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La Tarasque vaincue par sainte Marthe à Tarascon a-t-elle existé ?

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Sainte Marthe et la Tarasque, Jacques de Voragine, Legenda aurea (trad. Jean de Vignay).

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Anne Bernet - publié le 28/07/21
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De tous les miracles attribués à sainte Marthe en Provence, le dragon dompté qui donna son nom à Tarascon n’est pas le moins spectaculaire. L’événement est toujours fêté le 29 juillet. Légende ou réalité ? Tout est possible…

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L’histoire est fameuse et appartient au fond légendaire de la Provence. Lorsque Marthe, sœur de Lazare et de Marie de Béthanie que la Tradition assimile à Marie Madeleine, débarque avec eux et d’autres disciples, en Camargue, elle se sépare de ses compagnons et remonte l’estuaire rhodanien, prêchant l’Évangile aux populations locales, exerçant ses pouvoirs thaumaturgiques, guérissant les malades et ressuscitant un mort par l’invocation du nom de Jésus. C’est donc déjà entourée d’une aura de sainteté qu’elle atteint une petite cité au bord du fleuve qui deviendra Tarascon.

La ville est dans la désolation. Une bête monstrueuse a élu domicile sur la rive du Rhône et surgit à l’improviste, pour dévorer un pêcheur, emporter des femmes descendues laver leur linge, croquer des enfants imprudents venus nager malgré les avertissements de leurs parents. Selon les témoins, l’animal est "plus gros qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, sa gueule est celle d’un lion, ses dents sont acérées, il a une sorte de crinière, des écailles hérissées sur le dos qui tranchent terriblement ; six pieds, des griffes d’ours, une queue de vipère, une carapace de tortue" et nage comme un poisson… Pas étonnant qu’il fasse peur ! Personne n’ose affronter cette créature abominable dont les méfaits se poursuivent impunément.

Et voilà que Marthe, pas plus impressionnée que cela, descend tranquillement vers la berge, y découvre la bête horrible somnolant, sa dernière victime à demi dévorée entre les crocs. Nullement émue, la sainte fait le signe de croix, jette de l’eau bénite sur le monstre qui, dompté, la suit, la ceinture de la femme passée autour du cou, jusqu’à la ville où la population qu’il a tant fait souffrir le massacre sans pitié. Telle est la légende de la Tarasque, qui donna son nom à la cité.

Bien entendu, personne n’est plus sensé y croire, même si l’on célèbre toujours, le 29 juillet, à la sainte Marthe, la victoire de la jeune femme sur le dragon dont l’image est promenée dans les rues. Des gens très savants expliquent qu’il s’agit d’un récit symbolique représentant l’affrontement entre le paganisme, figuré par le monstre, et le christianisme, tel qu’on le retrouve en bien d’autres régions et récits hagiographiques, dont le plus célèbre est la lutte entre saint Georges, officier romain martyrisé au Liban à la fin du IIIe siècle, et un animal dévoreur de jeunes femmes, emprunté au mythe de Persée et Andromède. Cette lecture pragmatique est respectable, et conforte dans leurs convictions tous ceux qui tiennent pour faux et apocryphe le récit du débarquement en Provence des Saintes Maries de la Mer, symbole, cette fois, du rôle joué par le couloir rhodanien dans l’évangélisation des Gaules. Soit ! Et pourtant… si une autre explication, non moins pragmatique d’ailleurs, était envisageable ?

Ces dernières années, des fouilles archéologiques dans le Rhône ont permis la découverte d’épaves de grandes barges romaines qui acheminaient de Marseille vers Lyon, et toutes les villes situées entre les deux, des marchandises en provenance d’Orient. Du vin, de l’huile, des poteries, certes, mais aussi des esclaves et des animaux destinés aux jeux du cirque.

Il arrivait, c’était même assez fréquent car le Rhône était un fleuve puissant et indompté, que ces navires de transport ne parviennent jamais à bon port et coulent avec leurs cargaisons. Certains ont donc imaginé, et l’hypothèse est séduisante, que l’un de ces navires ait transporté dans ses soutes, outre les lions, tigres, éléphants, hippopotames, gazelles et autres pauvres bêtes destinés à être massacrées lors d’une chasse d’amphithéâtre, un grand crocodile blanc nilotique ? 

Aujourd’hui presque disparus, sinon dans la région du Haut Nil où l’on en repère encore parfois de rarissimes exemplaires, ces impressionnants sauriens, vrais monstres par la taille, la dangerosité, l’agressivité et l’appétit, étaient, voilà deux mille ans, répandus tout le long du fleuve dont ils terrifiaient les riverains. Ils étaient aussi très prisés pour les jeux du cirque où l’on aimait les affronter à d’autres grands prédateurs. Imaginons donc l’un de ces crocodiles encagé dans les soutes de la barge. Lorsque celle-ci coule, la cargaison est perdue, les animaux noyés, excepté lui qui parvient à s’échapper de sa cage et trouve, dans le Rhône, un habitat à sa convenance où il s’installe et reprend sa vie de chasseur. Jusque-là, rien d’invraisemblable.

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Imaginons encore que Marthe soit bel et bien arrivée à Tarascon. Des gens non moins savants que les autres soutiennent l’historicité de sa présence. On lui parle du monstre et de ses habitudes. Née à Béthanie, peut-être a-t-elle eu l’occasion de se rendre en Égypte. "Le Nil, fleuve d’Égypte, a des rives fertiles mais on y voit beaucoup, beaucoup de crocodiles…" Marthe identifie tout de suite l’animal et elle possède quelques notions de ses mœurs. Le saurien, repu, digère dans un épais sommeil pendant lequel il est quasi inoffensif.

Or, la légende de la sainte le dit expressément, le monstre vient de dévorer sa dernière victime dont la dépouille pend encore dans sa gueule ; il est hors d’état d’attaquer. Alors, avec détermination, beaucoup de courage, et plus encore de foi, la jeune femme descend vers le Rhône et triomphe de l’animal, en même temps que des anciens dieux. Cette version-là ne vaut-elle pas l’autre, celle des esprits forts ?  

Petit détail, qui a son importance : d’autres régions françaises possèdent, à l’instar de Tarascon, leurs histoires de dragons dévorants tapis dans un cours d’eau ou une fontaine naturelle profonde mais, qu’on les appelle vouivres, dracs, ou de tout autre nom, ces créatures sont toutes repérées à proximité d’anciennes villes romaines qui possédaient un amphithéâtre et y organisaient des chasses. De là à croire qu’un crocodile, ou autre, se faisait de temps en temps la belle… Après tout, il arrive bien aux pompiers de Paris de trouver des alligators dans les égouts !

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