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Certains mots se suffisent à eux-mêmes pour faire naître un sourire et pour réchauffer le cœur. L'été en est un. Bien sûr, parce qu'il annonce les vacances, devenues souvent le moment le plus sacré de l'année, mais aussi parce qu'il donne à la nature tout son élan et lui permet de fleurir et de porter du fruit. Notre relation avec cette saison révèle aussi notre rapport à Dieu et ce qui nourrit notre vie intérieure. En France, nous sommes d'ailleurs privilégiés car bien des pays du monde, sur d'autres continents, ne bénéficient point de cette césure ciselée entre quatre saisons parfaitement autonomes et possédant chacune des caractéristiques qui n'appartiennent qu'à elle. L'été est comme la reine de ce quatuor.
Les peintres ont su faire chanter leurs pinceaux pour planter ces saisons qui nous gouvernent : les enlumineurs médiévaux mettant en valeur les travaux des hommes, Brueghel l'Ancien et tous les Flamands avec lui, les saisons-paysages des Bassano, Poussin inspiré par les épopées bibliques érigeant toute chose en ce monde, ou Arcimboldo laissant libre cours à son imaginaire de fruits et de fleurs d'où surgissent de grotesques visages.
Bizarrement, les poètes sont plus timides, peut-être parce qu'ils excellent davantage lorsqu'ils se penchent sur les sentiments humains. Certains pourtant se lancent courageusement à la poursuite de l'été, tel Rimbaud dans Sensation :
Paul Claudel, plus espiègle, laisse éclater sa joie lorsque le mois de juin annonce le changement de saison dans L'Aube de juin :
Quoi qu'il en soit, l'été réveille l'enthousiasme de tous. Peut-être existent-ils quelques grincheux pour le bouder car ils craignent le soleil et la chaleur des soirées sous les étoiles, mais ils sont rares et ils ne se pavanent pas car ils savent que leur bouderie ne serait guère de mise. Ceux qui croquent l'été à pleines dents ont, en revanche, souvent oubliés quel est le poids spirituel de cette saison chantée par la Révélation et les Saintes Écritures. Lorsque Notre Seigneur essaie d'expliquer à ses disciples ce que sera la Parousie, son retour en gloire, Il emprunte une figure agricole, Lui qui, peu de jours auparavant, avait maudit et desséché un figuier sans fruit car ce n'était point la saison mais qu'Il avait faim :
La restauration de tout l'univers sera comme un nouvel été. Adviendra-t-elle durant cette saison ? Le Christ ne le dit point mais il est sûr que l'été est un temps où, même croyants, nos sens spirituels ne sont guère en alerte et où nous nous laissons souvent aller dans ce domaine. Comme nous y sommes oisifs, profitant de la vie et « nous faisant plaisir » (selon l'horrible expression devenue courante), nous ne sommes plus guère en éveil, à l'opposé de l'automne qui annonce notre propre mort avec celle de la nature, ou, pire, de l'hiver, où tout est prisonnier d'un carcan de froidure et de glace qui gèle les sangs et le cœur. En été, nous nous croyons presque invincibles, hors d'atteinte du temps et de ses flèches. D'ailleurs, l'état dépressif qui accompagne souvent le retour de vacances montre bien que nous avons essayé de nous griser en vain et que la réalité nous rattrape et nous assomme. Il serait donc plus judicieux de vivre cet été en contemplant la nature revigorée comme une promesse de résurrection qui nécessite d'être toujours prêts, de continuer à nourrir son âme et son esprit et pas seulement de bronzer et de muscler, de satisfaire et de chérir son corps.
