Il y a deux semaines de cela, le Président de la République appelait, dans un entretien au Figaro, à « lancer un grand débat national sur la consommation de drogue ». Le 5 mai, à Avignon, un policier, Éric Masson, est abattu à bout portant par des dealers qu’il cherche à appréhender. En fait, au quotidien, ce sont des centaines de milliers, des millions de personnes qui dans notre pays subissent les dégâts de plus en plus insupportables de ce mal qui gangrène notre société d’une manière apparemment inexorable… Soit parce qu’ils habitent dans les zones de trafics, soit parce qu’ils consomment ou ont un proche qui sombre sous leurs yeux, soit encore qu’ils soient de jeunes enfants recrutés par des grands frères pour devenir les pourvoyeurs d’illusions mortifères le monde de demain.
Comme toujours, nombre de commentateurs reprennent en cœur les enjeux de la lutte contre les trafiquants, depuis le dealer au bas de la tour, jusqu’au grand parrain mafieux, lesquels se savent d’ailleurs depuis le 23 juin 2014 et un texte fameux du pape François, excommuniés par l’Église. Reviennent donc les sempiternels débats sur les effectifs de la police, sur le supposé laxisme de la justice et même, bien sûr, sur la subtile distinction entre les drogues dures et celles présentées douces. Si ce grand débat en reste là il n’aura une fois de plus servi à rien sinon qu’à redonner la parole aux mêmes psychologues, aux mêmes criminologues, aux mêmes échotiers.
J’aimerais simplement évoquer quelques visages ce matin. Celui d’un jeune homme mort d’une overdose il y a quelques années : à l’issue de la messe des funérailles, j’entendais ses amis se lamenter entre eux devant la dérive du défunt : « On savait bien que ça finirait mal… » Mais pas un n’avait eu le courage de le prendre « entre quatre z’yeux » pour essayer de trouver avec lui une solution à cette agonie dont il les rendait témoin.
Celui d’un étudiant venu me voir un jour pour me confier, bouleversé, la manière dont son colocataire consommait avec excès toutes sortes de produits, en me disant, la voix nouée qu’il ne voulait pas le laisser mourir… Celui, encore d’un jeune qui avait essayé toutes sortes de drogues et me montrait son bras encore bleu, des mois après avoir stoppé toute consommation, des piqûres d’héroïne qu’il s’était infligé. Encore un, celui-là, d’un homme qui se bat contre lui-même chaque jour, pour résister au joint dont tant de gens nous répètent qu’il n’y a « pas de mal à se faire du bien », mais dont il sait lui, qu’à chaque fois qu’il rechute il perd tout moyen de pouvoir atteindre ses rêves. Il réussit, comme d’autres, à trouver en lui et autour de lui ce qu’il faut de courage et de soutien pour se relever à chaque chute et pour se lancer maintenant dans l’ultime sevrage.
Que d’énergies épuisées, que de talents brisés, que de vies saccagées… Rien ne justifie l’incroyable bienveillance dont est entourée dans notre société la prise de drogues qu’on affirme ne pas être dangereuses alors qu’elles détruisent le cerveau et embrouillent les volontés. Une tolérance coupable car elle révèle une anesthésie de la volonté collective à appeler Mal ce qui est mauvais et à désigner un chemin de libération de manière claire.
La crise que nous connaissons plonge dans le désespoir et la dépression nombre d’entre nous, et beaucoup de jeunes. Il est à craindre que les mois et les années à venir ne dévoilent une augmentation croissante de ces drogues. Que se passera-t-il lorsque la majorité des moins de 40 ans utilisera de manière habituelle ces saloperies ? Nous expliquera-t-on alors doctement comme c’est le cas pour bien des sujets, qu’il nous faut passer à l’étape suivante et regarder la manière de dépénaliser l’usage de drogues aujourd’hui dites dures mais dont on aura soigneusement alors enlevé le qualificatif pour les rendre plus récréatives ? Nous perdons des milliers de cerveaux, des milliers de rêves, des milliers de vies, faute de refuser d’agir.
C’est ce que je me disais pas plus tard que ce matin en regardant un ami prêter son briquet à un jeune qui voulait allumer sa cigarette. En fait de cigarette, l’objet était assez suggestif et le tabac y dissimulait mal des herbes plus exotiques. Allumée, la fumée dégageait un parfum qui ne trompe pas. Mon ami lui dit avec une voix sévère : « Il n’y a pas que du tabac là-dedans ! » L’autre s’enfuit presque après avoir esquissé un grognement d’excuse, ou d’approbation. Il faut là aussi qu’au nom du Jésus on s’engage afin d’ouvrir toujours plus à ceux qui s’estiment sans espoir, l’Espérance du Christ. Parce qu’il y a d’autres chemins possibles que celui de la drogue et de la dépendance. Et qu’ils passent par une libération dont seul l’Amour est capable. Pour que ceux qui sont morts puissent permettre que demain d’autres vivent. Et pour que ceux qui se battent ne soient pas sans espoirs !