Quand la morosité cède la place à la tristesse, plus personne ne regarde personne. La pire des choses serait de s’en remettre à la nostalgie. L’avenir se construit avec des rêves, mais dans le présent.
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“Ça va ?” À cette question anodine qui rythme les rencontres quotidiennes, nous répondons comme en échos par les mêmes mots, au mode affirmatif. Habitués à ne pas écouter la réponse apportée à cette question devenue à force vide de sens, il peut même arriver que nous n’entendons pas sa forme négative quand parfois notre interlocuteur ose briser le tabou : “Non, ça ne va pas…” Et pour celui qui, par une attention inattendue, comprend que le consensus, alors, se brise, c’est aussitôt l’angoisse de devoir changer de rythme : passer de la joyeuse nonchalance à l’attention à l’autre. Le risque de s’arrêter, de prendre le temps, de creuser, en quelque sorte, d’entrer vraiment en relation. Il y a bien un moyen de s’en tirer : répondre par un « désolé », en espérant que le fâcheux comprendra et qu’on pourra enfin reprendre le cours des choses. Car désormais, si l’on en juge les études, la morosité cède la place à la tristesse, le désarroi à la détresse : une majorité des jeunes pense au suicide, les responsables de nombreux services pédiatriques alertent sur une recrudescence de passages à l’acte… Et les aînés ne savent plus quelles raisons d’espérer proposer.
Le point de bascule
Il n’y a rien de simple à se retrouver au point de bascule de son monde : nous l’avons étudié dans nos livres d’histoire, nous l’avons médité dans de nombreux romans, ressenti dans de nombreux poèmes et dans les grandes tragédies théâtrales. Mais le vivre, c’est autre chose. Et rien ne nous y préparait. Nous qui nous étions habitués à penser que la joie était contagieuse au point de trouver suspects ceux qui disaient avoir du mal à s’en revêtir, nous voici désormais contraints de regarder en face notre vie, à réfléchir au “pourquoi” de nos courses folles, envisager notre destinée…
La pire des choses, me semble-t-il, serait d’accepter l’état de fait et de s’en remettre à une destinée désespérante. L’autre drame serait de se cramponner coûte que coûte au fantasme que nous pourrions demain retrouver la vie d’avant.
Des amis rapportent l’autre jour que leur jeune fille, rentrant du collège, leur dit qu’avec une amie, elles s’étaient faites cette réflexion : « Il n’y a plus de joie. » Les rues sont vides de voix, de rire, de musique, de chant, de cri. Il n’y a plus que les pas pressés, les respirations masquées. Plus personne ne regarde personne. Il faut partir et rentrer à l’heure, être efficace dans une journée qui compte à peine dix heures. Il y a même à craindre qu’à force de ne plus tourner, les producteurs ne puissent très longtemps maintenir les flux de séries et de films sensés nous permettre une évasion contre laquelle nos frontières fermées nous garantissent désormais.
On ne retrouve jamais le temps passé
La pire des choses, me semble-t-il, serait d’accepter l’état de fait et de s’en remettre à une destinée désespérante. L’autre drame serait de se cramponner coûte que coûte au fantasme que nous pourrions demain retrouver la vie d’avant. On ne retrouve jamais le temps passé, et plus nous le pleurons, plus il nous étouffe.
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« Il faut oser rêver, disait le père Pierre Ceyrac, car les grands hommes sont ceux qui ont des visions et des rêves. » Et ne sont-ils pas grands ces hommes de toutes races, langues, peuples et nations, qui ont reçus en eux le germe divin ? Nous voici convoqués à construire un monde pour aujourd’hui et non pas à subir la course qui nous était auparavant plus ou moins infligée. Comment les plus jeunes d’entre nous pourraient-ils aller bien s’ils n’entendent autour d’eux que la suave mélopée de l’âge d’or des temps passés ? Et comment les plus abattus d’entre nous pourraient-ils croire en un à-venir, si nous qui en avons reçu la promesse, ne cherchons à la rendre présente maintenant ? « Il faut oser des rêves, et ensuite l’amour est tout ce dont vous avez besoin pour les réaliser et les garder en vie » disait le vieux jésuite en souriant, les mains ouvertes, vides d’apparence mais pleines de présence.
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