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Entre l’apparition des premiers cas de SARS-CoV-2 et la pandémie mondiale, quelques mois à peine ont suffi à bousculer les pays du monde entier. Docteur en médecine et président de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques (FIAMC), Bernard Ars revient pour Aleteia sur l'enchaînement de ces événements qui ont bouleversé la planète. Allant même plus loin, il explique comment les mesures prises face à cette pandémie font elles aussi vaciller nos sociétés.
Aleteia : En mars 2020, pour répondre à la pandémie qui explosait dans le monde entier, les autorités publiques ont imposé de façon drastique un confinement généralisé de la population mondiale. Les choix opérés par les gouvernements ont-ils, avec le recul, été les bons selon-vous ?
Bernard Ars : Comme les pouvoirs publics ne disposaient pas de suffisamment de lits de réanimation, ils ont imposé l’isolement forcé sous la raison louable que les personnes âgées ne meurent pas de la Covid-19. Celles-ci, pour une partie, se sont laissées mourir de solitude, par défaut de relations et de soins globaux adéquats. Durant le strict confinement ordonné, de nombreuses familles jeunes se sont vu imposer un rythme effréné d’existence, amenant à la maison, télétravail et école, en plus de leurs habituelles activités domestiques. Ceci a provoqué une réelle destruction de l’espace et du temps, éléments pourtant constitutifs d’une vie humaine saine. La différence entre la sphère du privé et celle du professionnel a disparu. Des violences conjugales et d’autres, vécues par les enfants et les jeunes ont été enregistrées. Le confinement plus ou moins sévère à la maison, associé à la réduction voire à l’arrêt de l’activité professionnelle, et surtout pour les jeunes, de l’activité sportive et culturelle, mais aussi cultuelle, ont eu des effets néfastes sur la santé psychique et la santé globale de toute la population.
Quels rapports ont-été particulièrement bouleversés lors du premier confinement, en 2020 ?
Jour après jour, notre quotidien a été rythmé par l’annonce du nombre de nouveaux cas de contamination par le virus, du nombre d’admissions en réanimation et du nombre de décès à l’hôpital. L’ambiance générale est alors devenue délétère. Tout était fermé. Le superflu a été balayé. Se procurer un livre était devenu un luxe; alors que la vente d’alcool et de tabac était toujours facilement possible. "Ne rien faire" renvoie à soi-même, épreuve difficile dans notre société de l’immédiateté et du consumérisme. Demeurer en bonne santé et pouvoir s’alimenter étaient devenus les préoccupations obsessionnelles de chacun. Les confinements interrogent notre façon d’interagir avec les autres et le monde; ce qui s’avère salutaire pour certains est désastreux pour d’autres. La stigmatisation des personnes contaminées, de celles qui ont été en contact avec elles, dont les soignants; des personnes âgées, mais aussi des jeunes, aurait dû être atténuée par une communication nuancée au grand public sur les motifs du confinement.
Le confinement se distingue de l’enfermement par le fait qu’il peut impliquer une participation volontaire, alors que l’enfermement est imposé à la personne.
La terminologie "confinement" était-elle la plus appropriée compte-tenu du climat anxiogène provoqué par la pandémie ?
Le terme confinement désigne le fait de ne pouvoir quitter un lieu donné, voire d’être contraint de rester à un endroit où l’on ne souhaiterait pas être. Tout confinement est associé à une limitation des contacts sociaux, but recherché pour réduire de la sorte le nombre de contaminations par l’agent pathogène. Durant cette pandémie de la Covid-19, il s’agit, à titre préventif, du maintien des personnes à leur domicile associé à une restriction de déplacement. Le confinement se distingue de l’enfermement par le fait qu’il peut impliquer une participation volontaire, alors que l’enfermement est imposé à la personne. Le principe de la quarantaine est de limiter les contaminations dans le cadre d’une épidémie. Le confinement et la quarantaine diffèrent de l’isolement qui consiste à séparer des personnes indemnes d’une maladie, des personnes chez qui cette maladie contagieuse a été diagnostiquée et dès lors effectivement présente alors que dans la quarantaine ou le confinement, il s’agit simplement du risque qu’elle présente.
