Par des voies mystérieuses et controversées, les reliques de sainte Anne semblent avoir bien débarqué en Provence. Disparues, puis retrouvées, elles y sont vénérées à Apt sans interruption depuis le Moyen Âge, en particulier par les femmes en désir d’enfants.
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Le nom de sainte Anne n’est pas celui que l’on associe d’abord à l’histoire religieuse de la Provence. Ceux de Marie-Madeleine, Marthe et Lazare viennent plus spontanément à l’esprit. Pourtant, la petite ville d’Apt, évêché avant la Révolution, abrite un sanctuaire de l’aïeule du Christ plus ancien et jadis plus fameux qu’Auray, d’où proviennent toutes les reliques de la sainte vénérées dans le monde.
À l’origine de ce culte, se retrouvent les très vénérées saintes Maries de la Mer. Rien d’étonnant à cela puisque, selon la Tradition, Marie Salomé et Marie Cléophas sont les nièces d’Anne. Ce serait donc tout naturellement que, chassées de Palestine lors de la persécution hérodienne de la fin des années trente, abandonnées au milieu de la Méditerranée sur une nef « sans voile ni gouvernail » en compagnie de leurs amis Lazare, Marthe, Marie-Madeleine, Maximin, Zachée et Bérénice, que l’on nomme aussi Véronique, les saintes femmes auraient emporté dans leur exil les restes mortels de leur tante, qui reposait jusque-là dans la vallée de Josaphat, à Jérusalem, près de Joachim son époux.
Débarqué en Provence guidé par les anges, le petit groupe s’est dispersé et, à la mort de Salomé et de Cléophas, les reliques d’Anne ont été confiées à l’une des premières communautés chrétiennes de la région installée à Apta Julia. Elles y auraient été discrètement vénérées jusqu’à ce que l’intensification des persécutions contre les fidèles, à la fin du IIe siècle, et les craintes engendrées, dans les décennies suivantes, par la menace barbare, aient incité l’évêque Auspicius à les mettre à l’abri dans une cachette indécelable. Il les plaça dans une petite armoire dissimulée derrière un mur de la crypte la plus profonde de sa cathédrale et, pour signaler l’importance de ce dépôt, mit devant une lampe allumée, puis fit murer l’endroit.
Hélas, les périls redoutés arrivèrent, Apt fut dévastée et l’on perdit le souvenir de l’existence des reliques. Jusqu’au règne de Charlemagne. Était-ce à la fin du printemps 792, alors que le souverain vient de pacifier la Provence en en chassant les musulmans près de Montmajour, ou à l’été 801, tandis qu’il revient d’avoir été sacré à Rome ? Est-on le jour de Pâques ou le 26 juillet ? Les sources hésitent, mais la suite de l’histoire, elle, est mieux attestée.
Vivait alors à Apt un noble seigneur, le baron de Caseneuve, que le Ciel a bien éprouvé. En effet, Jean, son fils unique, est aveugle et sourd-muet de naissance. Le garçon a maintenant 14 ans et chacun le tient pour débile mental. Pourtant, son père l’emmène chaque dimanche à la messe. Or, en cette fête solennelle qu’honore la présence de l’empereur Charles, Jean de Caseneuve qui, d’ordinaire est sage, se comporte soudain curieusement. Lui qui n’y voit rien semble fixer attentivement un interlocuteur invisible qu’il écoute en souriant. Puis, il se met à frapper furieusement les marches qui mènent au maître autel en poussant des cris rauques et en faisant mine de gratter et de creuser. L’escorte impériale essaie en vain de faire taire l’infirme qui s’agite de plus belle. Alors, l’empereur ordonne d’écouter le simplet et de défoncer le sol là où il l’indique.
Cela fait, l’on découvre une porte et derrière, la crypte qu’Auspicius avait fait murer. On y entre, suivant Jean de Caseneuve qui, tout aveugle qu’il était, se dirige avec une étonnante sûreté. Au bout du souterrain brille une lumière extraordinaire et Jean, radieux, transfiguré, s’écrie d’une voix claire : « Ici est le corps de sainte Anne, mère de la très sainte Vierge Marie Mère de Dieu ! » L’aveugle voyait, le sourd entendait et le muet parlait ! L’on ouvre la niche qui laisse échapper, tandis que s’éteint la lampe miraculeuse qui a brillé si longtemps dedans, un parfum enchanteur. À l’intérieur se trouve en effet un reliquaire portant le nom d’Anne.
