Les « nouvelles » déstabilisent souvent, mais ce n’est pas elles qui font toute chose nouvelle.
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Quiconque sait qu’il n’est pas seul au monde sait que son devoir et même son intérêt sont de se tenir au courant de tout ce qui survient. Mais la vertu que requiert de s’exposer consciencieusement au flot perpétuel des nouveautés n’est pas récompensée. Car cela revient non point à reconnaître des lois procurant références et repères, mais à accepter que tout acquis peut être remis en cause par de l’imprévu. Ce que l’on appelle justement « une nouvelle », c’est de l’inédit qui déstabilise. Comment rester serein sans s’enfermer dans une indifférence égoïste et vaine ?
L’info substituée à la connaissance
Un adage bien connu du journalisme américain est qu’un chien qui mord un homme, ça ne vaut pas la peine qu’on en parle, alors qu’un homme qui mord un chien, c’est une info qui se vend. La simple annonce du fait justifie détails explicatifs et commentaires sentencieux — jusqu’à ce que l’attention soit refocalisée par la révélation d’un sensationnel de calibre au moins égal. Ceci signifie que la connaissance, sans laquelle l’homme n’est que le jouet passif de forces aveugles, ne repose plus sur les savoirs enseignés dès l’école et dont la combinaison organise une vision commune du monde et de l’existence, mais est sans cesse remodelée par une succession ininterrompue de nouveautés entre lesquelles l’unique constante est qu’elles se périment et sont remplacées aussi vite qu’elles s’imposent.
Il est simplement symptomatique de cette situation que, depuis un an maintenant, l’actualité soit dominée par un virus qui a pris la science de court et qu’elle peine à contrôler. On vit donc dans un état d’affolement permanent. L’impossibilité de prévisions suscite des réactions qui vont de l’indignation à l’angoisse en passant par une fascination hébétée qui paralyse la réflexion. La seule consolation est l’illusion d’être affranchi de tout conformisme, puisque de l’inopiné vient continuellement occulter, voire ébranler les certitudes antérieures.
La séduction du « nouveau »
Cette emprise du « nouveau » est relativement récente dans l’histoire de l’humanité. Dans l’ère, que l’on peut dire classique, ouverte dans l’Antiquité, le tragique était perçu comme une épreuve à surmonter, tandis que les arts et la littérature frayaient des voies encore inexplorées d’accès à des vérités intemporelles et non maîtrisables sur l’homme et sur le monde. Mais à partir du début du XIXe siècle, d’un côté on en vient à espérer que les savants ne laisseront plus subsister aucun mystère. Et de l’autre, les « génies » romantiques prétendent non plus révéler quoi que ce soit à travers les aventures de héros mythifiés, mais glorifier leur propre révolte, qui repousse les limites traditionnelles de l’humanité en défiant les lois sociales et naturelles. Le vrai n’est dès lors plus immuable, mais indéfiniment refaçonné, et la nouveauté devient la seule « valeur » incontestable, quelle que soit la déstabilisation qu’elle occasionne.
Le « nouveau » séduit donc et devient une idole, comme l’a lucidement perçu Baudelaire : « Nous voulons […] plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » Ce sont les derniers vers des Fleurs du mal. Le scientisme a aujourd’hui du plomb dans l’aile à cause des catastrophes engendrées par les progrès technologiques. Mais ces derniers font encore bon ménage avec le culte romantique de la nouveauté, comme le prouvent ces tentantes innovations que sont les manipulations du vivant (de la conception à la fin de vie) et le brouillage de la distinction entre les sexes. Le « nouveau » s’avère ici fonctionner exactement comme les nouvelles : plus c’est hors normes et plus ça s’impose, avec l’ambition d’être enchâssé dans des lois humaines.
La permanence du changement
La dictature du « nouveau » n’apparaît pas seulement sur le plan inférieur et vulgaire de la publicité, qui donne comme argument pour l’achat d’un produit qu’il vient d’arriver sur le marché et rend donc caducs ceux qui existaient déjà. Elle se vérifie également, au niveau de la haute culture, dans le dépassement de la « modernité », qui s’est fatalement usée, par la « postmodernité » ou par le « contemporain », dans le domaine des arts. Cette excitation obligée suscite bien entendu une opposition symétrique, étiquetée conservatrice ou traditionaliste, qui tient a priori l’inouï et l’inédit pour superficiels et suspects.
Il s’agit de reconnaître que Dieu est transcendant, que le Créateur est distinct de sa création et que ce qui se passe sur la Terre ne le change en rien même s’il ne s’en désintéresse pas et règle tout par sa Providence.
On a là en fait une alternative qui date d’environ vingt-cinq siècles et dont les deux termes sont incarnés des philosophes dits présocratiques, c’est-à-dire antérieurs aux systématisations (dues à Socrate et Platon, puis Aristote) sur lesquelles a fait fond la pensée occidentale. D’un côté, Parménide d’Élée (en « Grande-Grèce », soit le sud de l’Italie actuelle), qui conçoit l’être comme permanence, voire immobilité. En face et même à l’autre bout du monde hellène, plus jeune d’une trentaine d’années, Parménide d’Éphèse (aujourd’hui un port turc sur la Mer Égée). Lui considère que la vérité, c’est le mouvement, le changement, malgré les apparences. « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », a-t-il dit, et : « Ce qui lutte forme la plus belle harmonie ; tout se fait par discorde ».
La nouveauté de Dieu
En ces temps de remises en cause généralisées, les chrétiens, qui n’entendent pas réviser leur foi en fonction des modes suscitées par les événements, tendent à se retrouver (sans le savoir) du côté de l’immuable parménidien, et c’est bien compréhensible. Il s’agit de reconnaître que Dieu est transcendant, que le Créateur est distinct de sa création et que ce qui se passe sur la Terre ne le change en rien même s’il ne s’en désintéresse pas et règle tout par sa Providence. À cette lumière, l’unique événement qui compte irrévocablement dans l’histoire de l’humanité et même du cosmos, c’est la venue de son Fils et ce que celui-ci a accompli — tel que le transmet la seule véritablement bonne (puisqu’aussi décisive que réjouissante, en grec eu) nouvelle (aggelia), autrement dit euaggelion, l’Évangile. Mais ce message n’autorise pas du tout à rejeter complètement le mobilisme héraclitéen.
D’abord l’œuvre de Dieu n’est pas encore achevée. Elle ne cesse de « renouveler la face de la Terre » (Ps 104 [103], 30). Ensuite le Christ, qui « fait toute chose nouvelle » (Ap 21, 5), reste solidaire non seulement des siens qui se réunissent en son nom, mais encore de tous ceux qui souffrent (Mt 18, 20 et 25, 40), et sa gloire se manifeste dans son abaissement (Ph 2, 6-11). Enfin — ou plutôt à la source de tout —, la vie de Dieu ne se réduit pas à subsister dans une abstraction inanimée et impassible, mais se renouvelle sans cesse dans la dynamique du libre don réciproque de soi-même entre le Père, le Fils et l’Esprit. Le problème que posent les nouvelles médiatisées est qu’elles ne présentent que d’infimes miettes de ce renouvellement perpétuel en Dieu et en cours dans sa création encore dans les douleurs de l’enfantement (Rm 8, 22). Le défi et l’épreuve, pour les fidèles du Christ, c’est de s’ouvrir à cette nouveauté en n’ignorant ni l’actualité du moment ni l’horizon vers lequel elle chemine si souvent à l’aveugle et même à contresens.
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