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Prendre les paroles du Christ au sérieux

FEMME LISANT LA BIBLE
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Jean-Thomas de Beauregard, op - published on 21/08/21
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Opposer les paroles du Christ à celles de l’Église est une voie commode pour rendre sa foi plus confortable et prendre la fuite !

Lorsqu’un passage de l’Écriture sainte choque ou déplaît, deux réflexes se présentent spontanément à l’esprit du croyant : rejeter cet enseignement sans autre forme de procès, ou bien le relativiser sous prétexte de contexte culturel ou de genre littéraire. Face au discours sur le pain de vie, où Jésus révèle que la vie éternelle s’obtient en mangeant sa propre chair en nourriture, les juifs qui l’écoutent choisissent la première solution. Ils protestent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » (Jn 6, 60-69) Et puis, parce qu’ils sont des gens entiers, ils s’en vont pour ne plus revenir. Des chrétiens modernes préfèrent relativiser en opérant une lecture symbolique : Jésus n’est pas réellement présent aux espèces du pain et du vin consacrés, c’est son souvenir qui nous fait vivre. D’un côté, la solution radicale et la rupture. De l’autre côté, la solution de compromis et le consensus mou.

Aucune des deux solutions n’est vraiment fidèle à l’enseignement du Christ. Mais la rupture présente au moins l’avantage de prendre les paroles du Christ au sérieux et d’être cohérente. Le compromis biaise avec les paroles du Christ et se tient dans une ambiguïté confortable mais mensongère : « J’y crois mais… » Ce n’est plus l’Esprit saint qui parle dans le cœur du croyant, c’est au mieux son intelligence laissée à elle-même, au pire son intelligence livrée aux suggestions du Diable. C’est même la signature du Diable que de ne jamais suggérer directement la rupture. Il préfère l’éloignement sur la pointe des pieds, la culture du doute entretenue complaisamment. Ce n’est pas le chemin le plus rapide, mais c’est le plus sûr. Un beau jour, le chrétien qui a accumulé les : « J’y crois mais… » se réveille et se rend compte que rien ne le rattache plus à la foi de l’Église. Le tour est joué.

C’est la variante pieuse du discours contemporain majoritaire qui dissocie « spiritualité » et « religion ».

La foi de l’Église… N’était-ce pas du Christ qu’il s’agissait, et non pas de l’Église ? « Moi je crois aux enseignements du Christ, bien sûr, pour ce qui est de l’Église, je fais le tri. » C’est la variante pieuse du discours contemporain majoritaire qui dissocie « spiritualité » et « religion », tolérant voire encourageant la première, mais condamnant la seconde en raison de sa rigidité et de son dogmatisme supposés. Distinguer entre les enseignements du Christ et ceux de l’Église, donc. Vaste programme !

Voilà une œuvre de discernement qui s’annonce déjà difficile au plan pratique : nous ne connaissons les paroles du Christ que par l’Évangile, qui nous a été communiqué par l’Église et dont la rédaction même est déjà œuvre de l’Église. La recherche historico-critique des ipsissima verba (les « mots mêmes ») de Jésus se heurte à un mur infranchissable : quel est le critère légitime à appliquer pour déterminer ce qui relève de Jésus lui-même et ce qui relève d’interprétations ou ajouts postérieurs par l’Église dans la phase de rédaction des évangiles ? Et que faire des écrits de l’Ancien Testament, ou bien des épîtres de Paul, Pierre, Jacques et Jean, sans compter l’Apocalypse ? Sont-ils à rejeter à ou à relativiser parce qu’ils n’émanent pas de Jésus lui-même ? Oui, mais certains de ces écrits sont plus anciens que les évangiles, et leurs auteurs ont été choisis par Jésus… 

Distinguer ce qui relève de Jésus lui-même et ce qui relève de l’Église est impossible au plan pratique. À supposer même qu’on y parvienne, on obtiendrait sans doute l’inverse du résultat espéré, puisque les paroles de Jésus les plus scandaleuses pour les mentalités contemporaines (sur le pain de vie qu’est sa chair, sur la croix et la résurrection, sur la condamnation du divorce, etc.) sont aussi parmi les mieux attestées. S’il y a scandale, c’est en Jésus lui-même et en son enseignement qu’on le trouve.

Court-circuiter l’Église pour aller directement à Jésus est impossible au plan pratique, mais c’est encore plus problématique au plan de la foi. Qui prend au sérieux la deuxième lecture de ce dimanche, tirée de l’épître de Paul aux Éphésiens, ne saurait séparer Jésus de l’Église (Eph 5, 21-32). S’il est vrai que l’Église est le corps dont le Christ est la tête ; s’il est vrai que l’Église et le Christ sont comme l’épouse et l’époux ; s’il est vrai que l’Église est sainte et immaculée parce que le Christ a voulu se la présenter telle en donnant sa vie pour elle ; s’il est vrai qu’il la nourrit, en prend soin, la chérit… si tout cela est vrai, comment pourrait-on prétendre séparer le Christ et l’Église, suivre inconditionnellement les enseignements du Christ mais opérer un tri dans ceux de l’Église ?

La vérité, c’est qu’il n’y pas d’échappatoire possible. Face aux enseignements de Jésus-Christ reçus dans et par l’Église, il faut prendre position. Et ces enseignements heurtent la mentalité contemporaine comme ils ont heurté les mentalités à l’époque du Christ. Jamais l’Évangile n’a été reçu paisiblement, sans résistance. Pour un acte de foi posé courageusement par Pierre (« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle »), combien de disciples ont quitté Jésus ? Le ratio n’est pas moins favorable aujourd’hui qu’il l’était il y a deux mille ans.

Il n’y a qu’une seule question qui importe : Jésus est-il le Seigneur, a-t-il les paroles de la vie éternelle ? Si non, alors je peux faire le tri car il n’est qu’un maître de sagesse parmi d’autres, et l’Église n’est qu’une association plus ou moins fidèle aux doctrines de ce maître. Si oui, je prends tout, en bloc, même ce qui me déplaît ou me heurte, du dogme à la morale, car le Christ est le chemin, la vérité et la vie, et l’Église est son corps mystique, son épouse sainte et immaculée. Il y faut un acte de foi radical.

L’intelligence et la volonté ne sont pas congédiées par cet acte de foi radical, bien au contraire. Mais à la lumière de la foi, elles vont plus loin, plus profond. Dans la foi, les difficultés ne sont plus des obstacles, les questions ne sont plus des doutes. Ce sont des lieux de conversion. Alors ce n’est plus moi qui juge la Parole de Dieu, c’est la Parole de Dieu qui me juge, et moi qui tâche humblement et progressivement de m’y conformer. La communion régulière au corps eucharistique du Christ m’assimile progressivement à lui et à son corps ecclésial, de telle sorte que la vérité surnaturelle de la foi chrétienne me devient presque naturelle. Je deviens alors capable d’en témoigner, à la suite du Christ. Jésus n’a cherché ni à plaire ni à déplaire, mais à témoigner de la vérité. Dire la vérité, c’est prendre le risque de se faire des ennemis. Le Christ en est mort, pour nous. C’est ce qui se passe lorsqu’amour et vérité se rencontrent. 

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