Découvrez l’histoire singulière de Vera Barclay, jeune Anglaise qui a ouvert le scoutisme aux filles, aux plus jeunes et au catholicisme auquel elle s’est convertie avant de devenir écrivain.
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Il reste encore beaucoup d’épisodes stimulants à dénicher dans l’histoire déjà séculaire du scoutisme. Ainsi, les louveteaux et jeannettes, les cheftaines et, au-delà, tous les scouts et guides français et même du monde entier sont pour part non négligeable redevables à une catholique anglaise qui est de surcroît une pionnière de l’égalité entre les sexes. Elle s’appelait Vera Charlesworth Barclay et a été presque centenaire puisque, née en 1893, elle vécut jusqu’en 1989.
Elle est un des huit enfants d’un pasteur anglican de haut rang, Charles W. Barclay, et de son épouse Florence Charlesworth, auteur à succès de romans qui racontent de belles histoires d’amour et dont plusieurs ont inspiré des films au temps du cinéma muet. Comme le reste de sa famille, la jeune Vera s’avère une sportive accomplie, parmi les premiers adeptes des sports d’hiver (ski, bobsleigh) en Suisse. Lorsque Robert Baden-Powell, auréolé de sa gloire militaire acquise en Afrique du Sud où il sut utiliser de jeunes éclaireurs, lance le scoutisme en 1907, elle fait partie des demoiselles qui, s’étant invitées au premier grand rassemblement en 1909, se font reconnaître et même embaucher.
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En effet, Baden-Powell non seulement consent à créer une branche féminine de son mouvement lancé avec des garçons, mais encore accepte que des filles deviennent animatrices, car elles savent aussi bien et parfois mieux que de jeunes hommes mobiliser et encadrer des adolescents. Et dans ce rôle de cheftaine, Vera Barclay est sensible aux demandes des gamins de 10 ans ou moins qui, voyant les scouts s’activer, la tirent par la manche pour savoir s’ils peuvent se joindre à eux. Elle finit par obtenir la création de troupes de louveteaux, et aussi de jeannettes, puisqu’il n’y avait pas de raisons de refuser des fillettes si des jeunes filles dégourdies s’occupaient déjà de grands garçons.
La création des louveteaux
Peu avant la Première Guerre mondiale, Vera Barclay, dont le dynamisme s’enracine dans des exigences spirituelles, choisit de rejoindre l’Église catholique romaine où l’attirent aussi bien la solidité doctrinale que le réalisme sacramentel. Elle se porte volontaire comme infirmière pour soigner les soldats ramenés blessés du front. Mais en 1916, déjà remarquée et estimée par l’état-major du mouvement scout, elle est appelée auprès de Baden-Powell, car celui-ci est privé de la plupart de ses collaborateurs, appelés à servir dans les armées britanniques sur les champs de bataille du continent.
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Elle travaille auprès du fondateur à la rédaction et à l’édition du premier Manuel du Louveteau, sorti en décembre 1916, qui reprend l’imagerie, les symboles et même (pourrait-on dire) la mythologie du Livre de la jungle (1895) et du roman Kim (1901) de Rudyard Kipling, comme celui-ci en avait volontiers donné l’autorisation à son ami Baden-Powell. Vera Barclay dessine elle-même la plupart des insignes et badges. Mais aussi, reçue et soutenue par le cardinal Francis Bourne, archevêque de Westminster de 1903 à 1935, elle réussit à lancer le scoutisme dans les paroisses catholiques, jusque-là méfiantes vis-à-vis d’une organisation née en milieux anglican et protestants.
Au premier jamboree
En 1920, au premier grand rassemblement international de scouts du monde entier, elle prépare et dirige le premier « Grand Hurlement » de 500 louveteaux, en incarnant elle-même Akela pour orchestrer le cri « De notre mieux ! » — une devise dont la création lui est attribuée. Mais au lendemain de ce jamboree inaugural, elle annonce son départ chez les Filles de la Charité, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, qui s’implantent en Angleterre depuis que les catholiques ont retrouvé leurs droits civiques en 1829 et que la hiérarchie épiscopale a été rétablie en 1850. La congrégation joue un rôle apprécié pour soulager la misère dans les quartiers ouvriers. Elle ne termine cependant pas son noviciat car elle a besoin d’autonomie pour développer de nouvelles initiatives.