De plus, sous sa douceur apparente depuis que les vacances occupent le plus clair de nos soucis durant ces mois, l'été est tout aussi rude que les autres saisons. Le paysan d'autrefois le savait bien, lui qui devait moissonner, profond effort et fatigue de tout l'être comme conditions de récolter du fruit. Dans le beau film de Marcel Pagnol d'après le roman de Jean Giono, Regain, se trouve cette scène réaliste où, devant des sacs d'un grain de blé admirable, l'acheteur demande au moissonneur Panturle, un ancien chasseur reconverti en agriculteur, quel est donc son secret pour obtenir un tel résultat. Pour toute réponse, Panturle ouvre ses mains calleuses dont les paumes ne sont plus qu'une plaie à force d'avoir manié la faux. Voilà un visage de l'été qui ne nous est point familier, perdus que nous sommes dans nos loisirs et, même si les paysans de France ne moissonnent plus à la main, il n'en reste pas moins que, tandis que nous nous détendons, d'autres travaillent rudement pour nous, dans notre pays et encore plus dans le reste du monde où, pour tant de peuples, ne brille jamais le soleil de l'insouciance et de l'amusement. L'été lui-même, malgré son énergie et sa robustesse, peut être touché au cœur. Il suffit de peu pour que les grands espoirs de cette saison, soient soudain anéantis par les caprices du ciel permettant à d'autres saisons de faire irruption et de semer le désordre : des pluies torrentielles attendues surtout à l'automne, ou bien cette redoutable grêle qui hache menu tout ce que l'été expose orgueilleusement et imprudemment : "De même que la neige vient mal en été, et les pluies pendant la moisson, de même la gloire ne convient pas à un insensé", serine la sagesse de Salomon dans les Proverbes (26, 1).
L'épreuve ne prend pas de vacances et ne se réfugie pas sous terre pendant que les hommes se précipitent sur les plages et dans les parcs de loisirs. Bien des lendemains déchantent. Comme le dit déjà le prophète Jérémie au peuple d'Israël sourd et aveugle : « La moisson est passée, l'été est fini, et nous, nous n'avons pas été sauvés » (7, 20). Il est toujours surprenant que nous, fidèles catholiques, nous épousions parfois avec autant de légèreté l'air du temps. Les paroisses elles-mêmes en souffrent puisque tout semble être suspendu durant les mois d 'été, la plupart désertant tandis que d'autres demeurent, sans grand soutien spirituel : les vieillards, les malades, les solitaires, les pauvres. Le calendrier liturgique lui aussi semble prendre des vacances, pris dans une vitesse de croisière un peu monotone, à l'exception de la fête de la Transfiguration et de la solennité de l'Assomption, mais cela ne suffit pas pour nous réveiller de notre léthargie, et Notre Seigneur et la Très Sainte Vierge ne sont guère les premiers servis en leurs fêtes respectives en plein cœur du mois d'août consacré au farniente. L'Époux ne préviendra pas de l'heure de son retour, et Il risque bien de trouver les églises et les âmes encore plus désertées qu'en temps normal. Nous ne pourrons pas nous plaindre puisque le Christ nous a enseignés clairement à ce sujet, notamment avec la parabole des vierges folles et des vierges sages, sans cesse représentée aux voussures des portails de cathédrales (Mt 25, 1-13). Par le prophète Amos, l'Éternel avait averti : « Et je frapperai la maison d'hiver avec la maison d'été, et les maisons d'ivoire périront, et des édifices nombreux seront détruits, dit le Seigneur » (Am 3, 15).
Nicolas Poussin, pour ses quatre saisons, choisit de représenter, au sein d'admirables paysages correspondant à chacune, une scène biblique. Ce n'est par hasard si la rencontre de Boaz avec Ruth est l'épisode dépeint pour l'été. Ruth est une pauvresse païenne, une moabite, une veuve, réfugiée à Bethléem avec sa belle-mère et elle doit glaner les épis oubliés par les moissonneurs pour pouvoir survivre. C'est alors qu'elle travaille ainsi durement à la sueur de son front dans les champs qu'elle croise le riche propriétaire, Boaz. Histoire d'amour estivale, mais qui dure : ils s'épousent et elle aura un fils qui sera le père de Jessé, grand-père du roi David. Ruth, l'infidèle et l'étrangère, est à l'origine de la souche de Jessé, cet arbre généalogique qui donnera le Fruit écrasant le fruit du péché originel : Jésus-Christ, vrai homme de la descendance de David, nouveau David, et vrai Dieu. Cela donne d'autres couleurs à notre été sinon bien séculier et très éloigné de la marche vers le Salut qui, elle, ne prend pas de répit.