Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
Un doux soir de septembre. Dans sa chambre, le jeune prêtre referme son bréviaire et s’installe à son bureau. L’abbé Pierre-François Jamet écrit à sœur Le Bidois, supérieure de la petite congrégation du Bon Sauveur dont il est le chapelain et le confesseur. Nous sommes en 1792, en pleine Révolution. L’abbé Jamet est prêtre depuis cinq ans maintenant. Et les autorités exigent qu’il prête serment à la Constitution civile du Clergé et qu’il obéisse à une nouvelle Église constitutionnelle. Impensable pour ce Normand et bon nombre de ses pairs. Les réfractaires sont arrêtés sans ménagement. L’abbé Jamet, lui, doit se cacher à Hérouville, dans les environs de Caen, chez un couple qui travaille pour un châtelain protestant.
Quant à la vingtaine de religieuses de la congrégation, elles ont été expulsées de leur couvent le 16 août de cette année et sont réparties dans différentes familles de la ville de Caen. Les douze femmes aliénées dont elles ont la charge ont pu rester à la communauté, rue d’Auge, avec quelques sœurs. Mais en réalité, tout le monde vit caché, dans la peur. Dans la lettre qu’il écrit ce soir-là, emplie "d’affection et de pensées réconfortantes" (Edmond Chrétien, le bienheureux Pierre-François Jamet, éd. Cerf), le jeune aumônier informe la responsable de communauté qu’il vient d’arriver en Angleterre. Une façon de brouiller les pistes. Il se trouve en réalité à quatre kilomètres de la Ville aux cent clochers…
Originaire de cette région normande, le père Jamet est en fait passé depuis quelques mois maître dans l’art du camouflage. Patriote coiffé du bonnet phrygien, médecin ou fringant cavalier, en ces années de Terreur tous les déguisements sont bons pour mener à bien son ministère : il rend visite aux sœurs dispersées, célèbre la messe dans des endroits discrets, confesse autant que possible et bénit les familles. Il n’envisage pas une seule seconde de cesser de célébrer les sacrements et surtout, il a promis de ne jamais abandonner la communauté du Bon Sauveur : "homme de foi, il s’est toujours fié à sa conscience, explique sœur Hanitra Rabialahy, de la communauté des Sœurs missionnaire de l’Évangile, fruit de l’union en 2014 de quatre congrégations, dont celle du Bon Sauveur. Il n’hésitait pas à désobéir à la loi quand celle-ci n’allait pas dans le sens de la vie. Comme le Christ qui guérissait les malades pendant le sabbat".
Après la révolution, le prêtre n’a qu’une priorité : rassembler les sœurs. Or le local de la rue d’Auge est vendu et il faut trouver un nouveau lieu. Après de nombreuses tractations, il acquiert l’ancien couvent des Capucins, dans l'actuelle rue Caponière à Caen, où les sœurs s’installent en 1805. Il s’improvise architecte et maçon. La maison s’agrandit, abritant à cette époque quinze religieuses, deux pensionnaires et douze patientes déficientes mentales. Le père Jamet, qui place sa confiance en la Providence pour toute chose, développe l’Institut du Bon Sauveur qui devient peu à peu un centre de soins où les patients reçoivent un traitement adapté. En 1816 est fondée une école de sourds-muets. À partir de 1820, le lieu qui entre temps a ouvert ses portes aux hommes (Louis Martin, père de sainte Thérèse de Lisieux y sera interné à la fin de sa vie), devient un des plus grands établissements psychiatriques de France.
Nourrie par une profonde vie intérieure, la fidélité du père Jamet à son sacerdoce et à sa congrégation a porté des fruits abondants. La communauté a été l’une des rares à survivre à la révolution et à prospérer jusqu’à nos jours, pour devenir la congrégation des Sœurs missionnaires de l’Évangile. Une fécondité qui a aussi franchi les frontières, des communautés au chevet des déficients mentaux et inspirées du Bon Sauveur portent son nom au Pérou ou à Madagascar. Le père Jamet s’est éteint le 12 janvier 1845 et a été béatifié par saint Jean Paul II en 1987.