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Jésus est un homme à femmes. Il a conservé la chasteté et le célibat toute sa vie, il n’a choisi que des hommes pour former le collège apostolique, mais il s’est toujours entouré de femmes. Ce sont des femmes qui nous disent l’essentiel sur Jésus, souvent en peu de mots, comme la Vierge Marie ou Marie-Madeleine. C’est aussi Jésus qui nous révèle, par son attitude, quelque chose du mystère de la femme. C'est ce dont témoigne l’évangile de la résurrection de la fille de Jaïre et de l'hémoroïsse (Lc 8, 41-56) dont la tonalité très féminine doit être examinée de près. Ce récit nous présente en effet deux femmes, d’âge différent. Entre elles, il y a un lien mystérieux.
Deux femmes qui souffrent
D’un côté, il y a cette jeune fille, de la famille d’un chef de synagogue nommé Jaïre. On ne connaît pas son prénom à elle, mais on nous précise qu’elle a douze ans, c’est-à-dire l’âge où va bientôt commencer pour elle une série de bouleversements physiologiques qui feront d’elle une femme, capable d’accueillir la vie en elle. Il lui faudra du temps pour en être capable psychologiquement, affectivement, spirituellement, mais déjà son corps se transforme en vue de cet épanouissement de la féminité. Mais, le drame, c’est que la mort l’emporte précisément au seuil de cette transformation au service de la vie.
De l’autre côté, il y a cette femme d’âge mûr, qui s’approche pour être guérie par Jésus. Elle aussi reste anonyme. On sait seulement qu’elle souffrait d’hémorragies depuis douze ans, soit l’âge exact de la jeune fille. Ces douze années relient nos deux anonymes, comme si la souffrance forcément unique de chacune d’entre elle avait pourtant sa jumelle en l’autre. Une hypothèse peut être risquée, concernant la femme d’âge mûr : ces hémorragies récurrentes depuis douze ans, on comprend à demi-mot qu’elles se produisent chaque mois, à date à peu près fixe, et viennent troubler, parasiter le moment où le corps de la femme s’épanouit pour être fécond et apte à recevoir la vie. Ce qui devrait être pour cette femme un accomplissement est devenu un calvaire, qui la crucifie dans son être intime de femme. La possibilité de la vie devient pour elle synonyme de douleur et de mort.
Grâce à un contact, même furtif
La tonalité spécifiquement féminine de ce récit d’Évangile ressort non seulement de l’identité de ses personnages principaux et de ce qui se joue dans leur corps, mais encore de la manière dont le récit est mené. En effet, c’est un des seuls endroits où l’évangéliste nous donne accès aux intentions cachées de ses personnages, à leurs pensées intimes. D’habitude, dans l’Écriture, on ne connaît les personnages que par leurs actes. C’est parfois frustrant pour les modernes que nous sommes. On aimerait de temps en temps quelques détails sur les motifs, les intentions, les ressorts intimes d’une action. Ici, pour une fois, nous sommes comblés. La psychologie de cette femme d’âge mûr nous est dévoilée. Elle imagine, elle se projette, elle se fait un film, tout ça avant même d’agir, alors qu’un homme ferait plutôt le contraire, ce qui ne donne pas toujours des résultats plus heureux.
À première vue, l’enseignement principal de ce récit a trait à la foi et à la manière dont Dieu sauve. Le simple contact de la femme d’âge mur avec le manteau de Jésus la sauve, et presque simultanément, la jeune fille morte revient à la vie, avant même que Jésus l’ait touchée. Car lorsque Jésus, quelques temps après, vient dans la maison de Jaïre, il affirme qu’elle n’est pas morte, qu’elle dort seulement, ce qui signifie que le miracle a déjà été accompli. Au passage, on observe d’un côté que la foi de Jaïre a sauvé sa fille, et de l’autre côté que Jésus produit des miracles presque par inadvertance. Comme si Jésus ne pouvait pas s’empêcher, même sans s’en rendre compte, de sauver, parce que c’est non seulement sa mission mais ce qu’il est au plus profond de lui-même : le Sauveur. Un contact même furtif, même de l’extérieur — la frange du manteau — suffit parfois à sauver, de même qu’un contact même furtif, même de l’extérieur, avec la tunique sans couture du Christ qu’est l’Église peut suffire à sauver tout homme.