Le confinement a donc bel et bien permis de maintenir les gens en bonne santé ?
Oui…et non. Être en bonne santé mentale s’exprime par un état de bien-être émotionnel, psychique et cognitif. Pour conserver une santé mentale satisfaisante, il faut se sentir utile, avoir de l’espoir, des perspectives, réussir ce qu’on réalise et croire en soi. C’est la personne elle-même qui doit définir son bien-être. Le confinement nous fait perdre nos repères, le stress s’installe alors. Le stress engendre une adaptation de l’organisme. La sécrétion conjointe de neurotransmetteurs, de neuropeptides et d’hormones du stress permet à l’être humain de s’adapter à une situation représentant un danger. Lorsque le stress se prolonge, il favorise le développement de diverses maladies. La réponse au stress dépend de facteurs génétiques et d’expériences précoces, ainsi que des événements vécus. Les enfants et les adolescents sont particulièrement sensibles au stress, du fait de leur immaturité psychique. Les personnes âgées le sont également, à cause du vieillissement de leur système nerveux central. Les émotions du spectre de la peur sont entretenues, durant ce confinement, par le fait d’écouter en boucle des informations sur les effets de la pandémie qui finissent par devenir anxiogènes. Le stress favorise les troubles anxieux et dépressifs, ainsi que les addictions à une substance (alcool, tabac, cannabis…) ou à un comportement (jeux pathologiques, achats compulsifs, relations sexuelles répétitives, etc.).
Lors d’un confinement de masse, les personnes vivent dans un premier temps, la sidération, la perte de repères et la crainte pour leur propre survie, ce qui les poussent à thésauriser ce qu’elles pensent avoir besoin pour survivre (nourriture, désinfectant, papier hygiénique, …). Le confinement est une expérience désagréable et pathogène, pour ceux qui le subissent : perte de liberté, séparation de leurs proches, incertitude quant à un possible contamination, désœuvrement, conduisant à une colère majeure et à un taux augmenté de suicide. Les personnes confinées ont la crainte d’attraper la maladie ou de contaminer les autres. En ce qui concerne les professionnels de la santé, le confinement a fortement réduit les contacts directs avec les patients, inhérents à leurs vocations; mais a aussi favorisé l’absentéisme. Ils ont également ressenti plus de contrariété, de frustration, de solitude, de nervosité, de peur, de culpabilité, d’impuissance, d’isolement, d’inquiétude, de colère et de tristesse que la population en général. Plus le confinement est long, pires sont ses conséquences néfastes sur la santé mentale. Ne pas limiter et ne pas respecter la durée du confinement annoncé publiquement, imposer un cordon sanitaire à certains quartiers ou à des villes, sans limite de temps précise, exacerbe la démoralisation.
Le confinement a également eu un impact économique fort…
Une source de détresse socio-économique sévère est constituée par la perte financière due à une mise brutale au chômage, ainsi que par des revenus qui baissent à l’exemple des travailleurs indépendants, des salariés qui ne peuvent pas être mis en télétravail ou en réserve, ni disposer de congés payés. Certains professionnels placés en télétravail ressentent une baisse de productivité, voire se voient confier moins de tâches par leur cadre supérieur, et se perçoivent désœuvrés. La mise en place des mesures de confinement a eu un impact majeur sur la vie économique, allant jusqu’à la crainte d’un krach boursier, et sur la vie sociale, avec l’annulation des cours en "présentiel" dans les écoles et à l’Université, des évènements sportifs, culturels et cultuels. Les frontières ont été fermées. La circulation aérienne a été stoppée. Télétravail, école à la maison et tâches ménagères sont très difficilement conciliables. En quarantaine, l’isolement et l’ennui dominent le quotidien.
Le confinement est un facteur de stress, touchant plus fortement les étudiants et les personnes matériellement précaires.
