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Il est des jours on l’on franchit d’étranges records… Ainsi la semaine passée, je pense avoir pulvérisé la durée de communication téléphonique, en un appel : jamais en 53 ans d’existence, il ne m’avait été donné de passer un temps aussi long à discuter avec, qui plus est, un inconnu. Ainsi donc, ce jeudi, j’ai eu la joie de m’entretenir durant quatre heures et dix-huit minutes avec M. Sidi Mohamed, résidant à Tanger au Maroc. Deux cent cinquante-huit minutes, cela vous donne du temps pour faire connaissance. Mon interlocuteur exerce une profession qui, énoncée ainsi n’évoque pas grand-chose pour le commun des mortels. Il est « technicien de niveau 2 ». Ce qui sous-entend qu’il est le recours aux limites du technicien de niveau 1, ce qui déjà n’est pas rien. Il travaille, le cher homme, pour un fabricant de logiciels ayant une situation de quasi-monopole sur le marché des tableurs, traitements de texte et autres supports à la présentation d’exposés passionnants !
Je me retrouvais pour ma part dans le rôle de l’heureux propriétaire d’un ordinateur très sophistiqué mais incapable par ailleurs d’y installer lesdits logiciels essentiels, par exemple, pour rédiger ces quelques lignes. Après des heures d’essais infructueux, l’appel à des amis dont j’éprouvais une fois encore la patience admirable, des phénomènes inexpliqués continuaient d’empêcher l’opération réputée pourtant à la portée d’un enfant à peine alphabétisé… Ne restait plus que la possibilité d’appeler cette fameuse « ligne chaude » porteuse de toutes les promesses. Il faut le souligner : on n’y perd pas son temps à écouter de longues minutes les enregistrements habituels. À peine après avoir tapé sur la touche 1, qu’une voix bien humaine vous salue et vous assure de son écoute et de sa compassion. L’homme de la situation, M. Sidi Mohamed donc, fut à la hauteur des espoirs suscités. Il lui fallut tout de même plus de quatre heures durant lesquelles, impassible, il supporta mes moments d’agacement, mes explications cafouilleuses et des imbroglios numériques manifestement peu communs, pour permettre que ce qui devait se réaliser en quelques secondes puisse finalement être.
Outre l’hommage qu’il m’est ici permis de lui rendre, une telle situation nous donne de réfléchir. Tout d’abord sur ces hommes et ces femmes qui œuvrent en soutien à notre monde d’hyper-technologie. Ils subissent souvent les énervements d’utilisateurs qui ne comprennent rien à ce qu’on leur fait acheter ou utiliser mais qui n’ont retenu qu’une chose des engagements qui vont avec : « L’appareil doit fonctionner. » Car en plus d’une sophistication extrême, il y a l’exigence de résultat : « Au prix payé, on veut la garantie de l’efficacité. »
Ils sont, ces anges invisibles et anonymes, bien loin de nous géographiquement même s’ils peuvent se glisser dans nos écrans pour mettre de l’ordre dans nos cerveaux informatiques. Ils sont aussi, probablement, assez mal rémunérés, en tout cas à des salaires que nos concitoyens refuseraient fermement. Ils n’ignorent probablement pas grand-chose de ce qui fait notre quotidien, en tout cas tel que nos ordinateurs ou nos téléphones peuvent en faire mémoire. Il y a quelque chose de touchant de se dire qu’un technicien de niveau 2 marocain a pu ainsi aider un curé français à se servir d’une machine sur laquelle seront écrits des textes que toutes sortes de personnes pourront lire peut-être.
Nous savons bien que notre monde fonctionne de plus en plus ainsi : que nous sommes devenus inextricablement et techniquement dépendants les uns des autres. Certains y voient un danger ou une fragilité. Je pense quant à moi qu’il y a plutôt lieu de s’en réjouir. Cela nous évite la folle tentation de nous penser autosuffisants, et nous oblige donc à prendre en compte en plus de nos besoins personnels, les effets qu’ils impliquent pour ceux qui en sont les artisans et parfois les esclaves. Il ne serait d’ailleurs pas forcément mauvais que ceux qui pensent du mal des Marocains par exemple, se souviennent qu’un jour peut-être, ils auront besoin de l’un d’eux pour taper sur le clavier de son portable. Comme nous avons besoin des mineurs du Congo et des enfants de Chine pour jouir d’un téléphone, ou de ceux du Bangladesh pour nous vêtir à vil prix. Et que ces souvenirs nous fassent prendre conscience des devoirs qui sont les nôtres envers tous ces gens-là qui sont bien des vivants, des hommes, des femmes, qui, pourquoi pas, un jour nous accueilleront au Royaume des cieux.