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La forme extraordinaire du rite romain est-elle menacée ? Pour certains tradis c'est une certitude, surtout depuis la rupture, largement commentée, entre le diocèse de Dijon et la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP). Installée depuis une vingtaine d’années dans le diocèse, la FSSP ne sera plus présente l’année prochaine à la demande expresse de l’évêque de Dijon, Mgr Minnerath qui déplore le refus des prêtres de cette communauté "Ecclesia Dei" de célébrer la messe selon la forme ordinaire du rite, même occasionnellement. Un choix qui intervient un peu plus d'un an après que le pape a ordonné une enquête sur le rite extraordinaire auprès de tous les évêques. Il veut savoir comment est appliqué le motu proprio Summorum Pontificum de 2007 par lequel le pape Benoît XVI a facilité l’usage de la liturgie selon le Missel de saint Pie V en vigueur avant le concile Vatican II. Parmi les questions posées aux évêques, on leur demandait notamment d’évaluer si l’emploi de la forme extraordinaire dans leur diocèse correspond à un "vrai besoin pastoral" et si les normes du motu proprio sont bien respectées.
Alors que plusieurs médias se font aujourd’hui l’écho d’une possible révision par le pape François de ce décret, il faut revenir sur sa courte – et agitée – histoire. Le 7 juillet 2007, après de "longues réflexions, de multiples consultations, et de la prière", le pape Benoît XVI publie un motu proprio appelé Summorum Pontificum – d’après les deux premiers mots du décret rédigé en latin qui signifient en français : Les Souverains pontifes. La lettre apostolique du pontife allemand énonce les deux formes du rite romain : l’une "ordinaire", selon le missel romain postérieur à Vatican II, publié par le pape Paul VI en 1969. Celle-ci généralise notamment l’usage des langues vernaculaires. L’autre "extraordinaire", selon le missel de saint Pie V édité pour la dernière fois par Jean XXIII en 1962, est célébrée en latin par un prêtre qui tourne le dos au peuple.
Dans les faits, le missel de saint Pie V n’a jamais été juridiquement abrogé. Lors de l’introduction du nouveau missel, au lendemain de Vatican II, il n’a pas semblé nécessaire de publier des normes propres concernant le missel antérieur. Rapidement, commente Benoît XVI dans une "lettre aux évêques" qui accompagne le motu proprio, les catholiques qui étaient restés attachés au rite tridentin — en référence au concile de Trente qui l’établit — et qui, contrairement au "mouvement conduit par l’archevêque Mgr Lefebvre", acceptaient clairement "le caractère contraignant du Concile Vatican II", par fidélité au pape et aux évêques, ont manifesté le désir de retrouver "la forme de la sainte Liturgie qui leur était chère".
Jean Paul II y a apporté une première réponse avec l’indult spécial Quattuor abhinc annos, publié en 1984 par la Congrégation pour le culte divin, en concédant d’abord, sous certaines conditions, la possibilité de reprendre l’usage du Missel promulgué par Jean XXIII en 1962. Quatre ans plus tard, en 1988, avec le motu proprio Ecclesia Dei, Jean Paul II donne un premier cadre normatif pour l’usage du missel de 1962 et charge une commission du même nom de veiller à l’organisation des communautés "traditionalistes" dans le monde. Sans fournir de prescriptions détaillées, le texte fait appel à la générosité des évêques envers les "justes aspirations" des fidèles qui réclament cet usage du rite romain.
Au moment de l’élection comme évêque de Rome de Joseph Ratzinger, la réconciliation souhaitée par Jean Paul II avec la fraternité Saint-Pie-X – fondée par Mgr Lefebvre en 1970 – "n’a malheureusement pas encore réussi", regrette le pontife allemand. En dehors de ces groupes, "la question de l’usage du Missel de 1962 est restée difficile", les évêques craignant que l’autorité du Concile soit remise en cause. En outre, Benoît XVI constate que le recours à la messe en latin ne se limite pas "à la génération plus âgée, celle qui avait grandi avec lui", mais concerne aussi les plus jeunes qui se sentent "attirés" par cette forme liturgique.
Jusqu’à 2007, donc, les prêtres et les fidèles qui souhaitaient célébrer la messe traditionnelle en latin devaient demander une autorisation explicite à leur évêque. Cette messe ne pouvait être proposée qu’à ceux qui en faisaient la demande, ne pouvait pas figurer au calendrier normal des messes dans les églises paroissiales, et l’évêque pouvait fixer des jours et des conditions spécifiques pour sa célébration.