Pour leur part, les professionnels de santé sont soumis à des facteurs de stress supplémentaires en raison de leur exposition à la maladie, mais aussi du stress que provoque la prise en charge de patients sévères dans des circonstances parfois défavorables. Certains de ces professionnels se voient imposer une quarantaine ou des horaires de travail prolongés les séparant de manière durable de leur famille. Ceux qui sont mis en quarantaine peuvent également craindre que leur retrait du service entraîne un surcroît de travail pour leurs collègues, ce qui peut leur valoir d’être rejetés. Les habitants des zones urbaines, où une densité élevée de population rend pénible la distanciation physique et où une activité sportive est impossible, développent vite des troubles de leur santé mentale, particulièrement s’ils habitent des petits appartements sans ouverture extérieure. Il y a également une tendance à augmenter la consommation d’aliments caloriques, gras ou sucrés. Selon les pédiatres, il y a une nette augmentation de poids chez les enfants. Il y a aussi un accroissement de l’usage informatique, autrement dit des écrans; ainsi que de la consommation de substances toxiques, et particulièrement d’alcool. Le confinement joue le rôle d’un facteur de stress, touchant plus fortement les étudiants et les personnes matériellement précaires.
Quelles conséquences avez-vous pu observer ?
Chez l’adulte, de l’isolement naît l’angoisse et de l’angoisse naissent les dysfonctionnements relationnels qui mènent à la violence conjugale et à la maltraitance envers les enfants, au premier rang de laquelle l’abus sexuel et l’inceste. À titre d’exemple, l’équipe pédiatrique pluridisciplinaire Cellule Maltraitance du CHR-CHU Liège (Belgique) a vu augmenter de 40% les situations de violences graves faites aux enfants entre mai et novembre 2020, les violences sexuelles émergeant de façon nette comme étant la forme de maltraitance la plus fréquente notamment chez les filles dans la tranche d’âge de 3 à 6 ans. Quant aux adolescents, bloqués devant leurs écrans, ils expriment très nombreux un mal- être, des troubles anxieux, ainsi qu’un décrochage scolaire. À l’âge où il est attendu de les voir tenter l’aventure sociale, relationnelle, ces adolescents, vissés à leur chaise, sans stimulations affectives et intellectuelles, voient leur imaginaire s’appauvrir et avec lui, le goût de l’étude, du sport, de la musique… bref de la vie. Sans perspective, les voilà réfugiés dans des mondes virtuels imaginés pour eux, mais non par eux.
Et chez les enfants ?
Les résultats des 1.514 questionnaires en ligne, récoltés par les services de l’Université de Mons (Belgique), montrent que 7% des jeunes enfants, de 3 à 7 ans, qui ont répondu, ont manifesté pendant la première vague, un niveau d’anxiété supérieur à la norme; contre 36% des adolescents de 12 à 18 ans, et 65% des jeunes adultes, de 19 à 25 ans. Le mal être des jeunes a fortement augmenté entre les deux vagues. Tous les sondés, sauf les répondants âgés de 3 à 7 ans, affichent des niveaux d’anxiété et de dépression supérieurs lors de la seconde vague. La proportion de jeunes adultes de 19 à 25 ans, manifestant des niveaux d’anxiété supérieurs à la normale, passe ainsi de 65 à 76% et de dépression de 62 à 80%. Si l’objectif commun premier demeure la maîtrise et l’éradication de la pandémie due à la Covid-19, il est capital et légitime de s’interroger sur l’impact épidémiologique des restructurations relationnelles et intellectuelles imposées à la population pédiatrique et aux jeunes adultes, de leur portée sur le bénéfice-risque en termes de morbidité au sein même de cette population. Il est impératif que s’articulent autour de l’enfance et de la jeunesse, des perspectives et représentations, à la fois de protection sanitaire intergénérationnelle, mais aussi de garantie de développement mental, psychique, spirituel, et physique, sécurisant et garant du bien-être de la personne humaine.
Avec le déconfinement, de nombreuses mesures demeurent : port du masque dans l’espace public, règles de distanciation au restaurant… S’agit-il d’un principe de précaution ou d’une efficacité avérée ? Vous paraissent-elles disproportionnées ? N’auront-elles pas, elles aussi, des conséquences durables sur les interactions sociales ?
