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L’Évangile, qui parle peu de Joseph, ne le présente jamais en train de travailler. Au contraire, l’Évangile exalte les moments où Joseph dort, puisque c’est là que Dieu vient lui parler. Le saint patron des travailleurs est l’homme de la sieste et du repos. Ce en quoi il ne fait d’ailleurs qu’imiter Dieu, lequel se repose après le travail de la Création. Le vrai travailleur à l’image de Dieu, c’est donc d’abord celui qui sait se reposer, et ouvrir son cœur à la Parole de Dieu. Il travaillera d’autant mieux qu’il aura ménagé un temps pour le repos et un temps pour Dieu. Il ne s’agit pas d’équilibrer l’un par l’autre, mais de donner à l’un et à l’autre tout le temps nécessaire. La vie monastique le sait mieux que quiconque.
Ensuite, le travail de Joseph est d’être charpentier. Voilà qui n’est pas anodin ! Dans l’Ancien Testament, les charpentiers sont associés à l’idolâtrie. Dans le 1er livre des Rois, ils construisent à Salomon un palais contigu au Temple, comme si la royauté de Salomon et celle de YHVH étaient de même niveau.
Chez le prophète Isaïe, le charpentier est celui qui, par son travail, se fabrique des idoles de bois pour les adorer. Autrement dit, le charpentier ne se caractérise pas tellement par son humilité ou la dureté de son labeur, mais parce que son travail lui est occasion de péché. Si Dieu a voulu que son Fils naisse dans la chair à l’école d’un charpentier, c’est donc aussi pour donner une dignité nouvelle à un travail qui s’était prostitué dans l’idolâtrie. Et Dieu sait que le travail peut être une idole, qu’il soit celui d’un charpentier, d’un programmeur informatique, d’un haut-fonctionnaire ou d’une caissière de supermarché, d’une cistercienne dans son atelier ou d’un dominicain à son bureau.
Les extraits dépareillés de l’épître aux Colossiens proposés en première lecture de la fête de saint Joseph (Col 3, 14-15, 17, 23-24) nous mettent aussi sur la voie d’une sanctification dans le travail : « Quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ […] Tout ce que vous ferez, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur. » Ce thème de la sanctification dans le travail, cher à la vie cistercienne, et que saint Josémaria Escriva de Balaguer a acclimaté pour la vie laïque pourrait être moqué : tous les métiers s’y prêtent-ils vraiment ? Fait-on du bon ouvrage si l’on est à moitié en oraison pendant qu’on travaille ? Mais saint Thomas d’Aquin rappelle : « Il n’est pas nécessaire que tous nos actes soient rapportés à Dieu par une intention actuelle, l’union habituelle suffit. » Autrement dit, si mon travail s’intègre à une vie donnée pour Dieu, que je l’offre lorsque je le commence et que j’en rends grâce lorsque je le termine, il n’est pas requis de moi que je pense toutes les trois secondes à la Sainte Trinité ou à l’union hypostatique pendant mon travail.
Enfin, penchons-nous sur le lieu du travail. En l’occurrence, on a toutes les raisons de penser que Joseph travaillait habituellement à la maison. En cela, il rejoint aujourd’hui tous ceux qui sont contraints par la pandémie au télétravail. Sans verser dans une idéalisation romantique, il y a tout de même là une vérité anthropologique profonde : lorsque le foyer familial est aussi le lieu de travail, l’enfant grandit en regardant son père qui lui enseigne un métier ; les époux peuvent voir chacun l’activité de l’autre pendant la journée, ce qui favorise le respect, l’admiration et l’amour mutuels. Et lorsque les membres de la famille travaillent ensemble, la charité grandit spontanément, sans qu’il y ait besoin de créer artificiellement du quality time où l’on finit par se regarder en chiens de faïence. Et c’est aussi le lieu de la liberté. Joseph a enseigné à Jésus un métier, il lui a enseigné l’amour du bois. Et Jésus, dans sa souveraine liberté, assumera cet héritage tout en lui donnant une tournure inattendue, puisque son amour du bois le conduira jusqu’à la Croix qu’il épousera par amour des hommes.
Demandons donc à Saint Joseph que chacun puisse exercer un travail dans lequel il puisse à la fois trouver sa dignité, sanctifier Dieu, et faire grandir l’amour autour de lui.