Il sauve tout dans la femme
Mais le caractère spécifiquement féminin du récit nous a mis sur une autre piste. Et un indice supplémentaire, discret, nous confirme dans cette autre piste. Car Jésus choisit, pour venir avec lui dans la maison de Jaïre, de ne se faire accompagner que de Pierre, Jacques et Jean, à l’exclusion de tous les autres. Cela ne se produit qu’en deux autres occasions seulement dans l’Évangile : lors de la Transfiguration sur le mont Thabor, puis lors de l’agonie à Gethsémani, où d’ailleurs Jésus dans son angoisse transpire des gouttes de sang. Qu’est-ce qui peut bien unir la Transfiguration au Thabor, l’agonie à Gethsémani, et ce double miracle auprès de cette jeune fille et de cette femme ?
Ce n’est pas succomber à un féminisme à la mode que de lire ce double miracle sous l’angle de la femme et du corps.
Cet autre enseignement, où le mystère de la femme est plus directement engagé, et où l’on comprend mieux le lien entre ce récit d’une part, et la Transfiguration et l’agonie d’autre part, c’est que rien n’est étranger à Jésus. Il est venu sauver tout l’homme, et tout dans l’homme, toute la femme et tout dans la femme. À la Transfiguration, c’est le corps de Jésus qui a été glorifié. À l’agonie, avant qu’il ne soit livré aux mains des pécheurs, c’est le corps de Jésus qui a transpiré des gouttes de sang.
Le message du corps
Ce que ce récit d’Évangile nous enseigne, c’est que Jésus est venu sauver notre âme mais aussi notre corps, jusques et y compris dans sa dimension sexuée la plus intime. Ce qui pourrait être méprisé comme une histoire sordide d’hormones, de cycle, etc., indigne a priori de la transcendance infinie de ce Dieu qui habite une lumière inaccessible, revêt au contraire une importance considérable aux yeux mêmes de Dieu. Cela, il fallait ces deux femmes, sans visage et sans nom mais pas sans corps, pour nous l’enseigner. Il fallait que ce soient des femmes, car elles ont le plus souvent un rapport plus conscient à leur propre corps que les hommes ne l’ont avec le leur. Temple de l’Esprit saint, sanctuaire de la vie, le corps féminin, avec ses rythmes et sa respiration intime, est pour la femme comme pour son époux un lieu d’apprentissage de la communion et de l’union à Dieu.
Ce corps ne doit pas pour autant être immédiatement idéalisé et spiritualisé comme par une fuite des réalités. Il y a parfois dans l’inflation récente du discours sur le corps dans la théologie et la pastorale chrétienne à la suite de saint Jean Paul II un risque paradoxal d’ériger d’emblée le corps au niveau du sublime. Ce piège doit être évité par le recours au sain réalisme de l’Évangile, dont un détail du récit de ce jour ne trompe pas : après qu’il a ressuscité la fille de Jaïre, Jésus commande qu’on garde la discrétion sur ce miracle — c’est le secret messianique si important chez Marc —, mais il commande surtout et d’abord qu’on la fasse manger ! Pas d’évasion mystique ! La jeune fille miraculée a été restaurée dans sa santé, il ne s’agit pas qu’elle se laisse mourir à nouveau d’inanition.
Ce n’est pas succomber à un féminisme à la mode que de lire ce double miracle sous l’angle de la femme et du corps. Il s’agit simplement d’entrer dans une dimension plus cachée du mystère de Jésus et du Salut qu’il est venu accomplir. C’est tout l’homme et tout dans l’homme, que Jésus est venu sauver. Qu’il faille des femmes pour nous l’enseigner n’a rien de surprenant.