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Pourquoi j’aime Belmondo

BELMONDO
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Pascal Ide - publié le 09/09/21
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Critique de cinéma averti, Mgr Pascal Ide rend un hommage ému à Jean-Paul Belmondo dont les obsèques doivent être célébrées ce vendredi à Saint-Germain-des-Prés. Pour lui, ce grand acteur qui savait tout jouer était d’abord « un gros travailleur qui a fait fructifier ses talents ». Il salue un homme que « tout le monde aimait parce qu’il aimait tout le monde », sans jamais quitter son « sourire ensoleillé ».

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Quand, mardi matin, j’ai appris la mort de Jean-Paul Belmondo, j’ai ressenti une réelle tristesse. Comme s’il allait me manquer, alors que son dernier film date de 2008 (Francis Huster, Un homme et son chien). Ce chagrin qui m’a étonné — je n’en ai jamais éprouvé au décès d’un acteur de cinéma — est le revers de la joie que notre cher comédien m’a donnée à de nombreuses reprises. Des multitudes d’images remontent en moi, qui toutes m’enchantent et dont je souhaiterais vous partager certaines, avant de les nouer en gerbe.

Les toutes premières images sont celles de L’Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) que j’ai vu à l’école lors de sa sortie. Ce long-métrage m’a marqué d’autant plus durablement que c’est le premier film dont j’ai un souvenir : depuis ce générique en arc-en-ciel, si original à l’époque, en passant par ces aventures inspirées de L’Oreille cassée — la gouaillerie en plus, par exemple dans la scène où, se jouant du commissaire, il raconte un enlèvement fictif qui, en réalité, se déroule sous ses yeux —, la quête du trésor dans la mystérieuse forêt amazonienne, jusqu’à cette toute dernière scène, d’ailleurs en inclusion avec la première, toute chargée de nostalgie : alors qu’un cheminot s’avance lentement sur le quai de gare déserté, le train emmène le conscrit Bébel répondant en écho à son ami arrivant tout essoufflé in extremis de l’autre coin de Paris : « Quelle aventure ! »

Quelques années plus tard, avec Les Tribulations d’un Chinois en Chine (Philippe de Broca, 1965), j’ai voyagé en Chine et au Tibet, ai goûté les plages paradisiaques du Pacifique (ah, la sculpturale Ursula Andress !), mais plus encore, cette scène finale, un rien mélancolique, qui, à nouveau, fait rêver à l’aventure…

Dans Le Magnifique (toujours Philippe de Broca, 1973, sur un premier scénario de Francis Veber), plus encore que le pastiche des films d’espionnage ou la satire du milieu des écrivains comme des éditeurs, j’ai à nouveau affectionné l’irruption de l’extraordinaire (les aventures de Bob Saint-Clar, le meilleur agent secret du monde) dans la trame de l’ordinaire (la vie de François Merlin, en proie aux mille tracasseries du quotidien).

Comme la presque totalité des spectateurs d’Itinéraire d’un enfant gâté (Claude Lelouch, 1988), qui nous fait visiter les lieux les plus féeriques de notre merveilleuse planète, j’ai encore davantage gardé en mémoire la scène confinée, merveilleusement écrite, jouée et tournée où notre acteur apprend à Richard Anconina à dire bonjour et ne jamais avoir l’air étonné… Mais pas seulement : j’aime également la belle figure du prêtre ami (Pierre Vernier) qui lui rend hommage et surtout la rencontre finale avec sa fille toute en larmes, et lui tout en regard silencieux et heureux. Si Belmondo a remporté le César 1989 du meilleur acteur, n’est-ce pas qu’il y a du Sam Lion chez celui qui aime autant sa famille que sa liberté — et ne sait pas résoudre l’équation ?

Il y aurait tant à citer, du plus divertissant — comme Le Cerveau (Gérard Oury, 1969) — au plus dramatique — comme Week-end à Zuydcoote (Henri Verneuil, 1964) —, voire au plus tragique — comme La Sirène du Mississipi (François Truffaut, 1969) —, en passant par le doux-amer Un homme qui me plaît (Claude Lelouch, 1969). Du plus spectaculaire — comme Cartouche (1962) — au plus profond — comme Léon Morin, prêtre (Jean-Pierre Melville, 1961) –, en passant par le plus décalé, type Nouvelle Vague — comme À bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960).

