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En ces jours, dans un certain nombre de diocèses de France ou de communautés, des ordinations sont célébrées. Les cloches sonnent à la volée, les sourires et les « merci » fusent des visages des foules qui viennent entourer les nouveaux prêtres avant de recevoir leurs bénédictions. Ces hommes, jeunes, enthousiastes, souvent fort bien formés, ont un désir chevillé au cœur : servir. Ils ont grandi dans un pays où ils savent — parce qu’ils le constatent depuis leur naissance — que la foi n’est plus l’affaire explicite de grand monde. Ils n’ont pas connu une « France chrétienne » à la différence de ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont plus de 50 ans et peuvent donc encore en avoir le souvenir, sinon la nostalgie. Ils intègrent des presbyterium variés selon les lieux où ils ont été ordonnés. Mais quelle qu’en soit la cathédrale, l’Église locale où ils vont désormais exercer leurs missions vit une période de crise profonde. Une crise que l’on pourrait résumer en une formule laconique et provocante : de nouveaux prêtres, pour quoi faire ? S’agit-il de leur demander de reproduire les mêmes schémas géographiques, pastoraux que leurs prédécesseurs ?
Le propre de la jeunesse est d’être créative. Chacun de ces nouveaux prêtres arrive là où il est nommé avec des idées, des projets, des ambitions : ils veulent toucher les cœurs, sanctifier les âmes, ouvrir les intelligences… Et ils auraient bien tort de ne pas entrer dans cette vie avec cette fougue, cette passion. Tous ceux qui furent jeunes un jour savent combien il est difficile, non pas seulement d’entendre mais aussi d’écouter les conseils des aînés. N’en étant pas un de si longue date, je me permets d’écrire ces mots que l’un ou l’autre de mes cadets pourra peut-être, distraitement, lire un jour et, qui sait, en nourrir au bout du compte son désir et son cœur.
Cher ami...
Te voici prêtre désormais. Ce que ton baptême ouvrit comme dimension pour ta vie, l’Église désormais t’en confie la mission. Au milieu de tes frères chrétiens, baptisé parmi eux, tu reçois la charge de conduire leur prière, de rendre disponible la présence du Christ qui se donne en nourriture et qui se révèle en chacun de nos visages.
Le monde dans lequel tu exerceras ce ministère change à vive allure. Si rapidement, que tu peux être certain qu’il est à des années lumières de celui dans lequel tu célèbreras tes cinquante ans d’ordination ! L’Église dont tu es membre veut être présente au cœur de ce monde, non pour le gouverner ou le formater mais pour y faire entendre les battements du cœur même de Jésus. Si elle demeure fidèle à sa vocation, il y a de fortes chances alors qu’elle voit son visage se modifier lui aussi. Un prêtre ordonné en 1921 pouvait raisonnablement penser que la manière dont il aurait à exercer son sacerdoce serait à peu près identique à ce qu’il avait observé chez les prêtres côtoyés jusqu’alors. Il se trompait : cinquante ans plus tard, le monde avait profondément évolué, et l’Église l’avait accompagné non par souci mondain comme le disent souvent les observateurs ignorants, mais par zèle missionnaire.
Des hommes qui "envoient"
Qu’en sera-t-il pour toi ? On ne peut se préparer au changement parce qu’on ne peut l’anticiper sur le fonds et qu’à peine sur la forme. La seule manière de le vivre, me semble-t-il, est de s’accrocher au Christ qui chemine à nos côtés comme un frère. Être attentif à sa voix, à ses signes, non pas simplement dans les manuels ou les missels que nous avons tant de fois feuilletés pendant ces années de séminaire, mais dans les visages de ces frères et sœurs baptisés au milieu desquels tu es envoyé pour servir. Eux aussi sont prophètes, et rois, et prêtres. Ils sont, par leurs familles, leurs réseaux, leurs métiers, leurs engagements, au cœur de l’humanité. Ils en expérimentent au quotidien les espoirs et les douleurs, les doutes et les jugements… Notre tâche, à nous, prêtres, est d’être pour eux des hommes qui encouragent, qui écoutent, qui conseillent aussi, mais pas d’abord. Des hommes qui accompagnent plutôt que de diriger, mais surtout des hommes qui ne cessent de les envoyer : "Allez-y ! N’ayez pas peur ! Il est avec vous !"
Si nous présidons l’Eucharistie, si nous prononçons les paroles de l’absolution, si nous recevons les consentements des jeunes époux, si nous catéchisons, si nous prêchons, si nous enseignons, si nous lançons des projets avec fougue, essayons toujours de le faire pour permettre à ces hommes, à ces femmes, d’y trouver force, inspiration et nourriture afin de témoigner dans le monde de l’Amour dont Dieu, en Jésus Christ aime chacun.
En 1921, nos prédécesseurs, dans les presbytères où nous vivons, dépensaient tout leur temps et leur énergie pour une population dont plus d’un tiers était pratiquante. En 1971, leurs suivants se donnaient sans compter pour 20% de pratiquants. Aujourd’hui avec la même ardeur nous rassemblons chaque dimanche 4% de nos concitoyens dans nos églises. Comme le dit le pape François, la question n’est plus d’aller chercher la centième brebis qui s’est égarée, mais de ne pas consacrer toutes nos forces pour la seule brebis qui est encore là ! Que ton ambition soit de permettre à ceux qui partagent ton profond désir de porter l’Évangile aux quatre coins du monde, de ne pas s’installer dans ce rôle de la dernière brebis. Que ce soit le lieu de ta joie : révéler à chacun que le Christ l’appelle à le suivre comme un frère et l’aider à ne pas en avoir peur.
Ne te laisse pas sacraliser, diviniser, idolâtrer. Refuse la caricature que la société, mais aussi la communauté chrétienne, peuvent donner du sacerdoce. Tout cela t’entraînerait sur des chemins de perdition, et loin donc de ta vocation, en contribuant à élever des murs rebutants pour nombre de ceux qui cherchent aujourd’hui le lieu de la source où ils puissent étancher leur soif d’absolu et de sens.
J’ai commencé ce message par ces mots : "Cher ami". Nous étions déjà frères par le baptême, enfantés par le même Amour gracieux. Nous voici désormais, par l’ordination reçue, appelés à devenir "amis" dans le Seigneur pour que par nous, tout homme puisse découvrir combien Dieu veut être son Ami. Que rien, ni querelle ni rubrique, ne puisse atteindre cette amitié sacramentelle : elle est la condition de notre témoignage et, au final, de notre mission. Bon vent pour cette vie formidable dans laquelle nous sommes nombreux à te précéder et où beaucoup, dans le monde, te suivront. Sois en sûr !