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Comment fonder les droits des générations futures ? La protection de l’environnement, la préservation des ressources naturelles, sont une nécessité qui fait maintenant consensus, même si les intentions ne sont pas toujours suivies d’effet. Cette préservation est nécessaire car elle garantit en deuxième intention les droits des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Un principe ressort : nos descendants, ces fameuses « générations futures », pour reprendre l’expression consacrée, ont autant de droit que nous-mêmes à vivre dans des conditions décentes, à assurer leur subsistance, leur « vivre et bien-vivre » comme l’expriment les sagesses grecques. Mais comment légitimer, fonder le droit de ceux qui n’existent pas encore ? Seule une personne physique ou morale existante peut actualiser son droit, le revendiquer, ester en justice : malheureusement dans ce cas, il semble que les absents aient encore tort… Difficile de conférer un droit à quelqu’un qui n’existe pas encore.
Voilà pourquoi il semble plus légitime de prendre la question non pas sous l’angle du droit mais sous l’angle de l’obligation : nous, génération actuelle, avons des devoirs envers nos descendants. Malheureusement, et les faits le prouvent, il est bien difficile de se sentir tenu à une obligation quand son bénéficiaire est lointain, absent, ou carrément inexistant. Il n’est pas évident de se sentir solidaire des citoyens de 2091 quand on a déjà du mal à faire de la place à ceux qui cherchent à entrer dans le métro.
À nous aujourd’hui de nous joindre à ce mouvement d’amour qui depuis l’éternité unit Dieu à ses créatures bien aimées.
C’est la raison pour laquelle les injonctions qui accompagnent les politiques écologiques campent généralement sur deux pieds : la contrainte externe et la contrainte interne. La contrainte externe est juridique et punitive. Ainsi on a pu voir en 2019 Interpol lancer un avis de recherche international pour mettre la main sur sept personnes soupçonnées d’« écocide » (trafic d’espèces, braconnage). La contrainte interne est principalement alimentée par la peur, sentiment que le philosophe Hans Jonas présentait comme le plus à même de nous faire prendre conscience de notre responsabilité. C’est ainsi que dans la lignée d’un Al Gore, se sont multipliés les documentaires alarmants destinés à provoquer des électrochocs émotionnels. On ne peut dénier l’efficacité des outils compassionnels, notamment auprès des jeunes publics, devenus plus sensibles que la génération des « boomers » à la question écologique. Mais il ne faut pas s’étonner alors du climat d’angoisse que ces politiques du pire engendrent.
Nous qui sommes chrétiens avons un autre discours à tenir, une autre voie à suivre. Nous sommes tournés vers l’humanité de demain parce que nous pouvons être portés par l’amour de charité, plutôt que la peur moralisatrice. Et par-dessus le marché, nous détenons l’intuition permettant de penser le droit de ces générations qui n’existent pas encore. En effet, les générations qui nous suivront n’existent pas encore mais elles existent déjà pour nous : non pas de façon virtuelle ou abstraite mais de façon certaine. Elles existent pour nous car elles existent en Dieu. L’humanité toute entière est d’ores et déjà pour ainsi dire contenue dans la pensée de Dieu, qui aime chacun de toute éternité : nos noms sont inscrits dans le cœur de Dieu comme le proclame l’Écriture. Nos noms mais aussi ceux des hommes et des femmes qui verront le jour bien après que nous ayons rendu l’âme. À nous aujourd’hui de nous joindre à ce mouvement d’amour qui depuis l’éternité unit Dieu à ses créatures bien aimées.
Ainsi, éviter par exemple l’objet suremballé est peut-être un geste pour la planète : c’est avant tout une preuve de considération pour celui qui est à la fois déjà là et pas encore là, comme la promesse du Royaume. Mais sachons également qu’au dernier soir de toutes vies, au jour de la résurrection des corps, nous rencontrerons en Dieu non seulement ceux qui nous ont précédé, néandertaliens, Incas ou pharaons, mais également nos descendants des siècles à venir, ceux pour qui nous aurons soigneusement limité nos emballages ou composté nos déchets, mais également ceux pour qui nous aurons défendu le droit des enfants à naître ou celui des personnes en fin de vie : ils seront là… Ainsi, l’extension temporelle des droits par delà les générations, que la législation peine à fonder, est déjà pour nous qui sommes chrétiens une réalité concrète et déjà bien tangible : le lieu où se rejoignent épluchures de carottes et histoire du salut, bac à compost et fins dernières, militantisme et vie éternelle…