Sur son lit de douleurs, Charles VIII agonise. Nous sommes le 7 avril 1498. La scène est bien connue, de ce roi malheureux qui, pour avoir voulu trop vite assister au jeu de paume dans les fossés du château d'Amboise, se heurte la tête au linteau supérieur d'une porte avec une telle violence qu'il en fut commotionné et en meurt, quelques heures plus tard.
C'est d'ailleurs tout ce que l'on retient de ce souverain écrasé dans les livres d'histoire par la figure de son père, le grand Louis XI, et par celle de sa femme, la duchesse Anne de Bretagne. Pour comble de malchance, l'historiographie spécialisée lui préfère son successeur, Louis XII, au destin plus dramatique : le prince, marié de force à Jeanne de France, époux en secondes noces d’Anne de Bretagne, a goûté de la prison avant d'accéder au trône.
En ce commencement de la Renaissance, Charles VIII a manqué de chance. Il fut pourtant l'un de ses principaux artisans en France, tout comme il signa, malgré lui, la fin des derniers traits du Moyen Âge. À l'heure de mourir, Charles VIII tournait encore ses regards vers l'Italie.
Au mitan de son règne, en 1494, ayant hérité de longue date des droits de la maison d'Anjou sur le royaume de Naples, et répondant aux appels pressants du pape Alexandre VI Borgia, il entreprend la conquête de ce lointain royaume, dont le titre est associé à celui de la couronne royale de Jérusalem. Dans l'esprit chevaleresque de Charles VIII, devenir roi de Jérusalem n'est pas qu'une titulature de pure forme. Il envisage, le plus sérieusement du monde, une fois établi sur les côtes sud de l'Italie, porter la croisade dans les Balkans, en Grèce, et de là vers Constantinople. La menace est à ce point réelle que les Ottomans l’attendent. Charles n'a-t-il pas longtemps détenu en France Djem, frère du sultan, et possible atout de la politique française et pontificale contre la Sublime porte ?
Le grand dessein royal devait cependant compter avec la politique changeante du pape Borgia qui, au commencement de l'invasion française, se retourne vers les souverains aragonais du trône de Naples, jugeant finalement trop gênante la puissance du Valois. Il y avait de quoi décontenancer le roi Charles, épris du souci de la croisade, à laquelle Alexandre VI avait lui-même songé les années passées. Qu'à cela ne tienne. Les Français prennent Rome avant de marcher sur Naples, qui tombe au commencement de 1495. Mais l'armée victorieuse n'a pas le temps de profiter des fruits de sa conquête. Sur ses arrières, une ligue militaire se constitue autour des principales principautés italiennes du Nord, la papauté et la couronne d'Aragon. Il faut rentrer en France pour éviter l'écrasement. Au prix de durs combat, Charles VIII repasse les Alpes. Naples est perdue, et avec elle le rêve de la croisade.
L'aventure italienne a cependant soulevé l'enthousiasme d'une large partie de l'aristocratie française et de nombreux milieux d'affaires. À Naples même, la France ne manque pas de partisans hostiles aux Aragonais. On prépare le retour des Français lorsque meurt, en 1498, le roi Charles.
Son successeur, Louis XII, hérite pour sa part, du trône ducal de Milan, par son aïeule Valentine Visconti. Il reprend les guerres d’Italie, mais en se concentrant désormais sur une ambition plus étroite, dont la croisade est exclue. François Ier et Henri II continuèrent ce cycle des guerres italiennes jusqu'en 1559, avec une nouvelle dimension, celle de la lutte contre le Saint-Empereur romain germanique, Charles Quint, dont les possessions enserrent la France par presque toutes ses frontières. Dans cette guerre résolument moderne d’État contre Empire, tous les coups seraient permis, y compris l'alliance avec les Ottomans ou avec les princes ralliés aux doctrines de Luther. La chrétienté se divise, et l'esprit chevaleresque porté par Charles VIII apparaît définitivement anachronique.