Le monde qui se construit sur la victimisation des frustrations d’un désir techniquement réalisable ignore les véritables victimes qui ne peuvent pas se faire entendre. Qui veut aider son prochain ne doit pas oublier qu’il a lui-même ses propres faiblesses, et aussi besoin de compassion.
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Qu’y a-t-il de commun entre la théorie du genre, la loi sur le séparatisme, le mariage pour tous, la crise sanitaire, le droit au blasphème, la PMA, les prochaines élections, les abus sexuels, le « transhumanisme », les « gilets jaunes », les éoliennes, le complotisme et la « culture » dite cancel (de la dénonciation et de l’annulation) ? Pas grand-chose, sinon que les médias en font leurs choux gras. On peut néanmoins se demander s’il n’y aurait pas, derrière tout cela, un unique postulat sur lequel il ne serait pas totalement inutile de s’interroger.
Tout ce qui est possible est-il bon ?
La prémisse, difficilement contestable, est que la souffrance n’est jamais bonne en soi. Et la conclusion est que, s’il existe un moyen quelconque de l’éliminer ou au moins de l’atténuer, on aurait tort de s’en priver. Il y a déjà suffisamment de désagréments contre lesquels on ne peut rien (les catastrophes naturelles, les maladies, les accidents et finalement la mort) pour qu’on se dispense d’en rajouter en subissant passivement des maux remédiables. Qui serait contre les avancées scientifiques, technologiques, médicales et politico-juridiques qui permettent de vivre mieux, plus longtemps et plus libres ?
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Mais cette sagesse est détournée si la peine qu’il devient possible de soulager, voire d’éliminer n’est qu’un inconfort ou une contrariété : la frustration non pas d’un besoin mais d’une envie, ou une résistance jugée rétrograde à une nouveauté décrétée libératrice. Or toute avancée ou transgression n’est pas automatiquement bénéfique. Les guerres du XXe siècle et à présent le dérèglement climatique montrent que le temps n’est plus où toute manière inédite de répondre plus efficacement aux demandes était forcément bonne en soi. Ambitions et exigences s’en trouvent même enflées jusqu’à la folle démesure (voir le « transhumanisme »). Un discernement devient nécessaire : doit-on faire tout ce que l’on peut faire ?
Justice pour les victimes !
Il est inévitable et même naturel que les positions et les arguments dans les débats soient véhiculés par les techniques disponibles de communication. La difficulté est que nos médias sont plus aptes à répercuter des émotions qu’à alimenter une réflexion. Ainsi est indéfiniment relayée et requiert une compassion inconditionnelle la souffrance de couples qui ne peuvent pas avoir d’enfant, de jeunes filles ou femmes paniquées parce qu’elles sont enceintes, de personnes mal à l’aise dans leur identité sexuée ou d’homosexuel(le)s qui voudraient n’être pas différents, etc. Si bien qu’il est réputé inhumain de refuser à ces victimes l’accès aux ressources existantes ou mobilisables qui pourraient les soulager et même leur rendre justice.
Il est assurément indispensable de chercher et d’expérimenter, mais la question demeure de savoir si la technologie est le seul remède aux problèmes qu’elle crée.
Ces ressources sont de plusieurs ordres. Le premier est scientifico-technique : des manipulations en laboratoire ou en clinique. Dans le même registre, on développe de nouvelles productions d’énergie renouvelable et donc vertueuse. Mais toutes ensemble ne suffiront sans doute pas et chacune pose des difficultés : coût et durabilité des équipements, rareté des matières premières nécessaires loin d’être toutes écologiques, nuisances collatérales (éoliennes hideuses et bruyantes), la solution restant à trouver pour le stockage en quantité de l’électricité produite. Il est assurément indispensable de chercher et d’expérimenter, mais la question demeure de savoir si la technologie est le seul remède aux problèmes qu’elle crée.
