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Le fondement de la géopolitique est l’analyse géographique à plusieurs échelles, ce qui est particulièrement bien adapté à la situation afghane. L’enjeu du dossier afghan ne réside pas qu’à Kaboul mais dans l’imbrication des acteurs qui, à différentes échelles, ont des intérêts liés à l’Afghanistan.
Les talibans contrôlent Kaboul et plusieurs grandes villes, mais cela ne signifie pas qu’ils contrôlent toute la ville, comme le démontrent les attaques de l’aéroport de Kaboul menées par l’État islamique. Visiblement, certains quartiers, certaines personnes échappent à leur autorité. C’est une chose d’entrer dans Kaboul et de s’asseoir dans le bureau du Président, c’en est une autre de diriger le pays. Pour les talibans, le plus dur débute avec le retrait des troupes américaines et il n’est nullement certain qu’ils réussissent à tenir le pays quand tous les autres gouvernements ont échoué. Le groupe lui-même finira par se fracturer entre modérés et radicaux, ce qui aboutira à des luttes de pouvoir.
L’Afghanistan est un pays de montagnes, de vallées et de peuples multiples : Pachtounes, Tadjiks, Baloutches, etc. Des peuples qui n’ont guère envie d’être dirigés par les Pachtounes talibans et qui, s’ils n’ont pas combattu leur prise de pouvoir, ne vont pas se soumettre à eux pour autant. Les géographes Daniel Dory et Hervé Théry ont cartographié les attentats commis en Afghanistan rapporté à la présence géographique des différents peuples. Cette carte montre que la grande majorité des attaques terroristes ont eu lieu en zone pachtoune et ouzbek, témoin d’une opposition entre ces deux peuples.
L’autre échelle géographique est celle de l’Asie centrale, aussi dénommée Eurasie. Là, entrent en jeu d’autres acteurs, tels la Turquie, l’Iran, la Chine et la Russie. L’Afghanistan compte des peuples de branche iranienne (au sud) et des peuples de branche turque (au nord). Des mercenaires turcs ont été engagés pour protéger l’aéroport de Kaboul, preuve de l’intérêt d’Ankara pour ce pays, au nom du panturquisme et de la défense des intérêts d’Istanbul. La Russie a d’ores et déjà reconnu le régime taliban et maintenu son ambassade. Elle n’attend plus que le départ effectif des Américains pour accroître son contact. Quant à la Chine, elle se voit bien y déployer des entreprises minières afin d’exploiter le riche sous-sol du pays. À ces quatre acteurs s’ajoute l’incontournable Pakistan, refuge et financeur des talibans. Sans l’aide de ses services secrets, jamais les talibans n’auraient pu prendre le pouvoir. Pakistan et Afghanistan sont comme deux jumeaux qui marchent de concert. Ce qui introduit un sixième acteur, l’Inde, adversaire tant de la Chine que du Pakistan, qui tente de timides avancées diplomatiques pour contrecarrer les plans de ses voisins.
Mais l’Afghanistan est aussi une pièce essentielle du puzzle du « Grand Moyen-Orient » théorisé par les Américains à l’orée des années 2000, région qui suit les contours de l’islam terroristes et qui aujourd'hui s’étend des bouches du Sénégal aux montagnes de l’Indou Kouch, en passant par le Mali, l’Irak et une partie du Caucase. L’implantation de l’État islamique en Afghanistan, son terrible attentat perpétré à l’aéroport de Kaboul, témoigne de cette infiltration du djihad international qui a des ramifications non seulement dans le monde arabe, mais aussi dans l’islam africain. L’Afghanistan va-t-il devenir le lieu d’entrainement des soldats de Daech ? Cette juste crainte qui inquiète tout autant la Russie que les États-Unis fait que ces derniers ont intérêt à travailler avec les talibans pour combattre l’État islamique. La sécurité nationale implique parfois de s’entendre avec ses ennemis.
Si l’Afghanistan intéresse l’Europe et la France, ce n’est ni pour les risques de jihad ni pour la question des réfugiés, mais parce que ce pays est l’un des principaux producteurs de drogue, via le pavot, ensuite transformé en héroïne. Cette drogue est l’arme blanche des islamistes, c’est à la fois pour eux un moyen de financement et un javelot planté dans le flanc de l’Europe en détruisant sa jeunesse qui en consomme et en déstructurant la société en alimentant les réseaux de vendeurs et de trafiquants. Le trafic de drogue qui empoisonne des quartiers de Grenoble, de Marseille et de Lyon trouve une partie de son origine en Afghanistan. L’arrivée au pouvoir des talibans devrait accroître la production de pavot et donc le stock d’héroïne, si dangereuse pour les sociétés occidentales. Cela montre aussi que le problème du trafic de drogue est un problème global qui ne peut pas être résolu uniquement par l’augmentation du nombre de policiers et de juges à Marseille. Une partie des problèmes français passent par Kaboul, plaçant l’Afghanistan au centre de nos enjeux.