Les règles de distanciation physique et le port du masque dans l’espace public demeurent des précautions justifiées lors d’une intense proximité avec des personnes dont l’état d’immunisation n’est pas connu, pendant un temps mesuré au cours duquel les variants du virus se développent. Ces règles participent à la mission pédagogique d’invitation à la responsabilisation des individus. Elles constituent également une couverture juridique d’un soucis politique sanitaire. La politique, ainsi que l’art médical et la science, opèrent sur des axes différents, chacun avec ses règles et ses méthodes d’évaluation ! Ces mesures ont néanmoins des conséquences qui peuvent être durables sur les interactions sociales; effectivement, nous exerçons nos relations avec nos semblables, par l’intermédiaire de nos sens : la vue via l’expression du visage, et l’odorat, lesquels sont ici atténués par le port du masque; le toucher ici interdit par les mesures de distanciation sociale; l’ouïe assourdie par une discrimination vocale étouffée par le masque. De plus, le masque atténue l’intensité de la voix et réduit l’intelligibilité, ce qui contribue à réduire les échanges dans les conversations. Cette diminution des relations humaines se manifeste déjà par la recrudescence de la violence et par l’exacerbation égocentrique.
Quel regard portez-vous sur les campagnes de vaccination ? Vous paraissent-elles être la seule réponse possible pour vaincre l’épidémie ?
Pour maîtriser la pandémie, la vaccination semble le remède sanitaire le plus adéquat à l’heure actuelle. Il peut être regrettable que les campagnes de vaccination n’aient pas été mieux expliquées au grand public. Une culture des relations entre les spécialistes et ceux qui ne le sont pas prend ici tout son sens et constitue un réel défi. La planification et la logistique de la vaccination n’ont pas été suffisamment rapides et n’ont peut-être pas été confiées aux personnes les plus compétentes dans ces domaines spécifiques.
L’accès des pays "pauvres" au vaccin vous inquiète-t-il ?
L’accès des pays "pauvres" au vaccin est préoccupante. Bien évidemment, il convient de leur procurer les vaccins ! Mais ici encore bien plus criant est le problème de la logistique de l’administration des vaccins à toute la population. Mais quelle solution ? Et pourtant, cette pandémie est un réel constituant de la mondialisation.
Que pensez-vous de la mise en place du pass sanitaire ? S’agit-il d’une privation de liberté ou, au contraire, d’une nécessité pour retrouver sa liberté ? Que dit-il de notre société ?
Le passeport sanitaire devient aujourd’hui une nécessité concrète. Avec certainement plus de sobriété et de prudence, la machinerie mondiale est contrainte de se remettre en route, afin d’atténuer de sérieux désastres socio-économiques pour la majorité de la population. Quand, avant la pandémie, je me rendais en Afrique centrale ou au Vietnam, je recevais au préalable une série de vaccins. La carte de vaccination était exigée aux contrôles des frontières. Personne n’a jamais contesté cela. S’il est vrai qu’en ce moment, l’analyse des « big data » par des algorithmes complexes peuvent nuire à notre liberté personnelle, il est aussi vrai qu’il est absolument indispensable de limiter et de contrôler ces systèmes d’analyses, au service de l’Homme. Le passeport sanitaire permet de se déplacer ainsi sans cette anxiété mortifère d’attraper la maladie, et permet de manifester également une solidarité citoyenne. Les valeurs éthiques universelles mises en évidence par l’UNESCO peuvent guider notre réflexion et notre comportement: la dignité, celle d’une personne humaine non épiée continuellement; l’autonomie qui implique de responsabiliser son propre comportement dans la mesure des impacts qu’il peut avoir pour autrui; la justice sociale qui nous rappelle l’inégalité des chances face à la pandémie, mais aussi vis-à-vis de l’accès au numérique. Ces problématiques nouvelles nous invitent à participer à la mutation sociétale en cours, en y introduisant de façon actualisée, le vivre-ensemble et la fraternité humaine.