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« Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui. » Montaigne (Les Essais, I, 25) présentait le voyage et les rencontres comme un impératif ! Voilà quelqu’un qui comprenait les besoins de la jeunesse. Le confinement prolongé prive tout un chacun d’une nécessité plus grande qu’il n’y paraît : celle de rencontrer, entre autres grâce aux voyages mais en premier grâce à la liberté de mouvement, des têtes nouvelles. Ce besoin s’impose non pas pour des raisons mondaines, mais pour permettre à l’esprit de se construire et de s’affermir : découvrir des modes de pensée extérieurs à soi, accueillir des visions du monde plus larges, affronter aussi des idées contraires aux siennes.
Une illusion serait de croire que les réseaux sociaux suppléent à ces rencontres grâce à l’étendue quasi illimitée des contacts auxquels ils donnent accès. Et ce serait également naïf de croire qu'Internet offre un champ de connaissances et d’expériences nouvelles remplaçant et même dépassant ce que notre réalité quotidienne nous apporte. Pour une raison simple : tout le monde constate que les navigations virtuelles finissent par nous ramener à notre point de départ. La plupart du temps les groupes se constituent par centre d’intérêts communs, les communautés d’internautes partagent et renforcent leurs opinions communes, les algorithmes achèvent de nous enfermer dans nos préférences.
À 20 ans, l’âge de toutes les souplesses, l’inattendu des rencontres décalées est l’oxygène de la vie quotidienne, car le cercle familial et les amis d’enfance ne suffisent plus à alimenter une vision de monde large et riche, et ne peuvent non plus étancher les désirs du cœur. Nous aurions alors grand tort de nous laisser gagner par la frilosité et de pécher par excès de précaution lorsque les risques liés à l’épidémie s’éloigneront. Et c’est probablement la grande leçon que donne la jeunesse à l’âge adulte : ceux qui bravent le risque en se réunissant s’attirent les foudres de la maréchaussée et sont en tort aux yeux de la loi, mais ils nous rappellent le cœur de la vie.
On est jeune tant qu’on ose engager la conversation avec celui qui vient de nous demander son chemin dans la rue parce que son smartphone l’a lâché, on est jeune tant qu’on ose comme Philippe (Ac 8, 26-40) sauter dans le char d’un soldat étranger pour l’interroger sur ses lectures, on est jeune tant qu’on est convaincu que « frotter sa cervelle contre celle des autres » est une nécessité de l’intelligence, une condition même de la pensée, un appel du cœur et de l’esprit.