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"Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, et, quand vous le voulez, vous pouvez leur faire du bien ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours" (Mc 14, 7). Cette phrase du Christ que nous avons entendue lors de la lecture de la Passion le dimanche des rameaux est terrible à maints égards. Elle est une vérité à accueillir sur l’incapacité d’un système politique, économique, social ou philosophique à éradiquer la pauvreté. Beaucoup se sont levés pour annoncer le grand soir, le règne de la justice et de la paix.
Beaucoup ont échafaudé des théories qui prétendaient éradiquer la pauvreté, la souffrance et la guerre. Les utopistes de toutes époques et de toutes doctrines ont pensé assainir nos sociétés définitivement, par la seule force des lois ou de l’éducation. Aucun n’y est arrivé et, pire encore, ceux qui étaient les plus convaincus de leurs théories une fois arrivés au pouvoir les ont appliqués avec force et n’ont apporté que misère et malheur, génocide et exclusion.
Il s’agit là d’une nécessaire humilité sur la nature humaine et son péché. C’est aussi un critère de discernement sur les théories que l’on voudrait nous vendre. Celui qui prétend que, grâce à lui ou ses idées, tout ira mieux, tout sera résolu ou que la pauvreté sera éradiquée doit être regardé et écouté avec précaution. Il y a fort à parier que derrière ce système se cache une exclusion masquée ou affirmée (racisme, xénophobie, eugénisme) ou une suppression programmée des libertés individuelles d’une partie de la population.
On peut regarder vers « en haut », vers les gouvernements et les Constitutions, mais il faut d’abord regarder vers « en bas », vers ceux qui souffrent quotidiennement sans espérance.
Il peut cependant exister des prises de consciences sociales, des efforts collectifs, des nouvelles lois pour plus de justice mais il restera toujours une part irréductible de pauvreté qui devient une interrogation posée à chaque personne. Que doit-on faire pour celui qui est exclu de nos systèmes de soins, de prévention, d’égalité sans se dire trop facilement que l’État peut tout, doit tout ou que l’État doit changer pour que tout cela puisse enfin fonctionner ? Nous ne pouvons pas nous cacher derrière la puissance publique, derrière les régimes et les décrets. Parce que la pauvreté sera toujours présente, la liberté de la charité sera toujours convoquée. On peut regarder vers « en haut », vers les gouvernements et les Constitutions, mais il faut d’abord regarder vers « en bas », vers ceux qui souffrent quotidiennement sans espérance. Si un système est parfait sur le papier cela signifie qu’il est violent dans les faits.
Cette phrase veut-elle dire aussi que le christianisme est un système qui n’éradiquera jamais la pauvreté ou bien que la prédication du Christ est sans effet et que le commandement de la charité ne sera en fait jamais appliqué ? Là aussi il est question de liberté. Dieu ne contraint pas : il invite à la conversion individuelle. Le christianisme n’est pas un « système » mais une religion au sein de laquelle, individuellement et collectivement, nous entendons une parole qui nous invite à agir sans nous contraindre, une morale à laquelle nous devons intérieurement acquiescer sans qu’elle puisse nous être imposée.
L’on peut aussi méditer sur le fait que le corps du Christ n’est plus là et nous ne pouvons plus lui verser un parfum de grand prix en signe de respect ou d’amour. En revanche le corps du pauvre lui sera toujours présent et le pauvre, quelle que soit la pauvreté, est le visage du Christ aujourd’hui. En vénérant, comme nous le faisons en ces jours saints, le corps du Christ en sa Passion et sa résurrection, nous nous rappelons aussi que ce corps est toujours présent au milieu de nous. "Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mt 25, 40). En discernant, à travers l’Eucharistie et le corps du Christ qu’est l’Église, la présence du Christ ressuscité nous apprenons aussi à discerner son corps dans le pauvre, pauvre souvent invisible au milieu de nos sociétés parce que nos cœurs sont fermés. Puissions-nous avoir comme les disciples d’Emmaüs au soir de Pâques le cœur brûlant lorsque le Christ nous partage les Écritures et continuer en chaque lieu de chaque époque de soigner le pauvre qui sera toujours présent.