Aumônier de la Sorbonne et de différentes grandes écoles parisiennes, le père Thibaut de Rincquesen alerte sur l’isolement dont souffrent les étudiants dans le contexte sanitaire actuel.
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Génération sacrifiée, jeunesse abandonnée, indifférence totale… Les étudiants multiplient depuis plusieurs semaines les appels à l’aide à coup de pétitions, de collectifs et de groupes de soutien sur les réseaux sociaux. Et les chiffres sont accablants : un sondage Ipsos pour la Fondation FondaMental publiée fin janvier révèle que 40% des 18-24 ans ont un trouble anxieux généralisé. C’est plus que la proportion estimée jusqu’ici, évaluée à environ 30%. Quelques jours auparavant, c’est un sondage Odoxa-Backbone Consulting détaillant les conséquences négatives du coronavirus sur la vie quotidienne des 15-30 ans qui soulignait que 80% d’entre eux ont déclaré avoir subi des “préjudices importants” liés à la pandémie, détériorant les relations avec leurs amis (43%), leur famille (29%) et leur vie amoureuse (23%).
Face à cette détresse, plusieurs aumôniers étudiants ont pris la plume et publié dans Le Figaro une tribune appelant à “faire confiance aux étudiants”. “Le malaise étudiant, il est vrai, ne se comptabilise pas comme les morts du Covid. Il suinte”, alertent les aumôniers. Aumônier de la Sorbonne et de différentes grandes écoles parisiennes, le père Thibaut de Rincquesen, signataire de la tribune, appelle à “ne pas comparer les souffrances”. Entretien.
Aleteia : De quoi souffrent le plus les étudiants aujourd’hui ?
Père Thibaut de Rincquesen : Les étudiants souffrent aujourd’hui de l’isolement plus encore que de la solitude. Ils sont seuls pour suivre leurs cours mais aussi dans toutes les facettes de la vie étudiante alors même que ces années sont une période où, en plus des cours, il y a la découverte de nouvelles personnes, de nouveaux lieux, de nouvelles idées… C’est le moment où on ouvre au maximum son esprit et cœur à des apports extérieurs. Tout cela n’est malheureusement plus possible lorsque l’on est confiné dans sa chambre et que les cours à distance. C’est aussi valable pour ceux qui ont dû rentrer chez leurs parents : être tout le temps entre son père et sa mère n’est la meilleure chose lorsque l’on est étudiant, ce n’est plus l’âge. L’âge des études supérieurs est un âge où l’être se forme par les rencontres, les discussions etc. Cet isolement imposé par le contexte sanitaire ampute les étudiants d’une part importante de leur vie.
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Il ne faut pas comparer les souffrances ! Les étudiants font face à cette difficulté et il faut la prendre au sérieux au même titre que les souffrances ressenties par d’autres. Ils sont en train de construire un choix de vie. Au cours de leurs études, certains vont réaliser que cela ne va pas leur plaire et vont se réorienter. On ne peut pas s’imaginer qu’ils aient déjà tous une idée très fixe de ce qu’ils voudraient faire. Pour certains, et ils sont nombreux, il y a un réel risque de décrochage, de démotivation, qui a pour conséquence de les bloquer dans la maturation de leur projet professionnel. Or les études ont aussi cette fonction. Le jour de son bac un jeune ne sait pas forcément précisément ce qu’il va faire de sa vie, il le choisit, l’affine lors de ses études. Cet isolement les bloque dans leur réflexion et dans la manière dont il se projette sur le marché du travail.
La situation dans laquelle se trouvent les étudiants est difficile. Mais n’est-ce pas aussi une manière pour eux de faire preuve de solidarité, de participer à l’effort collectif ?
Si jamais c’est un effort collectif, il faut les y associer et qu’il y ait une pédagogie du don de soi. Il faut leur faire sentir que ce qu’ils font est héroïque, mettre du sens… et pas simplement voter des lois qui interdisent. Faire un effort pour les autres est très louable mais n’est pas forcément évident et nécessite d’être soutenu par des encouragements. Il faut qu’ils puissent sentir, de manière tangible, que leurs efforts valent le coup. Dans ce cas-là les étudiants suivront très volontiers car ils sont généreux ! Mais je ne suis pas sûr que ce message passe beaucoup aujourd’hui. Et c’est un message qui est moins audible sur la durée car il risque de ressembler à une sorte de sacrifice abstrait. Les étudiants n’ont pas forcément la conscience politique et sociale suffisante pour le percevoir immédiatement et, malheureusement, on ne les y encourage pas plus que ça aujourd’hui.
Quelle est cette vie que l’on protège à tout prix ?
Que préconisez-vous ?
Les étudiants sont généreux et créatifs. Il faut les mettre au service pour organiser des distributions alimentaires, rendre visite aux personnes âgées, pour participer concrètement à l’effort collectif de lutte contre le virus. Ils sont demandeurs, d’autant plus qu’ils sont eux-mêmes relativement peu impactés par le virus. Au niveau de la scolarité, les étudiants ont besoin d’un minium de contact alors pourquoi ne pas envisager de petits groupes de travail ? Entre le 100% en présentiel et le “zéro cours physique” il y a peut-être un juste milieu à trouver. S’il y avait eu plus de dialogue entre les représentants étudiants et les directions des écoles et universités, d’autres solutions auraient certainement pu être trouvées.
Vous écrivez dans votre tribune qu’il est normal de rêver sa vie “à l’image d’un ‘Vendée Globe’ plutôt que d’une interminable croisière confinée”. Les étudiants passent-ils à côté de qu’est censé être leur vie ?
Quelle est cette vie que l’on protège à tout prix ? Est-ce une vie pleine et remplie ? On s’aperçoit qu’une vie construite sur une peur de la mort et une protection de la santé corporelle est un petit morceau de vie qui ne fait pas rêver, notamment les étudiants. Ce n’est pas juste une inconscience de leur part face à la mort mais un sens assez juste que la vie est faite pour rencontrer des gens, découvrir le monde…qu’elle est vaste ! L’image du Vendée Globe fonctionne bien pour le percevoir. La vie contient de l’imprévu, des risques, des difficultés et c’est cela qui fait aussi son charme.
La vie intègre, en tout cas dans la réflexion politique, davantage de dimensions que la sécurité du corps.
Dans les récentes décisions politiques, je pense notamment à celle de ne pas confiner, il y a d’autres paramètres que la santé qui sont entrés en ligne de compte : l’économie, le vivre-ensemble… On sent que la vie intègre, en tout cas dans la réflexion politique, davantage de dimensions que la sécurité du corps… Comme un écho à la parole de Jésus “Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps” (Mt 10, 28)
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui souffrent aujourd’hui ?
Je leur dirais de ne pas s’isoler, de chercher des rencontres. Il y a la possibilité, notamment par le service des pauvres, par la pratique religieuse etc de sortir et de rencontrer les gens. Profitez-en ! Je leur dirais également que malgré les contraintes de la liberté, il existe beaucoup de possibilités de s’ouvrir et de découvrir le monde, des idées, des gens inattendus. Ne vous laissez pas enfermer par le fatalisme. Ce n’est pas la fin du monde !