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Plutôt que de reprendre du service au quartier général du mouvement où elle sait n’être plus indispensable après la guerre, elle s’emploie d’abord à créer un peu partout des meutes dans les communautés catholiques de banlieues pauvres. Elle fonde près de Birmingham une « Ferme de l’Évangile » qui accueille pour des camps de plusieurs mois des jeunes en difficulté et déscolarisés. Mais en 1931, un de ses genoux, autrefois abîmé dans un accident de bobsleigh, l’oblige à renoncer aux activités sur le terrain. Elle a cependant déjà pris la plume, comme sa mère qui vient de disparaître, et c’est par la littérature qu’elle reste engagée, jusqu’à ce que sa vue baisse trop, vers 1960, pour lui permettre d’écrire.
La littérature et la France
Elle publie ainsi d’innombrables articles dans des revues scoutes et aussi grand public, et près d’une cinquantaine d’ouvrages : principes et méthodes éducatives (surtout pour les louveteaux et jeannettes), livres de jeux, conseils aux chefs et cheftaines, et romans pour la jeunesse — dont, parfois sous le pseudonyme de Margaret Beech, des séries bientôt populaires d’aventures dont les héros se nomment Pierre et Véronique, ou Jane (spécialement pour les filles), ou Danny le détective… Elle rédige encore des traités d’apologétique et, après la Seconde Guerre mondiale, est l’une des premières à se passionner pour le linceul de Turin.
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Vera ne se marie jamais, vivant un temps chez son frère pasteur anglican, puis soignée par une nièce dans la dernière partie de sa vie. Elle voyage un peu, notamment en Suisse et en France. Un des principaux fondateurs du scoutisme francophone, le père jésuite Jacques Sevin, présent au premier jamboree en 1920, est impressionné autant par la qualité de la réflexion qui motive sa pédagogie et ses idéaux que par son enthousiasme communicatif. Il suit l’enseignement de Vera Barclay à Gilwell Park, le centre de formation créé par Baden-Powell, et invite plusieurs fois (en 1923, 1925 et 1926) la jeune Anglaise à Chamarande, où vient d’être ouvert l’équivalent de Gilwell Park pour les Scouts de France. Le père Sevin a témoigné de l’importance des contributions de Vera Barclay, sur le plan des principes et des pratiques mais aussi pour permettre la reconnaissance, à la fois par l’Église et par le fondateur du mouvement, du scoutisme catholique naissant en France.
Pédagogie et spiritualité
Une biographie de Vera Barclay signée Fiona Mercey et intitulée Le Grand Jeu de l’enfance, est parue en 2016 chez Carrick-France. Le titre est bien choisi. On peut le vérifier dans trois livres d’elle traduits en français et réédités en 1988 et 1989 chez CLD : Le Louvetisme et la formation du caractère, Jeux pour louveteaux, et Sagesse de la jungle (Le livre des chefs de meute).
Sa pédagogie pour le développement de l’enfant et de l’adolescent mise, d’une part sur leur curiosité et leur capacité d’émerveillement, et d’autre part sur le jeu qui donne un but et fait découvrir et assimiler des règles.
Pour autant que l’on puisse résumer ses idées, sa pédagogie, très en avance sur son temps, consiste à miser, pour le développement de l’enfant et de l’adolescent, d’une part sur leur curiosité et leur capacité d’émerveillement, et d’autre part sur le jeu qui donne un but et fait découvrir et assimiler des règles. Cette formation repose elle-même sur une anthropologie qui est aussi une spiritualité, où la nature s’avère l’œuvre du Créateur et le prochain comme une créature à aimer en l’aidant librement. C’est bien sûr ce qui est vécu au sein de tant de meutes, troupes, unités et groupes. Mais il reste éclairant de le trouver explicitement formulé aussi nettement il y a bientôt cent ans maintenant chez celle qui a ouvert le scoutisme aux plus jeunes, aux filles et aux catholiques.