Dans son discours annuel au corps diplomatique, le pape François a évoqué une “crise anthropologique générale”. La société post-Covid devra trouver des solutions pour résoudre les dégâts causés dans la jeunesse et les atteintes aux libertés fondamentales.
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Chaque année, le Pape s’adresse aux ambassadeurs en poste près le Saint-Siège, dressant dans son discours annuel un bilan diplomatique de l’année écoulée et ouvrant quelques perspectives pour l’année à venir. 2021 n’a pas échappé à cette règle. Après les figures imposées par ce type d’intervention codifiée, notamment sur les conflits en cours, le Pape a proposé une analyse originale de la crise provoquée par la pandémie de coronavirus. Cette réflexion sur le sens de cette maladie et les réponses apportées par les États dépasse le cadre strictement diplomatique. Loin d’être uniquement un problème sanitaire, nous dit le pape, il s’agit d’abord “d’une crise des relations humaines” qui est l’expression “d’une crise anthropologique générale qui concerne la conscience même de la personne humaine et sa dignité transcendante”.
La jeunesse oubliée
Les confinements décrétés par les gouvernements ont provoqué de longs mois d’isolement pour de nombreuses personnes, notamment les personnes âgées dans leurs maisons de retraite et les étudiants, privés de cours et parfois enfermés dans leur chambre ou leur résidence étudiante. Or ces confinements ont démontré l’importance cruciale d’avoir des relations humaines : l’homme ne peut vivre de façon virtuelle derrière un ordinateur et gérer ses relations par des clics et des commandes à distance. Il a besoin d’être en contact physique avec ses semblables et ses amis, de voir du monde et de tisser de véritables relations : “La pandémie qui nous a contraints à de longs mois d’isolement, et souvent de solitude, a fait apparaître la nécessité pour toute personne d’avoir des relations humaines. Je pense avant tout aux étudiants qui n’ont pas pu aller régulièrement à l’Université.”
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De fait, les cours virtuels auxquels sont astreints les étudiants sont très loin de remplir les objectifs pédagogiques des vrais cours, ceux qui se font en amphithéâtre et qui permettent aux étudiants de tisser des relations sociales sur les campus universitaires. Cela a favorisé également la dépendance aux écrans et, avec eux, le risque non seulement de l’isolement, mais aussi de la dépendance aux crimes en ligne : “L’augmentation de l’enseignement à distance a impliqué une plus grande dépendance des enfants et des adolescents à l’Internet et aux formes de communications virtuelles en général, les rendant par ailleurs plus vulnérables et plus exposés aux activités criminelles on line.”
Si le Pape ne nomme pas lesdites activités criminelles, il est légitime de penser qu’il fait allusion notamment au problème de la pornographie, qui pullule sur la toile. L’isolement forcé et la rupture des liens humains peuvent provoquer, en forme de compensation, une dépendance à l’industrie du sexe en ligne, sans qu’il soit possible de repérer quels étudiants basculent dans ce monde parallèle. C’est bien d’une catastrophe éducative dont il s’agit, expression sur laquelle le pape insiste lourdement : “Nous assistons à une sorte de “catastrophe éducative”. Je voudrais le répéter : nous assistons à une sorte de “catastrophe éducative”, face à laquelle on ne peut rester inerte, pour le bien des générations futures et de toute la société.”
Un problème diplomatique majeur
Certains pourront s’étonner que le Pape aborde ce thème dans un discours adressé à des diplomates et que ce sujet compose la conclusion de son intervention. C’est le moment du discours où François s’exprime de la façon la plus personnelle, après des considérations un peu convenues et obligatoires dans ce type d’intervention sur la situation du monde. Or le fait qu’il parle d’éducation et du problème de la “catastrophe éducative” face au corps diplomatique témoigne au contraire de la spécificité diplomatique du Vatican. En tant qu’État catholique, c’est-à-dire qui s’intéresse “à tous les hommes et à tout l’homme” selon la formule de Jean Paul II, François est tout à fait fondé à parler d’éducation dans ce type d’intervention, conscient qu’il ne peut y avoir de résolution des conflits, de prévention de la paix et de développement humain intégral si on néglige la jeunesse des pays et si on la sacrifie dans une gestion problématique d’une pandémie.
