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Aleteia : Vous saviez que vous descendiez d’une des plus illustres saintes du catholicisme, mais n’en aviez cure, étant, dites-vous, "la païenne de service". Alors, pourquoi ce livre ?
Clémentine Beauvais : Tout est parti d’une blague d’une amie, qui se trouve être éditrice de bouquins cathos [Hélène Mongin, éditrice aux Editions de l’Emmanuel]. D’ordinaire, je grenouille dans un milieu universitaire résolument athée, féministe et progressiste, mais il se trouve que je suis tombée amoureuse d’un catho, qui m’a introduite dans son monde. Quand Hélène a su que nous attendions un enfant et que j’ai glissé que ce serait un descendant de sainte Marguerite-Marie -avec laquelle j’ai des arrière-grands-parents en commun-, elle s’est emballée : "Et si tu écrivais une biographie décalée de ton aïeule ?"
Auparavant, j’aurais trouvé l’idée absurde, mais j’étais à un moment-charnière de ma vie : j’allais donner la vie en même temps que je voyais décliner ma grand-mère chérie, fervente croyante dépositaire de la mémoire de la famille Alacoque… L’idée a fait son chemin en moi.
À ce stade, que représentait Marguerite-Marie pour vous ?
Rien de plus qu’une "anecdote familiale" ! Je n’avais qu’une vague notion de ce qu’elle avait fait. Les histoires qui circulaient sur elle me la faisaient voir comme une "siphonnée" tellement loin de mon univers que je l’assimilais au monde médiéval ! Alors que c’est une sainte de l’époque baroque, dont le comportement est d’ailleurs tout à fait baroque !
C’est-à-dire ?
C’est une femme extrêmement passionnée, dans son rapport au monde, à Dieu, à ses semblables. On ne se représente pas l’intensité de son existence. Le Christ lui apparaît, mais aussi Dieu, des saints, les âmes du Purgatoire… Elle aime le Christ d’un amour si incendiaire qu’elle est prête à s’annihiler complètement pour lui plaire, jusqu’aux pires humiliations. Ce qui en fait une personnalité hors-norme, déjantée, un poil clivante !
Vous qui êtes extérieure au monde catholique, vous n’avez pas été rebutée par cette surenchère dans la mortification ?
À force de côtoyer mon aïeule, j’ai développé une certaine empathie pour elle, de l’affection même. J’ai essayé de l’appréhender de l’intérieur, de comprendre le monde de son point de vue. Or, sa représentation du monde est complètement cohérente… Et si loin de l’idée que je m’en fais, moi, que j’ai été moins heurtée, semble-t-il, que certains catholiques par sa propension à s’humilier toujours plus. Il y a un tel gouffre entre nous ! Et puis, j’ai beaucoup de sympathie pour les vraies mystiques.
Y a-t-il des aspects de sa personnalité qui font écho chez vous ?
Ce qui m’a saisie, captivée, c’est son écriture. Elle rédige ses mémoires à la demande de ses supérieures et de ses confesseurs, dont le fameux Claude de la Colombière, son "dir com" pour la propagation du culte du Sacré-Cœur. Elle prétend le faire sous la contrainte, de peur de focaliser l’attention sur elle plutôt que sur le Seigneur, mais on sent que dans le fond elle aime ça. Son style a une vraie puissance narrative.
J’espère juste avoir ouvert une fenêtre sur elle, qui permette de nourrir sa vie intérieure.
Et puis, j’ai été touchée par ses contradictions, ses ambiguïtés : ce qui lui arrive est tellement dingue qu’elle ne dit pas tout, pour qu’on ne la croit pas sous l’emprise du démon -qui la visitait parfois, et dont elle se méfiait par-dessus tout. Elle est pleine d’aspérités, Marguerite-Marie, ça me la rend plus proche…
Au fil de votre enquête, les catholiques que vous rencontrez vous disent d’insister sur l’amour fou de cette religieuse pour le Christ. Ça vous laisse sceptique…
La voir comme une grande amoureuse est irrecevable pour la féministe que je suis. Pour moi, l’amour-passion repose sur l’égalité, la réciprocité entre homme et femme. Cet effacement total de Marguerite-Marie devant Celui qu’elle aime me heurte. Mais peut-être que c’est de l’ordre de l’évidence pour quelqu’un qui sait ce qu’est l’amour divin.
Le paradoxe, c’est que cet effacement est incompatible avec la mission que lui confie Jésus : être la messagère de son cœur brûlant d’amour pour les hommes. Se donnant tout entière à cette cause, elle ne peut pas se faire oublier : elle doit raconter sa vie, relater ses visions… Donc amoureuse, j’ai du mal, mais mystique, certainement. Elle adhère de tout son être à ce en quoi elle croit.
Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de ce livre qui détone tant dans votre bibliographie ?
J’aimerais qu’il démente le cri du cœur d’une de mes rares amies cathos « c’est tellement ch… les vies de saints ! », que l’on ait plaisir à le lire. Je n’attends pas que les lecteurs se précipitent sur les archives de Marguerite-Marie, j’espère juste avoir ouvert une fenêtre sur elle, qui leur permette de nourrir leur vie intérieure.