Soucieux de "parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Église", Benoît XVI remplace les normes de Quattuor abhinc annos par le motu proprio Summorum pontificum, qui entre en vigueur le 14 septembre 2007, en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix. Un tel document élargit l’accès à la messe en latin, en permettant aux prêtres qui le souhaitent de célébrer la forme extraordinaire du rite, sans peuple ou avec les fidèles qui le veulent, et en encourageant les fidèles qui le désirent à assister à la messe de Pie V de s’adresser à leur évêque ou même au Vatican si leur demande n’était pas satisfaite. Le Souverain pontife insiste alors sur le fait que les deux formes de messe "n’entraîneront en aucun cas une division" dans la foi de l’Église, "car il s’agit de deux usages de l’unique rite romain".
Dans le même temps, Benoît XVI, considérant que, dans la fracture avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, la fidélité au missel ancien était devenue un "signe distinctif extérieur", invite à rechercher les raisons de cette fracture « plus en profondeur » et ne tarde pas à rattacher la commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la doctrine de la foi, avec le motu proprio Ecclesiae unitatem, en juillet 2009.
Pour autant, dès la publication de Summorum pontificum, Benoît XVI fait part des craintes légitimes que pourrait susciter un tel document : le risque d’amenuiser l’autorité de Vatican II, d’une part, et notamment de la réforme liturgique ; celui de générer des désordres, voire des fractures dans les communautés paroissiales, d’autre part. Dans sa lettre aux évêques, il leur demande de lui soumettre un compte-rendu de leurs expériences, trois ans après l’entrée en vigueur du motu proprio.
Dans la foulée, en 2011, la Commission Ecclesia Dei publie une instruction d’application intitulée Universae Ecclesiae. Ce document fournit de nouvelles normes concernant le rôle de l’évêque diocésain, du groupe stable de fidèles et du prêtre célébrant selon la forme extraordinaire. Il établit la faculté de réciter les lectures de la messe en langue vernaculaire uniquement pour les messes lues, de célébrer le Triduum pascal sous une forme extraordinaire. Il prévoit également que les séminaristes devront apprendre à célébrer selon les deux formes du rite romain.
Il faudra attendre une décennie pour dresser un premier bilan de Summorum pontificum. En France, où la question est particulièrement sensible, la Commission épiscopale pour la liturgie et la pastorale sacramentelle publie, en 2017, un premier chiffre. Dans l’Hexagone, le nombre de lieux de culte proposant la forme extraordinaire a presque doublé en dix ans, passant de 124 à 230, comme aux États-Unis, où le nombre est passé de 230 à 480, et ce sans compter la Fraternité Saint-Pie-X. À la même date, Mgr Guy de Kerimel, évêque de Grenoble-Vienne et président de cette Commission, confie à La Croix que, globalement, cette application "se passe bien", grâce à une démarche "de dialogue et d’écoute mutuelle".
La publication du motu proprio manifeste une intention louable mais qui ne porte pas les fruits attendus.
Trois ans plus tard, en mars 2020, la Congrégation pour la doctrine de la foi, à la demande du pape François, lance une enquête auprès de toutes les conférences épiscopales pour évaluer l’application de Summorum pontificum. L’enquête comporte des questions sur "les aspects positifs ou négatifs de l’utilisation de la forme extraordinaire" du rite romain, son "influence sur la vie des séminaires" ou sur le fait de savoir si elle répond "à un véritable besoin pastoral" ou est "promue par un seul prêtre".
Dans le rapport en réponse à ce questionnaire, publié en janvier 2021 par un média traditionaliste, la Conférence des évêques de France (CEF) conclut que "la publication du motu proprio manifeste une intention louable mais qui ne porte pas les fruits attendus". Si la situation semble apaisée dans la plupart des diocèses interrogés, les évêques regrettent que le motu proprio ne fasse pas, en revanche, "grandir la communion". En outre, le rapport de la CEF révèle que, malgré les recommandations de Summorum pontificum, la concélébration reste parfois un sujet de tension, certains prêtres célébrant selon la forme extraordinaire refusant de célébrer ou concélébrer selon la forme ordinaire. Les évêques soulignent aussi la difficile harmonie entre « anciens » et « nouveaux » calendriers liturgiques et lectionnaires, source de désunions au sein des diocèses.
Le Pape, qui voit dans cette situation le risque d’une “Église à deux vitesses” et désunie, pourrait, selon certaines voix, publier prochainement une note sur le sujet. Quatorze ans après sa publication par Benoît XVI, Summorum pontificum pose encore des difficultés dans son application.
EDIT mercredi 30 juin à 15h20 - Pour plus de clarté, la rédaction vient de préciser le contenu du rapport de la CEF et notamment les difficultés rencontrées à propos des calendriers liturgiques et des lectionnaires.