L’éducation est l’antidote naturel à la culture individualiste.
L’avenir du monde passe par la jeunesse, une évidence valable depuis toujours et vraie pour toutes les générations. La “catastrophe éducative” évoquée par le pape est donc bien un problème majeur de la diplomatie actuelle. Comme il le dit ensuite, l’éducation “est l’antidote naturel à la culture individualiste, qui quelquefois dégénère en un véritable culte du “moi” et dans le primat de l’indifférence. Notre avenir ne peut pas être la division, l’appauvrissement des facultés de pensée et d’imagination, d’écoute, de dialogue et de compréhension mutuelle”. Il est donc essentiel de tenir compte de la jeunesse et de s’inquiéter de son état de détresse psychologique et des retards pris dans sa formation du fait des confinements imposés et des restrictions éducatives.
La liberté religieuse : un droit fondamental
Mais la catastrophe éducative évoquée par le Pape s’accompagne aussi d’une catastrophe à propos des libertés fondamentales, attaquées de toutes parts sous prétexte de lutter contre le virus : “Les exigences pour contenir la diffusion du virus ont aussi eu des conséquences sur diverses libertés fondamentales, y compris la liberté de religion, en limitant le culte et les activités éducatives et caritatives des communautés de foi.” Or la liberté religieuse est un impératif de l’homme et sa défense une des raisons d’être de la diplomatie vaticane. Là aussi, l’homme n’est pas que matière et il ne vit pas uniquement de pain et de relations en ligne. Comme il a besoin de voir des personnes et de cultiver ses relations sociales, il a aussi besoin, et il a le droit, d’avoir une vie de foi : “Il ne faut pas négliger le fait que la dimension religieuse constitue un aspect fondamental de la personnalité humaine et de la société, qui ne peut être effacé ; et que, alors que l’on cherche à protéger les vies humaines de la diffusion du virus, on ne peut considérer la dimension spirituelle et morale de la personne comme secondaire par rapport à la santé physique.” Le corps est certes important, mais l’âme et l’esprit le sont tout autant. La liberté d’avoir des cours à l’université et de voir ses amis relève de la santé de l’esprit, celle de pratiquer sa foi, de la santé de l’âme.
En conclusion de son discours, le Pape rappelle aux diplomates présents un élément essentiel de la liberté religieuse, à savoir que la pratique de la foi ne découle pas de la liberté de réunion, mais de la liberté religieuse elle-même : “La liberté de culte n’est cependant pas un corollaire de la liberté de réunion, mais dérive essentiellement du droit à la liberté religieuse qui est le premier et plus fondamental droit humain. Il est donc nécessaire que celle-ci soit respectée, protégée et défendue par les Autorités civiles, comme la santé et l’intégrité physique. D’ailleurs, un bon soin du corps ne peut jamais faire abstraction du soin de l’âme.” En disant cela, le pape pense évidemment aux nombreux pays européens qui, tout en se vantant d’être des démocraties et de respecter les libertés fondamentales, ont restreint comme jamais la liberté religieuse, au motif erroné de sauver le corps de leurs citoyens.
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La promesse de l’avenir se construit dans le présent
Le discours du Pape au cours de ses vœux diplomatiques 2021 se révèle beaucoup plus subversif qu’il n’y paraît de prime abord. En insistant sur la “crise anthropologique”, plus grave et plus profonde que la crise sanitaire, en montrant le lien étroit entre soin du corps, de l’âme et de l’esprit et en insistant sur l’absolue nécessité de prendre soin de la jeunesse et de ne pas l’enfermer dans un ghetto numérique à distance, François a délivré un discours politique de haut niveau qui place la crise vécue depuis bientôt un an dans une perspective beaucoup plus large et profonde que ne le font la plupart des chefs d’État. Reste ensuite à leurs diplomates à jouer leur rôle d’ambassadeur, c’est-à-dire de rapporter dans leur capitale respective les propos tenus à Rome.