Loin d’être un simple feu d’artifice, toutes ces images convergent secrètement vers un centre. Ce surdoué — nous venons de voir que ce Flic ou Voyou (Georges Lautner, 1979) pouvait tout jouer, ce qui est rarissime — était aussi et d’abord un gros travailleur qui a fait fructifier ses talents — il est bien connu qu’il ne s’est jamais fait doubler dans les scènes de cascade, mais l’on sait moins qu’il les répétait longuement : « Le don [au sens de talent], c’est comme un diamant, cela doit se travailler », affirme-il dans une entrevue. Et il renchérit dans une autre : « Pendant la guerre, ma mère s’est retrouvée avec deux petits, mon frère et moi, qu’elle trimballait partout avec un courage immense ! Mon père, sculpteur de renom, m’a laissé libre de mes choix, mais il m’a appris le sens de la volonté. Pour réussir, il faut in-sis-ter. Quand j’ai commencé, personne ne voulait de moi. J’ai bossé, appris mon métier… J’ai attendu dix ans avant de décoller. J’ai l’impression qu’il y a moins ça aujourd’hui. Les jeunes pensent qu’ils vont devenir des vedettes tout de suite. »

Si sa vie affective et conjugale est chahutée, il fut un excellent père de famille qui réservait sa journée du dimanche à ses enfants...

Ce solitaire — la période des plus grands succès est aussi celle où les titres de ses films déclinent des figures d’esseulé : L’Héritier (Philippe Labro, 1972) ; L’Incorrigible (Philippe de Broca, 1975) ; L’Alpagueur (Philippe Labro, 1976) ; L’Animal (Claude Zidi, 1977) ; Le Guignolo (Georges Lautner, 1980) ; Le Professionnel (Georges Lautner, 1981) ; L’As des as (Gérard Oury, 1982) ; Le Marginal (Jacques Deray, 1983) ; et, pour finir, justement, Le Solitaire (Jacques Deray, 1987) — est un solidaire — si sa vie affective et conjugale est chahutée, il fut un excellent père de famille qui réservait sa journée du dimanche à ses enfants ; si sa filmographie impressionnante regroupe environ 85 longs-métrages, il savait dégager du temps pour aussi consacrer à ses proches ses mois de juillet et d’août).

Surtout, cet homme adulé et comblé (plus de 160 millions de spectateurs se sont pressés pour voir celui qu’ils appelaient chaleureusement et affectueusement « Bébel », sans rien dire de sa carrière théâtrale) est demeuré, avant tout, un homme simple et reconnaissant. Dans l’interview que l’on trouve sur le bonus de L’As des as, le comédien parle avec beaucoup de gratitude de son public : « Le public fait l’acteur. » De même, affirme-t-il, signer un autographe, c’est remercier ce public auquel il doit tant. L’on disait d’un saint — attention, je ne suis pas en train de canoniser Belmondo ! — que tout le monde l’aimait parce qu’il aimait tout le monde…

Belmondo, c’est Arsène Lupin qui passe le millénaire : souvent cabotin, parfois un peu crapule, mais toujours gentleman et ami de la France (après six mois à Hollywood, il est, heureux et heureusement, revenu dans notre pays). Mais il ne faudrait pas oublier une autre face, qui ne fait d’ailleurs pas défaut au héros de Maurice Leblanc : un je ne sais quoi d’un fils gâté à la recherche d’un chez-soi ; au-delà de ce sourire ensoleillé et de ce geste inénarrable de la main qui monte en colimaçon par lequel il vous enveloppe une jolie femme autant qu’une théorie, il y a le regard clair vrillé sur l’horizon. Ce cœur d’enfant qui brise les cœurs est aussi vulnérable. L’Homme de Rio est aussi ce Pierrot le fou (Jean-Luc Godard, 1965, dont, un moment, il a dit qu’il était son film préféré) qui, épris de liberté, est prêt à tout perdre, même la tête et la vie, pour lui donner un sens : « J’ai envie, je suis en vie. » 

Deux anecdotes pour finir. Quand j’étais vicaire à la paroisse parisienne de la Sainte-Trinité, l’un des multiples théâtres de son territoire jouait une pièce dont Belmondo était le principal comédien. L’un des prêtres, le père Jean-Pierre Schaller, tout récemment décédé, et grand amateur d’art dramatique, disait l’avoir un jour croisé à la sortie du théâtre et salué. Il m’avait témoigné de la simplicité toute de cordialité avec laquelle Belmondo lui avait répondu. La seconde anecdote est la dernière photographie qui a été prise de son visage sur son lit de mort : cet homme si éprouvé dans sa chair et dans ses proches (sa fille aînée, Patricia, est morte dans l’incendie de son appartement en 1993) n’est que sourire éclatant.

Alors, pourquoi Bébel m’a tant réjoui ? Parce que, dans un milieu où la tentation du narcissisme n’est pas négligeable, il réussit à illustrer quelque chose de la parole de Jésus : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8).

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