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Prêtre oratorien et exégète, Michel Quesnel, ancien recteur de l’université catholique de Lyon est un grand connaisseur de saint Paul. Il est notamment l’auteur d’une présentation de La Première Épître aux Corinthiens (Cerf, 2018). Dans Paul et les femmes (Mediaspaul, 2021), il revient sur un préjugé tenace : la prétendue misogynie de l’Apôtre des nations. Au contraire, l’opinion de Paul sur l’égalité dans le Christ entre les hommes et les femmes était proprement révolutionnaire pour son époque.
Aleteia : Notre temps fait de l’égalité homme-femme une préoccupation majeure. Accuser de misogynie saint Paul relève-t-il d’après vous de l’anachronisme ?
Michel Quesnel : C’est en partie de l’anachronisme. L’équivalent du terme « misogynie » existe en grec, la langue dans laquelle Paul écrit ; mais il n’a pas le sens que nous lui donnons. Il exprime une haine farouche, une hostilité agressive, qui pouvait déboucher sur des violences physiques. Par ailleurs, toute l’Antiquité, tant juive que gréco-romaine, estimait que la femme devait être soumise à son mari ; si elle prononçait en public des paroles qui n’étaient pas en accord avec celles de son époux, elle le déshonorait. Ainsi, Paul n’est pas plus sévère que son époque vis-à-vis des femmes lorsqu’il écrit d’elles : « Qu’elles soient soumises, comme le dit la loi » (1 Co 14, 34). Le concept de misogynie dans son acception actuelle n’apparaît dans la langue française qu’au début du XIXe siècle, après que des femmes comme Mme Récamier, Mme Roland ou Mme de Staël ont joué un rôle important dans la vie littéraire et politique. Dans la mesure où le salaire d’une femme n’est pas égal à celui d’un homme pour un poste professionnel équivalent, il est clair que la société française actuelle a encore des pratiques misogynes.
Quelles sont les principales différences entre les écrits mis sous le nom de Paul et ceux de Paul lui-même ?
Dans l’Antiquité, on rendait hommage à une personne célèbre en écrivant sous son nom, sauf si on le faisait pour des raisons vénales : on a mis sous le nom de David des psaumes qui ne sont pas de lui ; et, sous le nom de Salomon, le roi sage, des écrits de sagesse bien plus récents que ses propres écrits. La deuxième épître de Pierre n’est certainement pas de Simon-Pierre, le premier nommé dans le collège des Douze. L’apôtre Paul n’a pas échappé à la règle. Sur les treize épîtres attribuées à Paul, sept sont certainement de lui : l’épître aux Romains, les deux épîtres aux Corinthiens, l’épître aux Galates, l’épître aux Philippiens, la première épître aux Thessaloniciens, et le billet à Philémon. Pour certaines, les biblistes hésitent. Mais un consensus existe pour d’autres, dont le vocabulaire et les idées sont nettement différentes de ce que l’on peut lire dans les épîtres authentiques.
Tous les biblistes estiment, par exemple, que la première épître de Paul à Timothée n’est pas de Paul. Elle a été rédigée vers la fin du 1er siècle, à une époque où l’Église se structurait autour de fonctions confiées exclusivement à des mâles. On peut y lire ceci : « Pendant l’instruction, la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de dominer l’homme. Qu’elle se tienne donc en silence. C’est Adam en effet, qui fut formé le premier, Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui fut séduit, mais c’est la femme qui, séduite, tomba dans la transgression » (1 Tm 2, 11-14). Paul, au contraire, estimait que, dans les assemblées de prière, les femmes pouvaient prier à haute voix et prophétiser (1 Co 11, 5) ; et il attribue la responsabilité du péché à Adam, non pas à Ève (Rm 5, 12-14).
Diriez-vous qu’il était pour son temps plutôt libéral en matière de liberté des femmes ?
Oui, je dirais cela, même si la plupart des gens pensent le contraire. Un passage de l’épître aux Galates, une épître authentique de l’Apôtre, est particulièrement claire dans ce domaine. Paul écrit : « Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus ni mâle ni femelle ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Ga 3, 27-28). Une telle opinion est proprement révolutionnaire pour l’époque. Écrire que les esclaves sont fondamentalement égaux des hommes libres, personne ne pensait cela. Écrire que la différence entre les hommes et les femmes n’a rien de fondamental est tout aussi impensable. On a mis longtemps à supprimer officiellement l’esclavage. On est encore loin d’accorder aux femmes les mêmes avantages qu’aux hommes. Je rappelle qu’en France, les femmes n'ont acquis le droit de vote qu’en avril 1944.
Paul demande aussi aux Romains, dans l’épître qu’il leur envoie, de saluer une certaine Junia qui, avec son mari, est appelée « apôtre », c’est-à-dire le plus haut degré de responsabilité dans les communautés chrétiennes : « Saluez Andronicus et Junia, mes parents et mes compagnons de captivité. Ce sont des apôtres éminents et ils ont même appartenu au Christ avant moi » (Rm 16, 7). Jésus lui-même était plus ouvert aux responsabilités confiées à des femmes que la plupart de ses contemporains. L’attitude de Paul s’inscrit dans la même ligne. C’est peut-être leur célibat commun qui leur a suggéré cette ouverture.
Avez-vous voulu par ce livre réhabiliter saint Paul au sujet des femmes, ou est-ce un mot trop fort ?
Réhabiliter est peut-être un mot trop fort. Je dirais plutôt lui rendre justice. Car la réputation de misogynie de Paul est tenace, surtout chez les femmes ; or, elle est totalement injustifiée. Lorsque j’offre mon livre à des amies femmes et que je leur annonce les perspectives que j’y défends, elles me déclarent qu’elles vont le lire avec intérêt mais aussi avec un brin de méfiance, car elles n’imaginent pas que Paul puisse être totalement lavé de l’accusation de misogynie.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
Paul et les femmes, Ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire, Michel Quesnel, Mediaspaul, 2021, 142 pages, 13 euros.