour reconnaître volontiers qu’il contribue positivement à la vie sociale. 

Les hommes portés au pontificat par un parti ou un autre, si indignes qu’aient été de surcroît leur mœurs privées (on citera Alexandre VI Borgia), n’ont pas réussi à altérer la mission reçue...

Le plus étonnant est peut-être qu’une institution aussi ancienne (pour ne pas dire antique) que la papauté ait survécu aux mutations civilisationnelles qui font que nos ancêtres seraient dépaysés s’ils revenaient parmi nous. Le successeur de Pierre n’a plus besoin d’être un souverain temporel pour garder son indépendance vis-à-vis des gouvernants, et il est à l’aise avec les nouvelles technologies qui abolissent les distances : l’avion lui permet d’aller partout dans le monde en attirant des foules et, de l’imprimé aux réseaux sociaux en passant par la radio, les photos, la télévision et Internet, ses messages se coulent dans tous les supports.

Cette modernisation signifie cependant que, si le pape se sert des médias, ceux-ci en retour l’exploitent comme un matériau de choix et pratiquement inépuisable. Une conséquence est que l’instrument de communication tend à conditionner ce qu’il véhicule et à n’en transmettre que ce qui entre dans son moule. Lorsque le pape rassemble plus d’un million de personnes ou est bien accueilli là où les chrétiens sont très peu nombreux, ou encore lorsqu’une de ses déclarations déconcerte, c’est de « l’info », non seulement relayée, mais encore commentée. Cependant, la machine à diffuser du sensationnel ne s’en tient pas là. Elle fait de l’évêque de Rome une « célébrité », une vedette, une star, dans la catégorie des « people ». 

Les détails sur sa personne « se vendent » donc bien : sa famille et ses origines, sa jeunesse, son parcours, les confidences d’anciens proches, son caractère révélé par des anecdotes, ses problèmes de santé, etc. Tout cela pousse à cadrer l’homme à partir de ce qu’il a été, à interpréter son activité comme des réactions aux défis qu’a désormais à relever un individu qui ne changera plus. C’est une approche de quelque intérêt quand il s’agit d’un chef d’État. Victor Hugo a ainsi pu écrire qu’à sa propre naissance, quand « ce siècle avait deux ans […], déjà Napoléon perçait sous Bonaparte ». Mais on ne peut pas dire qu’avant 2013 à Buenos Aires, le pape François pointait sous Jorge Bergoglio. 

Un pape n’est plus le cardinal qu’il fut. Une raison en est qu’il n’a pas fait campagne ni affiché de programme comme aujourd’hui tout président élu. S’il y a eu autrefois des candidats, c’était pour des raisons politiques qui n’auraient pas dû intervenir. Mais les hommes portés au pontificat par un parti ou un autre, si indignes qu’aient été de surcroît leur mœurs privées (on citera Alexandre VI Borgia), n’ont pas réussi à altérer la mission reçue, car celle-ci refaçonne celui auquel elle échoit bien davantage qu’il ne peut la dénaturer.

Prenons quelques exemples. Le bienheureux Pie IX au XIXe siècle a d’abord été étiqueté « libéral », puis « réactionnaire ». A-t-il changé ? On peut estimer que l’évolution assez radicale du contexte (menace d’une subordination à l’État italien en train de s’édifier sur les bases d’un anticléricalisme qui se répandait en Europe) l’a amené à réaffirmer la singularité de sa charge, où il ne pouvait pas plus s’inféoder à la « modernité » qu’à l’ordre ancien. Dans cette perspective, le classement à « gauche » ou à « droite » revient à réduire la papauté à des dimensions qui lui sont étrangères et ne permettent pas d’y comprendre grand-chose.

De même, plus près de nous, saint Jean Paul II, critique du communisme et artisan de son implosion, a été salué comme défenseur des libertés, avant d’être taxé de « conservatisme ». L’archevêque de Cracovie était un pasteur philosophe, développant une vision de l’homme et de sa vocation qui a moralement armé la résistance victorieuse à la dictature idéologique. Devenu pape, tout en restant un intellectuel de haut vol, parfaitement informé, et un « communicant » hors pair, il s’est avéré plus théologien et donc plus manifestement fidèle à tout ce que la Tradition, dans sa cohérence, sa continuité et son pouvoir d’assimilation, a de normatif et fécond dans la vie de l’Église et jusque dans sa discipline.

On a considéré qu’après lui, Benoît XVI était resté le cardinal Ratzinger, universitaire porté à l’abstraction, promu gardien du dogme, et peu charismatique. C’est une image inexacte. Ses encycliques sur la charité (Deus caritas est) et sur l’espérance (Spe salvi) ont retenti au-delà de l’Église, et peut-être plus encore celle (Caritas in veritate) où, face aux crises de la mondialisation, de la finance et de l’écologie, il actualisait la doctrine sociale de ses prédécesseurs. Et il a prouvé lors de sa visite en France en 2008 qu’il savait répondre aux attentes des foules. Sa renonciation n’a pas été un moyen pour lui de retourner à ses chères études. Il a simplement constaté n’avoir plus la force d’assumer ce qui lui avait été confié.

Le style de son successeur est assurément différent. Mais ce n’est pas en raison de sa personnalité, ni parce qu’il serait toujours un jésuite argentin, conscient que l’avenir ne se joue pas dans la vieille Europe. Son action dépend d’abord non pas de son passé ni de son tempérament, mais des priorités qu’il discerne à l’échelle universelle qui est désormais la sienne. Même s’il sait le poids des idées, il perçoit qu’aujourd’hui, dans le monde entier, la foi et l’incroyance sont vécues avant d’être pensées. D’où des messages qui, globalement, visent à nourrir la spiritualité, la relation personnelle avec Dieu, et offrent des moyens d’affronter dans l’espérance sans forfanterie les épreuves individuelles aussi bien que collectives.

Si l’on se veut catholique, il n’est pas moins fâcheux de porter le pape aux nues parce qu’il est d’accord avec nous, que de tordre le nez parce qu’il nous bouscule un peu. Sa mission est d’ouvrir et en même temps d’unifier nos perspectives. Saint Jean Paul II nous a engagés à n’avoir pas peur. Nous pouvons et devons toujours prier pour qu’aucun de ses successeurs n’ait peur de nous déplaire ou ne nous plaise trop en nous confortant dans l’autosatisfaction. 

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