Les enfants des couples chrétiens se font reprendre lorsqu'ils disent : « J'adore trop la couleur de ton ensemble ! » ou « Mon chat est adorable ! » Leurs parents leur rétorquent alors que l'« on n’adore que Dieu seul », que « seul Dieu est adorable ». Saine précision qui, plus tard dans leurs existences, les préservera d'idolâtrer telle personne politique ou d'absolutiser telle idéologie. Mais si l'adoration est réservée à Dieu, pourquoi l'Église voue-t-elle un culte de latrie (d'adoration) au Sacré-Cœur ?
Pour répondre à cette question, il est important de noter au préalable que, dans le cœur de Jésus, l'extériorité corporelle n’est pas dissociable de l'intériorité spirituelle. Déjà, dans certaines expressions du langage courant, le cœur désigne la personne. « Quel cœur ! » dit-on : dans ce cas, ce n'est pas l'organe que l'on propose à l'admiration de notre interlocuteur, mais la personne de celui ou de celle dont on vante la générosité ou le courage. Il en va pareillement avec Jésus. L'Église ne propose pas de limiter l'adoration des fidèles au cœur de chair de Jésus, mais l'a étendue au cœur en tant que siège de son amour à la fois humain et divin.
Surtout, la légitimité de l'adoration du Sacré-Cœur résulte de la personne à qui il appartient. Or, cette personne, c'est le Fils éternel du Père. Jésus a deux natures, humaine et divine. En revanche, il ne subsiste qu'en une seule personne : celle du Fils éternel. C'est le Fils qui dit « je » lorsque Jésus parle, comme c'est la personne du Fils qui agit et pâtit, que ce soit dans les œuvres de puissance de Jésus (ressusciter Lazare) ou lorsqu’il est sujet aux affections humaines ou aux douleurs de l’âme (par exemple les souffrances liées à la trahison de Judas ou à l'incompréhension dont il est victime de la part de ses proches). Dans tous ces cas, c'est toujours la personne du Fils éternel qui est sujet des affections, des œuvres humaines ou de puissance. De surcroît, le fait que son cœur ait souffert n'est pas signe d'imperfection pour la bonne raison que la toute-puissance de Dieu a consenti, en s'incarnant en Jésus, à compatir avec un cœur de chair à nos misères. Loin d’amoindrir la puissance de Dieu, l’Incarnation l’a au contraire démultipliée : Dieu s’est surpassé en amour ! La souffrance du cœur, en Jésus, a été voulue par Dieu. Aussi, en vertu de l'union hypostatique (le fait que Jésus ait deux natures unies dans une seule personne qui est divine), la souffrance de son cœur est-elle souffrance de Dieu.
Comme l’Incarnation et la Passion révèlent toutes les deux Dieu en son Amour insondable, logiquement le Cœur de Jésus représente un abrégé éblouissant du mystère chrétien tout entier.
Par voie de conséquence, notre adoration de la personne du Fils se réfracte en adoration de sa divinité et de son amour humain. Dans son encyclique sur la dévotion au Sacré-Cœur, Pie XII l’explique : « Lorsque nous adorons le cœur sacré de Jésus-Christ, disait Pie XII, nous adorons à la fois, en Lui et par Lui, l’amour incréé du Verbe de Dieu et son amour humain, avec ses autres sentiments et ses vertus » (Haurietis Aquas, 1956). Voilà pourquoi le cœur de chair de Jésus, symbole de son amour, est objet légitime de notre adoration. On est en droit d'adorer le cœur de Jésus en tant que partie constitutive et centre symbolique de son humanité — humanité indissociable, dans son cas, de la divinité puisqu'elles sont portées toutes les deux, en Jésus, par une seule personne. Surtout, le Cœur, plus que toute autre partie du corps de Jésus, est fondé à réclamer notre adoration parce que, comme nous le disions plus haut, il est symbole agissant de son immense charité.
Enfin, l'adoration du Cœur de Jésus est légitime parce qu'en lui se condense tout le mystère de la religion chrétienne. L'Incarnation est l'abrégée du Verbe divin (l’immensité divine du Verbe contenue dans une vie humaine). Or, si le Verbe s’est fait chair, cela signifie par voie de conséquence que l’Amour s’est fait cœur ! De son côté, la Passion de Jésus est le condensé de son existence terrestre. Aussi le Cœur de Jésus ne représente-t-il pas seulement l'abréviation de Jésus dans son humanité (Incarnation), mais il est également à l'origine de son sacrifice et de tout son agir en notre faveur — ce Cœur qui fut transpercé par la lance du soldat sur la croix. Et comme l’Incarnation et la Passion révèlent toutes les deux Dieu en son Amour insondable, logiquement le Cœur de Jésus représente un abrégé éblouissant du mystère chrétien tout entier. À ce titre, il mérite légitimement d'être objet d'adoration de la part des croyants.