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"Nous sommes sous pression du régime. Il a saisi un terrain appartenant à l’Église chaldéenne, il vient de renvoyer une religieuse italienne qui vivait en Iran depuis 26 ans…". Les motifs d’inquiétude sont nombreux pour ce chrétien iranien. Il pense notamment à sœur Giuseppina Berti, âgée de 75 ans et qui travaillait à la léproserie de Tabriz, au nord du pays. Son visa n’a pas été renouvelé, l’obligeant à abandonner sa mission. C’est aussi à son histoire personnelle qu’il fait référence. Notre interlocuteur, qui souhaite garder l’anonymat, a lui-même connu les geôles iraniennes "'sous Rohani", précise-t-il, "celui dont on disait qu’il était un réformateur !". Il se sait surveillé et ne nous dira pas son nom.
Dernier élément pour compléter ce tableau assez sombre, Ebrahim Raïssi, chef de l’Autorité judiciaire iranienne, a remporté sans surprise l’élection présidentielle du 18 juin dernier. Un résultat qu’il voit, contre toute attente, comme une victoire des Iraniens contre un gouvernement largement honni. Si le candidat élu s’inscrit dans la droite ligne des conservateurs iraniens les plus radicaux, le vrai vainqueur du scrutin de vendredi 18 juin est l’abstention. Avec un taux de participation de moins de 50%, les Iraniens ont massivement "voté" - en restant chez eux – contre le régime. "Il n’y avait aucun candidat pour s’opposer à Raïssi, regrette notre interlocuteur. Donc la meilleure façon de manifester notre mécontentement était de rester chez nous !". Il faut préciser que les candidats à l’élection présidentielle iranienne doivent obtenir l’aval du Conseil des Gardiens de la Constitution. Un Conseil aux ordres du Guide Suprême, le véritable détenteur du pouvoir iranien.
En 2021, Ali Khamenei, le Guide suprême iranien n’a laissé passer aucun réformateur capable d’affronter Raïssi. Ce dernier est surtout connu pour avoir participé à la "commission de la mort", une délégation de quatre juges islamistes et de responsables de la sécurité, désignés en 1988 par l’Ayatollah Khomeiny pour purger les prisons iraniennes des "ennemis de Dieu".
"Selon une opinion largement partagée, le Guide suprême Ali Khamenei aurait forcé l’élection de Raïssi pour que celui-ci dispose d’une expérience politique avant de lui succéder. Mais je pense que l’on peut faire une autre lecture", affirme Michel Makinsky, géopoliticien et conférencier spécialiste de l’Iran. "Ali Khamenei sait que Ebrahim Raïssi est incompétent. En le nommant Président, il l’a mis dans une situation qui risque de le griller, aux yeux de l’opinion publique." Décrédibilisé, Raïssi ne pourrait plus, selon cette analyse, concourir pour le seul poste qui compte vraiment : celui de Gardien de la Révolution. Un poste détenu depuis 1989 par Ali Khamenei. Ce dernier est âgé de 82 ans et sa santé n’est pas bonne.
En novembre 2019, des manifestations inédites dans le pays avaient secoué les grandes villes. Elles ont repris en janvier 2020 après les mensonges des autorités iraniennes au sujet du crash du vol 752 Ukraine International Airlines. À chaque fois, la police a réagi violemment et rapidement. Faute de pouvoir exprimer ouvertement leur opposition au pouvoir autoritaire qui les tient, les Iraniens se défoulent dans leurs actes du quotidien. Michel Makinsky décrit : "Quand un mollah intervient à la télévision, le téléspectateur zappe… Les mosquées sont vides… La population ne supporte plus ce clergé moralisateur et opulent. Cela se traduit aussi politiquement puisque lors des élections législatives de 2020, pour la première fois, il y a eu plus de femmes élues que de clercs au Madjles, le parlement iranien."
En 1979, les révolutionnaires promettaient un État fort, au service d’un gouvernement certes strict, mais juste. Le vernis religieux qui a pu convaincre une partie des Iraniens est tombé, il ne reste plus qu’une caste, les Gardiens de la révolution, qui conserve le pouvoir par la force brute. Cette situation terrible a au moins le mérite de la clarté.