"Alors que j’avais 13 ans, mes parents ont organisé mes funérailles car ils pensaient que j’étais déjà mort". Les mots du père Charles Mbikoyo Andrew sont sans détour. Aujourd’hui prêtre du diocèse de Tombura-Yambio, au Soudan du Sud, il a été un enfant-soldat. En 1989, pendant la guerre, le groupe rebelle de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) a enlevé 40 séminaristes, dont il faisait partie, et le défunt recteur afin d’en faire des enfants rebelles ou "Nyony".
"J’effectuais ma deuxième année de séminaire mineur à Rimenze, diocèse de Tombura-Yambio, au Soudan du Sud, lorsque nous avons été kidnappés. J’avais 13 ans et mes parents ont organisé mes funérailles car ils pensaient que j’étais déjà mort", raconte-t-il. "Nous avons été les premiers enfants enlevés à Yambio, capitale de l’État d’Equatoria-Occidental, près de la frontière avec la République démocratique du Congo."
Le père Matthew Samusa, qui ne voulait pas se séparer des 40 garçons, n’a pas hésité à crier aux hommes armés : "Là où vous emmènerez ces enfants, vous m’emmènerez moi !" Les souvenirs se bousculent dans la tête du prêtre. "Ils nous ont entraînés dans la forêt pour faire de nous des soldats. On marchait toute la journée, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, pendant 3 mois. On faisait des exercices militaires et on s’entraînait jusqu’à l’épuisement".
Je n’imaginais pas que mes amis, mes parents, imploraient Jésus-Christ et célébraient des messes pour nos âmes.
Charles pensait que c’était la fin : "Je mourrai à la guerre". L’espoir était un mot aussi lointain que les baisers de sa mère et les moments passés en famille. "Je n’imaginais pas que mes amis, mes parents et les gens de ma communauté priaient, imploraient Jésus-Christ et célébraient des messes pour nos âmes".
"Parfois, nous n’avions pas de nourriture, seulement du miel et des fruits trouvés dans la forêt. Nous avons marché à travers la jungle de Rimenze jusqu’à Yei (ville située près des frontières de l’Ouganda et de la RDC). Avant d’aller au combat, nous avons été cinq à réussir à nous échapper ce matin-là et à arriver dans la ville de Yei dans la nuit", reprend-t-il. "Notre recteur, le père Matthew Samusa, nous adressait toujours des paroles d’espoir et parfois nous priions ensemble", se souvient-il. "Dieu merci, nous n’avons pas été physiquement torturés et aucun de nous n’est mort".
Le père Matthew Samusa leur dit en secret dans le dos des geôliers : "Le Seigneur vous a choisi pour être prêtres et il vous libérera." S’il a l’impression que ses prières sont vaines, il continue à les prononcer en serrant la main de ses compagnons. Le père Samusa leur rappelait les jours heureux passés au séminaire. Ces souvenirs brillaient comme une lumière tamisée, lointaine peut-être, silencieuse, mais à l’intérieur de lui elle criait : "Je sais qu’il y a une force au-dessus de moi, je sais qu’elle me protège", se souvient-il.
"Finalement, ils ont tous réussi à s’échapper et à rentrer chez eux : nous sommes trois à être devenus prêtres parmi les 40 séminaristes qui ont été enlevés", se réjouit-il. "Lorsqu’une guerre éclate en Afrique et dans d’autres parties du monde, des enfants et des adolescents sont toujours enlevés par les militaires et les rebelles pour les forcer à se battre pour eux".
Le père Charles Mbikoyo Andrew, qui a terminé ses études de philosophie à l’Université Urbaniana de Rome cette année, retournera dans son pays natal en mai pour servir l’Église locale.
Après plus de cinq ans de guerre civile et malgré les accords de paix signés en septembre 2018, le Soudan du Sud souffre toujours des conséquences du conflit. Environ 100.000 enfants et adolescents ont été maltraités et se sont vus voler leur innocence. Parmi eux se trouvent ceux que l’on appelle les "enfants soldats".