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“Reposez-vous un peu !”

CHRIST WITH DISCIPLES
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Jean-Thomas de Beauregard, op - publié le 17/07/21
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Comment articuler le don de soi, qui est au cœur de la sainteté chrétienne, avec la nécessité du repos, qui est bien légitime ?

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Dans la prière de saint Ignace de Loyola adoptée par les scouts du monde entier, on demande : « Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux, […] à donner sans compter, à combattre sans chercher le repos. » Pourtant, Jésus lui-même a commandé aux apôtres : « Reposez-vous un peu » (Mc 6, 31). Ce n’est pas un conseil, mais un précepte formel ! Il y aurait quelque malice de la part d’un dominicain à opposer la prière de saint Ignace de Loyola à l’enseignement de Jésus-Christ. Il y aurait quelque hérésie de la part de quiconque à opposer la mystique sacrificielle du soldat Ignace au christianisme sans peine prôné par un Jésus G.O. au Club Med adepte du farniente. Mais au-delà d’une dialectique facile construite artificiellement à partir d’extraits isolés de leur contexte, il y a une question légitime en ce temps de vacances : comment articuler le don de soi, qui est au cœur de la sainteté chrétienne, avec la nécessité du repos ?

L’exemple de Jésus et des apôtres doit nous éclairer. Le contexte dans lequel Jésus commande aux apôtres de se reposer est celui du retour de mission. Les apôtres avaient été envoyés deux par deux à travers routes et villages pour prêcher, guérir et exorciser. Au cours de leur mission, ils avaient appris la mort de Jean-Baptiste, qui avait été le maître de certains d’entre eux, décapité par Hérode suite aux manœuvres d’Hérodiade et de sa fille. Autrement dit, le commandement du repos intervient après une tournée missionnaire harassante et un événement dramatique sans doute un peu traumatisant. C’est un repos bien mérité.

Jésus enseigne, sans se lasser, au mépris de la fatigue.

Par ailleurs, alors même que Jésus et les disciples se retirent au désert pour y trouver quelque repos, ils sont rejoints par la foule. Ému par la détresse de ces brebis sans berger, Jésus ne se dérobe pas. Il ne cherche pas un autre lieu où demeurer tranquille. Au contraire, il accueille les gens, encore et toujours. Et il les enseigne longuement. Comme si Jésus ne pouvait pas s’empêcher d’être la lumière du monde, qui éclaire tous les hommes. Comme si Jésus ne pouvait pas s’empêcher d’être le Verbe de Dieu, la parole qui sauve le monde. Non pas que cela lui échappe, comme involontairement : tout ce que le Verbe fait chair accomplit en son humanité, il le veut, souverainement. Mais il est venu pour ça, pour nous révéler l’amour du Père. C’est sa personne-même qui est Révélation, il est en lui-même la Parole de Dieu, la Révélation. Alors Jésus enseigne, sans se lasser, au mépris de la fatigue.

Il y a en Jésus, avant même le sacrifice ultime de la Croix, cet abandon et cette remise totale de soi aux hommes. Jésus est offert, totalement, jour et nuit, livré, consumé. Il s’épuise, ne compte pas sa peine ni ses heures. Il ne s’économise pas. Il donne parce qu’il y a des hommes et des femmes autour de lui qui attendent. On retrouve de cette folie chez les saints, par exemple chez un curé d’Ars passant plus de quinze heures par jour au confessionnal. Devant de tels miracles de disponibilité, d’offrande de soi, même les démons doivent reconnaître qu’il y a quelque chose de divin.

Toutefois, l’époque nous interroge : la multiplication des burn-out chez les prêtres, les religieux et religieuses, mais aussi chez les pères et les mères de famille et bien d’autres catégories de personnes, ne doit-elle pas inviter à la modération ? Le père Pascal Ide, théologien et médecin, diagnostique pour notre époque une « maladie du don », qui aboutit à des effets extrêmement néfastes. La « maladie du don » est d’autant plus pernicieuse qu’elle mêle indistinctement un authentique et saint désir d’offrande de soi avec, parfois, des motifs troubles : pélagianisme inconscient de celui qui veut faire le bien et tout le bien possible à la seule force de ses bras en oubliant sa condition de créature et que c’est Dieu qui sauve ; désir de reconnaissance bien naturel, teinté de vanité, qui pousse à la surenchère dans l’activité et le service afin d’y trouver une valorisation de soi.

Face à tous ces dangers encourus dans l’aspiration au don de soi, faut-il donc « se protéger », comme on l’entend souvent ? Il y a sans doute quelque chose de juste dans cette invitation à « se protéger », qui relève de la prudence légitime. L’arc trop tendu finit par se briser, et alors le bien de la communauté (paroisse, famille, entreprise, etc.) qui était recherché au départ est mis en péril. Un maître de novice enseignait à cet égard aux jeunes religieux dont il avait la charge que leur santé relevait désormais, à partir de leur profession religieuse, du bien commun des frères et des fidèles, et qu’ils avaient donc la responsabilité d’en prendre soin en vue du salut des âmes. Il y a donc un discernement à opérer : la charité nous presse, mais quel est le bien qui est recherché — le bien de la situation et le bien des personnes — dans telle activité consentie au risque de l’effondrement physique ou psychologique ? Parfois, le risque doit être pris. Parfois non. À chacun d’en juger.

Demandons au Seigneur de nous apprendre la manière la plus sainte de nous donner pour sa gloire et pour le prochain.

Mais la suite du Christ exige aussi quelque démesure et quelque folie. Le soin des brebis sans berger exige une réponse prompte et généreuse, et non pas un savant calcul en termes d’intérêt et de coût, fussent-ils spirituels. À l’égard des besoins de nos frères, le danger serait de se croire indispensable, mais un autre danger serait de ne pas s’en croire responsable. La communion des saints a ses exigences, et la sainteté, sur ce plan-là comme sur tant d’autres, est une ligne de crête. En ce temps de vacances qui nous donne l’occasion de prendre quelque recul, demandons donc au Seigneur de nous apprendre la manière la plus sainte de nous donner pour sa gloire et pour le prochain, et demandons-lui le discernement afin de connaître les temps et les circonstances pour ajuster notre don de nous-mêmes à ce qu’Il désire.

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