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Épidémie mondiale, influences locales. Les vaccins contre la Covid-19 et leur distribution internationale épousent les zones d’influence des grandes puissances. Ils révèlent un monde qui, loin d’être unifié, est partagé entre plusieurs pôles. Russie, Chine, États-Unis et Inde se partagent un marché mondial qui dit beaucoup de leur pouvoir. La course au vaccin a montré tous les enjeux économiques et politiques qu’il y avait derrière la mise au point de ces sérums, pour protéger sa population nationale, mais aussi pour exporter ces doses et ainsi démontrer son influence.
Hormis la France, tous les pays membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU ont eu des entreprises capables de développer un vaccin. Cela témoigne de la permanence de l’ordre mondial établi en 1945 et du déclin particulier de l’industrie pharmaceutique française, par ailleurs très performante dans d’autres domaines. À ces pays, il faut ajouter l’Inde, devenue une pharmacie du monde, tant par la puissance de son industrie pharmaceutique que par sa capacité à exporter des vaccins.
Vaccins et influences
D’abord gaussée et moquée à l’été 2020, la capacité de la Russie à produire un vaccin contre la Covid n’a pas été démentie. Vladimir Poutine avait annoncé les premiers succès de ce vaccin début août, pour une mise sur le marché fin 2020. Les délais ont été tenus et le vaccin se révèle efficace. Les chercheurs russes ont réutilisé leur savoir-faire acquis sur le traitement d’Ebola, les techniques de fabrication de vaccin étant assez proches d’après eux. La campagne de vaccination a débuté en Russie et atteint un bon rythme.
De fait, aucun vaccin n’a encore été créé dans les pays membres de l’Union.
L’Union européenne s’est montrée très réticente à son égard, non pas tant pour des questions sanitaires que pour des raisons politiques : il ne fallait pas donner l’impression que la Russie puisse faire mieux que l’UE. De fait, aucun vaccin n’a encore été créé dans les pays membres de l’Union. Le produit russe a révélé les fractures au sein de l’union politique entre les pays l’acceptant et ceux le refusant, plus pour des raisons de principes politiques que sanitaires. La Hongrie a fini par autoriser l’usage de ce vaccin, suivi par la Serbie. Le vaccin a révélé les pays qui préféraient rester fidèles à Bruxelles et ceux qui n’ont pas hésité à se tourner vers Moscou.
En manque de doses, l’Union européenne s’est tournée vers son allié américain pour lui demander des millions de doses qui seraient inutilisées. Le New York Times a évoqué la présence d’un stock de 30 millions de doses qui seraient en attente d’usage, information confirmée par les autorités américaines. Mais ce stock relève de la réserve stratégique américaine et n’a donc pas pour vocation de traverser l’Atlantique et débarquer en France. Loïc de La Mornais, correspondant de France Télévision à Washington, a transmis les propos de Joe Biden : « Joe Biden a poliment décliné, ces vaccins font partie de la réserve stratégique américaine. Il s'est engagé d'ailleurs à faire vacciner tous les Américains d'ici la fin du printemps, alors peut-être, une fois que ça aura été fait. » Le gouvernement français s’est dit très déçu de cette décision. Au passage, ceux qui croyaient au retour du multilatéralisme et à la relation spéciale entre l’Europe et l’Amérique en sont pour leurs frais. Quand il s’agit de défendre les intérêts américains, il n’y a pas de différence entre les démocrates et les républicains.
L’Inde : la pharmacie influente
L’Inde est l’un des gros producteurs de médicaments et de produits pharmaceutiques dans le monde. Le pays produit 20% des médicaments génériques consommés dans le monde et 50% des vaccins utilisés. Les produits indiens sont très présents en Asie du sud-est et en Afrique, mais aussi aux États-Unis et au Royaume-Uni. Puissance économique, le vaccin est aussi une puissance diplomatique. L’Inde a fait don de doses de vaccin anti-coronavirus à plusieurs de ses voisins, comme le Bangladesh, le Népal et le Sri Lanka. Des dons qui renforcent les liens d’amitié et de dépendance entre l’Inde et ses voisins, et qui révèlent aussi les inimitiés. Le Pakistan, bien que voisin de l’Inde, n’a rien reçu. Les frictions du Cachemire et les antagonismes politiques et religieux des deux pays ont eu raison de la philanthropie humaniste de New Delhi. Quant à la Chine, son influence vaccinale est très présente chez ses voisins asiatiques et dans la péninsule indochinoise, sauf au Vietnam, qui a opté pour le vaccin russe. Le pays reste dans le giron d’influence de Moscou, comme au temps de la Guerre froide.
Un monde multipolaire
Cette cartographie des vaccins révèle la réalité de la puissance des États : l’alliance des gouvernements et des entreprises, la stratégie de l’influence. Si certains États peuvent proposer un vaccin, c’est qu’ils disposent d’entreprises pharmaceutiques capables de le créer et de le produire à grande échelle. Ce ne sont pas nécessairement de grandes multinationales. Dans le domaine de la pharmacie, on compte de nombreuses PME et start-up, très agiles et innovantes, notamment dans les biotechnologies. Cela suppose également un écosystème scientifique, fondé sur des alliances et des accords entre les entreprises, les universités et les centres de recherche. C’est cet écosystème réticulaire, qui va des amphithéâtres de biologie aux centres de recherche et développement des entreprises, qui a permis l’élaboration des vaccins dans un temps record. Ensuite peut se déployer l’influence, marque de la puissance, à travers le don ou la vente de vaccins à tel ou tel pays. Le « monde d’après » est conforme au « monde d’avant ». Ni les atouts technologiques ni les leviers de puissance n’ont changé, pas même les zones d’influence des grands. Le monde est bien multipolaire, dominé par quatre ou cinq pôles majeurs. Une fois la crise passée, la France et l’Union européenne ne devront pas manquer l’inventaire de leur défaite, qui passe par un examen approfondi tant du fonctionnement du système universitaire que des capacités de production des entreprises.