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Il s’appelait Jean. Ou plutôt, non, il s’appelle toujours Jean, même s’il nous a quittés, après une longue vie, voilà quelques jours. Professeur de littérature. Une vie, donnée aux Lettres et à ses élèves, depuis le collège, le lycée puis l’université. J’avais à peine quinze ans quand, avec sa femme et ses enfants, ils prirent l’habitude, après l’achat d’une maison, de passer l’été dans notre cher Périgord. Tôt, une amitié s’installa entre nous, façonnée par le goût des vieilles pierres, de la photographie noir et blanc, des balades à la découverte des vestiges préhistoriques de notre coin, de l’histoire (y compris celle tant méprisée, car dite « locale »), de la littérature et d’une manière plus générale de la lecture.
Car Jean était un lecteur boulimique, tant des classiques que des auteurs contemporains. Il aimait découvrir, se passionner, faire connaître. À l’opposé de « sa » génération 68, tout en en faisant vraiment partie, il était un transmetteur. Quand je commençai mes études supérieures, nos échanges se firent plus pointus, plus passionnés… Son amitié et sa gentillesse le poussèrent à me proposer de relire, corriger, amender mes premiers écrits universitaires… il continua jusque ces dernières années. Le manuscrit de mon livre Un prêtre à la guerre, trouva en lui un lecteur aussi affectueux que redoutable, débusquant la moindre faute de français, de vocabulaire, de goût même !
Quand sa femme commença à développer une forme précoce d’Alzheimer, nous le vîmes tous se transformer profondément. L’homme pétri de culture, aimant — il était désormais à la retraite — voyager, le professeur parfois colérique, l’ami dont le tempérament pouvait être ombrageux, mua. Des semaines, des mois, des années commencèrent pour celui qui devint, ce que l’on désigne aujourd’hui d’un vilain mot, « accompagnant ». Comme il l’aimait sa chère épouse ! Combien il lui fut dévoué, alors que peu à peu, elle s’évanouissait dans un autre monde, où notre réalité la touchait de moins en moins.
Une anecdote dont nous avons tant ri : ensemble, alors que Colette oscillait déjà fortement entre irréel et réel, ils étaient venus assister un dimanche à la messe dans ma petite chapelle. Au moment de la communion, tous deux s’approchent pour recevoir le Corps du Christ. Je célébrais en latin et donc, au moment de donner la sainte hostie à Colette, selon la formule de l’Église, je murmurai : Corpus Christi. À quoi, à notre stupéfaction, elle répondit ingénument Alea jacta est ! Jamais, je n’ai procédé aux purifications qui suivent la communion, avec un tel fou-rire contenu… Jean accompagna sa femme jusqu’au bout, ayant une fois pour toutes déterminé que, malgré les difficultés, Colette n’irait jamais finir ses jours dans une maison spécialisée. Il y a certainement laissé aussi une partie de sa santé ; mais quelle grandeur dans le dévouement et l’amour !
En évoquant, en de trop courtes lignes, ces belles figures, c’est l’action de grâce, malgré la tristesse de leur départ vers le Ciel, qui habite mon cœur. Que Dieu est grand de mettre dans ses créatures humaines autant de beauté, de force, d’amour, d’intelligence, au-delà des faiblesses, des défauts et des vices. Que Dieu est bon, dans sa Providence, de nous donner l’amitié, ces rencontres qui changent nos vies, les façonnent, les déploient. Merci mon Dieu de m’avoir permis de connaître ainsi Jean et Colette. Désormais, c’est à votre Miséricorde divine que je les confie de tout mon cœur d’ami et de prêtre. J’espère bien que Vous nous donnerez un jour, sous une forme inconnue de nous, mais connue de Vous, la joie d’échanger encore un peu sur Cioran et Molière, Rabelais et Süskind, Hesse et Bossuet, et tant d’autres, en sirotant un thé fumé ou quelque whisky bien tourbé, sous un certain tilleul périgourdin…