S’il faut le dire, cette délicieuse histoire a fait, depuis le XVIIe siècle, l’objet des plus féroces critiques. À en croire de très savants érudits, tout serait faux dans l’affaire. Jamais Salomé et Cléophas n’ont apporté à Apt les restes mortels de leur parente pour l’excellente raison qu’elles n’ont jamais mis les pieds en Provence, pas plus que Marthe, Madeleine, Lazare et les autres. Pures fariboles que tout cela ! Ces reliques n’ont donc pu être cachées dans la crypte de la cathédrale en un temps de périls et les récits, pour circonstanciés qu’ils soient, de leur invention, sont pures forgeries dues à la fertile imagination de clercs médiévaux désireux d’attirer des pèlerins dans leur église. En réalité, ces reliques, si elles sont bien celles de sainte Anne, ce que l’on concède du bout des dents, ont été rapportées de Terre Sainte ou de Constantinople pendant les Croisades.
L’on peut adhérer à l’une ou l’autre de ces versions. Des gens non moins savants, en effet, tiennent pour véridique en plus d’un point l’histoire des Saintes Maries de la Mer et des commencements de l’évangélisation de la Provence ; par conséquent, pourquoi ne pas admettre à l’arrivée des reliques d’Anne avec elles ? Quant à l’histoire de Jean de Caseneuve, elle en rappelle d’autres, plus récentes et que l’Église eut mieux loisir d’étudier sérieusement. À Querrien, en Bretagne, au XVIIe siècle, l’évêque croit à l’apparition de Notre-Dame parce que la petite bergère qu’Elle a choisie pour messagère et qui a retrouvé la statue mariale perdue était, elle aussi, sourde et muette de naissance, et qu’elle fut instantanément guérie de sa double infirmité. Quant à la lumière merveilleuse qui entoure les reliques, elle rappelle celle qui accompagne, en 1803, à Scey, dans le Doubs, le recouvrement de la statue perdue de Notre-Dame du Chêne, prodige dont furent témoins quelques esprits forts.
Quoiqu’il en soit, ce qui est sûr et certain, c’est que sainte Anne est vénérée à Apt dès le Moyen Âge et attire des foules dans la ville. Attesté en Bretagne depuis le VIe siècle, son culte se répand en France en partie sous l’influence de l’épouse du roi Henri Ier, la princesse slave Anne de Kiev, qui, au XIe siècle, fait honorer sa patronne et popularise son prénom. Les croisades ne firent qu’accélérer le mouvement et Apt devient le grand sanctuaire de sainte Anne. Généreux, les évêques en offrent des reliques à qui leur en demandent, notamment au couvent de la Visitation de Chartres, qui reçoit un morceau du crâne de la sainte, mais aussi à Auray, La Palud, Bologne en Italie et au sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré au Québec.
Les riches, nobles et pieux visiteurs se pressent à Apt, dont la reine Anne d’Autriche qui, après s’être rendue à Cotignac remercier Notre-Dame de la naissance de ses deux fils, s’y arrête pour rendre grâces à sa patronne qui, comme chacun sait, pour avoir longuement connu l’épreuve de la stérilité, prête une oreille secourable aux couples en mal d’enfant. La cathédrale possédait d’ailleurs, parmi d’autres trésors, un berceau que l’on présentait comme celui où Anne avait couché Marie et l’usage voulait que les femmes désireuses d’enfanter aillent le remuer. C’était si efficace que l’on disait de celle qui se retrouvait enceinte hors-mariage qu’elle « avait trop remué le berceau de sainte Anne »…
La reine Anne se montra royalement généreuse et, de riche qu’elle était avant sa visite, la chapelle Sainte-Anne de la cathédrale devint splendide. Elle le resta, malgré la Révolution qui épargne le sanctuaire et les reliques car nul n’ose s’en prendre à la sainte aïeule… Peut-être se souvient-on encore à l’époque qu’alors, en 1720-1721, la peste ravageait la Provence et faisait des centaines de milliers de victimes, deux villes ne comptèrent pour ainsi dire ni cas ni de morts : Tarascon où Marthe était vénérée, et Apt où la protection de sainte Anne se révéla hors du commun !
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