Le retour de la censure
La deuxième série de moyens propres à refouler les incommodités se situe dans le domaine juridique. On multiplie les lois, soit pour légitimer certaines pratiques « charitables » (divorce, avortement, PMA, mariage « gay »), soit pour se doter d’un arsenal répressif : contre le fanatisme religieux — en mettant au passage toutes les religions sous tutelle —, mais aussi l’homophobie, le racisme, le sexisme (même inconscients !) et jusqu’à des personnages du passé coupables de ce qui — comme l’esclavage et le colonialisme — n’était pas de leur temps à l’évidence inacceptable comme ce l’est maintenant, et pas uniquement pour la cancel culture.
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Toute cette législation ne passe qu’en étalant des sentiments d’indignation suscités par des victimisations qui envahissent l’actualité. Tout délai pour adopter la mesure de correction réclamée devient encore plus intolérable que l’injustice dénoncée. Peu importe que des situations plus ou moins marginales ou extrêmes dictent des normes générales : un dogme incontesté est que tous les progrès sont dus à des minorités, seules créatrices. Mais elles sont destructrices quand, sans se prévaloir d’aucune loi, le « politiquement correct » censure dans les médias ou sur les campus tout point de vue qui ose relativiser le sien. Dans la masse de ceux qui subissent sans se faire entendre, on déguste en privé sur les réseaux sociaux des théories complotistes où tout le monde est manipulé par des machinations de ploutocrates.
Pas de projet ni de vision
Dans ce climat défavorable non seulement aux libertés de pensée et d’expression, mais encore à la rationalité élémentaire, la politique est affectée. Ceux qui s’y investissent semblent n’avoir comme objectif que la conquête du pouvoir et, une fois qu’ils l’ont, sa conservation plutôt que son exercice. L’unique but est de ne pas se mettre à dos un trop grand nombre de lobbies et de minorités qui accaparent l’attention en dénonçant des scandales — et cela va jusqu’à déclarer victime une moitié (la féminine) de l’humanité. Le vulgum pecus, lui, n’a pas l’art de se plaindre pour se faire courtiser : on devine à peu près contre mais pas pour quoi les « gilets jaunes » se sont insurgés. Pas question nulle part de projet ni de vision rassembleuse.
Le vrai défi n’est pas d’éprouver de la compassion (surtout si c’est sur commande), mais de saisir qu’on en a soi-même besoin comme tout le monde…
Dans une telle absence de recul et de perspective, l’enjeu des élections présidentielle et législatives aura du mal à se dégager l’an prochain. Le vide n’est certainement pas meublé quand des caricatures substituant l’insulte unilatérale au débat argumenté aboutissent à l’affirmation solennelle que rien n’est sacré, sauf le droit de proclamer que rien ne l’est. Et le manque de repères autorise d’autres incohérences : ainsi, on s’émeut des harassements et abus sexuels si des victimes se manifestent et on tend à criminaliser la moindre avance non désirée, tout en continuant à promouvoir une permissivité qui banalise tous les comportements.
Un minimum de lucidité…
Dans cette foire d’empoigne, le coronavirus accentue l’effacement du politique. Les opposants sont aussi pris de court que les gouvernants, et les populations sont placées sans protester sous contrôle restrictif. Les scientifiques convoqués ne savent apparemment pas soigner cette maladie qui est loin de tuer tous ceux qu’elle atteint et tâtonnent pour freiner sa propagation : confinements préventifs — tant pis pour l’économie, l’emploi et l’enseignement — et vaccins improvisés arrivant au compte-goutte, la priorité semblant être d’éviter l’engorgement des hôpitaux déjà rationnés au nom de la planification et de la rentabilité.
Un minimum de lucidité fait percevoir qu’il serait présomptueux d’affirmer que notre époque de fous est la pire de l’Histoire, que toutes les souffrances ne sont pas médiatisées ni même connues, et que le bien-être est tout autant une épreuve que le malheur, parce qu’il ne rend pas moins égocentrique. Le vrai défi n’est pas d’éprouver de la compassion (surtout si c’est sur commande), mais de saisir qu’on en a soi-même besoin comme tout le monde, sous peine de se prendre pour le bon Dieu tout en niant son existence.
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