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Bioéthique : il n’y a pas d’humanité sans limites

EMBRYON BIOETHIC

Photo prise du Centre d'étude et de conservation du sperme humain (CECOS) de Rennes montrant la préparation des ovocytes sous hotte stérile, avant la micro-injection des spermatozoïdes dans les ovocytes.

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Christine Pellen - Gènéthique - published on 12/02/21
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Au fil des années, les révisions de lois de bioéthique repoussent sans cesse les limites. Pourtant celles-ci sont inhérentes, indispensables à la vie humaine.Être limité est a priori peu élogieux. Et pourtant. Les limites, en dessinant le cadre, en donnant à voir où se situe la transgression, définissent aussi un possible. « La limite est le vivant même », affirment la journaliste Monique Atlan et le philosophe Roger-Pol Droit. Elle est « nécessaire et décisive, comme condition organisatrice de la vie, de la pensée et de la société ». La limite a une « fonction protectrice ». Ainsi, poser un cadre n’enferme pas, mais circonscrit un domaine où évoluer en sécurité : un espace de liberté. Une vérité bien connue des parents et des éducateurs.

La société de nos jours refuse toute limite. La loi ne fait plus autorité. « La norme morale est devenue relative, écrit l’avocat et essayiste François Sureau, avec cette conséquence paradoxale que le corps social ne cesse de réclamer un encadrement que les principes traditionnels ne lui donnent plus, tout en ne cessant de lui contester sa position d’autorité » (Sans la liberté, Gallimard, 2019). À chacun, on intime de « se dépasser », de « repousser ses limites ». Physiquement bien sûr, mais pas seulement. Au-delà de lui-même, l’individu est appelé à « faire bouger les lignes ». La transgression est érigée en exemple. Les témoignages de ceux qui n’hésitent pas à contourner la loi prolifèrent, comme par exemple pour la gestation par autrui, en dépit de l’interdiction légale.

La loi : un cadre mouvant

Les chercheurs aussi « font bouger les lignes ». Récemment, le Conseil d’État a fait annuler une autorisation d’étude sur des embryons humains accordée par l’Agence de la biomédecine (ABM), confirmant ainsi la décision de la Cour administrative d’appel de Versailles en 2018. La loi pose des limites, l’Agence de la biomédecine semble ne pas les voir. Et pour les ajuster à cet état de fait, la loi suivante les repousse, toujours un peu plus loin. Comme le rappelle Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Lejeune, qui a suivi l’élaboration des quatre lois de bioéthique, et de cinq révisions des conditions de recherche sur l’embryon, les modalités ont été élargies par étapes : « On a connu l’époque où la loi a interdit toute recherche (1994), puis a ouvert une dérogation temporaire (2004), puis a pérennisé cette dérogation (2011), puis a autorisé la recherche sous conditions (2013), puis a ouvert une dérogation dans la dérogation pour faciliter la recherche qui améliore la PMA (2016), puis supprime toutes les conditions (2019-2020). » Le législateur ne régule plus, il régularise.

Des limites à redécouvrir

Certes le champ des possibles ouverts par la technique ne cesse de progresser. Mais l’éthique ne se construit pas sur des sables mouvants. Progrès technique ne veut pas dire progrès éthique. Et « c’est l’éthique qui se trouve en péril, dans son fondement même, si on perd le sens des limites », préviennent Monique Atlan et Roger-Pol Droit, dans Le Sens des limites (Éd. de l’Observatoire). Avec des conséquences pour l’homme. « Si l’offre biomédicale a démantelé la sexuation, le processus de vieillissement, la mortalité, s’agit-il d’un simple franchissement de limites, ou d’une attaque de l’humanité, dans toutes les figures de sa finitude ? », interroge la psychanalyste et écrivain Monette Vacquin, membre du Conseil scientifique du Collège des Bernardins.

Retrouver le sens des limites, n’est-ce pas renouer avec l’humanité pour vivre en adulte laissant derrière soi l’enfant-roi, comme l’adolescent qui a pu tenter de se construire dans la transgression ?

L’homme est limité, la finitude est sa condition. Il doit composer avec des limites physiques, intellectuelles, qu’il éprouve dans une temporalité elle aussi limitée. Et « un homme, ça s’empêche » écrivait Albert Camus. On ne peut rester homme, expliquent Monique Atlan et Roger-Pol Droit, sans « accepter certains renoncements, refuser de faire tout ce qu’on désire, mettre des bornes à sa démesure, son agressivité, sa barbarie… ». Retrouver le sens des limites, n’est-ce pas renouer avec l’humanité pour vivre en adulte laissant derrière soi l’enfant-roi, comme l’adolescent qui a pu tenter de se construire dans la transgression ? Pour Monette Vacquin, « que la “militance de la raison” ait été le masque, peut-être désespéré, du refus de toute limite », interroge le devenir de notre humanité.

Pour en savoir plus : Généthique.

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