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Le grand réalisateur hollywoodien Cecil B. DeMille s’est saisi avec "Le Signe de la Croix" d’un thème important du christianisme, à savoir la diffusion de la foi dans tout l’espace géographique de l’Empire romain jusqu’au cœur de sa capitale au Ier siècle après Jésus-Christ. Une période trouble durant laquelle les premiers chrétiens de Rome sont persécutés et considérés comme une menace pour le pouvoir.
Tourné en 1932 pour la Paramount, où il fera figure de précurseur d’une longue lignée de péplums, ce long-métrage de plus de 2 heures peut encore impressionner le spectateur près d’un siècle après sa sortie. Nous sommes, à cette époque, à peine sortis du cinéma muet qui s’éteint à la fin des années 1920, mais dont certains traits sont encore bien perceptibles avec ces visages déclamant leur rôle face à la caméra afin de mieux transmettre leurs émotions. Malgré les lendemains difficiles de la crise de 1929, une certaine grandeur commence à poindre sous la caméra de B. DeMille avec ce thème puissant de la persécution des chrétiens et de leurs martyrs sous le règne de Néron. L’empereur profite en effet d’un incendie qu’il a provoqué afin de mieux rénover la ville selon ses goûts de grandeur pour faire porter son méfait sur les chrétiens accusés de tous les maux. Débute alors une terrible persécution, relatée en ce Ier siècle par l’historien Tacite dans ses Annales, et au siècle suivant par Tertullien, conduisant à la mort des apôtres Pierre et Paul.
Cecil B. DeMille n’a pas encore adopté, avec ce film, le gigantisme qui le caractérisera par la suite. Une analyse des caractères et une certaine finesse psychologique priment dans certaines scènes, moins connu que ceux qu’il réalisera par la suite tels Les Dix Commandements ou Samson et Dalila. Des plans introspectifs sensibles sont en effet tournés par le réalisateur, privilégiant une évocation épurée de la foi naissante des premiers chrétiens dans la clandestinité romaine. Ces assemblées de chrétiens, persécutés dans les catacombes ou les bois sous les chants des psaumes, et le partage de la parole contrastent avec la férocité de Néron, ici, plus vrai que nature sous les traits du grand acteur d’origine britannique, Charles Laughton.
Il n’empêche qu’en contrepoint de cette dimension introspective, la représentation de la cruauté romaine alimente bien des passages de ce film. Une cruauté, certainement très osée pour l’époque, et qui demeure dérangeante, voire suspecte, de nos jours. Qu’il s’agisse de la cour de la scandaleuse impératrice Poppée, interprétée avec bonheur par Claudette Colbert, ou encore des massacres lors des jeux du cirque. Un sadisme certain s’introduit sur de larges plans, triste prélude de ce qui allait suivre au cinéma les décennies suivantes…
Curieusement, par un troublant retour de l’Histoire, évoquer à l’écran les pires cruautés des tyrans antiques sert encore au XXe siècle à assurer le divertissement et l’entertainement du plus grand nombre. Une fascination rejoignant l’affirmation en ce Ier siècle du philosophe romain Sénèque dénonçant le fait qu’un empereur ait ordonné un combat d’éléphants écrasant des hommes sous leur poids et soulignant qu’ « Il valait mieux laisser de pareils actes dans l'oubli, de peur qu'un jour quelque homme puissant ne vînt à les apprendre et ne voulut enchérir sur ces excès d'inhumanité. » (De la Brièveté de la vie). Les siècles suivants lui donneront malheureusement raison.
La célèbre scène du bain de l’impératrice dans sa piscine de porphyre emplie de lait d’ânesse, historiquement avérée, tout comme l’impressionnant incendie de Rome dans les premières minutes du film et nécessitant quatre mille figurants, jouent avec les codes moraux pourtant très stricts en ce début des années 30. Cette transgression du rigoriste code Hays à Hollywood marque le caractère ambivalent de ce péplum en noir et blanc. Par ailleurs, quelques inexactitudes s’immiscent, ici où là, notamment avec la prétendue mort de Tite, compagnon de Paul, à Rome alors que le disciple du Christ aurait fini ses jours en Crète. Ou encore l’emploi de la croix comme signe de reconnaissance des premiers chrétiens au lieu du poisson plus répandu alors, la croix n’apparaissant dans l’histoire chrétienne qu’aux siècles suivants.
Reste, cependant, que l’amour crescendo entre la jeune chrétienne interprétée par Elissa Landi et le préfet de Rome, joué par Fredric March, anticipant sur la scène finale qui restera célèbre du film Quo Vadis de Mervyn LeRoy en 1951, confère à ce film "Le Signe de la Croix" un regard émouvant sur les premières communautés chrétiennes à Rome vues par le 7e art.