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Jésus et l’appel de Capharnaüm

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Les ruines de la synagogue de Capharnaüm.

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Jean-Thomas de Beauregard, op - publié le 30/01/21
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Quand Jésus parle, il parle en “homme d’autorité”, car il est ce qu’il dit : sa parole est réellement efficace, et elle est même encore efficace aujourd’hui.

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Le 18 juin 1940, sur les ondes de la BBC, le général de Gaulle lançait son fameux appel à la résistance contre l’occupation nazie. À l’époque, il est un quasi-inconnu, et les historiens estiment aujourd’hui que l’appel du 18 juin n’a été entendu que par très peu de monde. Personne ne savait très bien ce qu’il y avait dit. Pourtant, son retentissement a été immense. La première prédication publique de Jésus, dans la synagogue de Capharnaüm, a quelque chose de comparable (Mc 1, 21-28). Ce jeune rabbi inconnu prend la parole pour enseigner. L’enthousiasme est immédiat : c’est la grâce des commencements, on admire le jeune prédicateur peut-être plus pour sa jeunesse et sa fraîcheur que pour ce qu’il dit. Les jeunes prêtres connaissent cela et ne se font pas trop d’illusion sur la qualité réelle de leur prédication…

Un homme d’autorité

Mais ici, Marc précise aussitôt que l’auditoire est frappé, parce que Jésus “enseignait en homme qui a autorité”. Pourtant, l’évangéliste est incapable de nous rapporter le contenu exact de cet enseignement ! Le récit spectaculaire de l’exorcisme éclipse presque totalement l’enseignement du Christ, de telle sorte qu’on ne sait pas ce qui avait tant frappé l’auditoire au point de lancer définitivement le ministère public de Jésus.

Faut-il en conclure que l’enseignement de Jésus était plus remarquable par sa forme que par son fond ? Ce serait légèrement méprisant… Mais il est vrai que la parole de Jésus frappait au moins autant par son contenu que par l’autorité avec laquelle il parlait. Marc précise que cette autorité distinguait l’enseignement de Jésus de celui des scribes. En certains lieux de l’Évangile en effet, Jésus ne craint pas de souligner le contraste avec ses prédécesseurs, qu’ils soient scribes et pharisiens ou bien patriarches et prophètes : “On vous a dit que, moi je vous dis que.” La parole de Jésus s’impose : “Amen, en vérité je vous le dis.”

Un épanchement de son être

Cette autorité inédite caractérise la parole de Jésus. Dans le grec de l’évangéliste, l’autorité se dit : exousia. L’étymologie est ici précieuse pour comprendre de quoi il s’agit : c’est une émanation au-dehors (ex) de son essence (ousia). Autrement dit, l’autorité de Jésus vient des profondeurs de son être et en rayonne à l’extérieur comme par un excès de lumière. C’est en cela que Jésus diffère des scribes : son enseignement n’est pas un catéchisme appris et récité ni un catalogue de préceptes reçu de l’extérieur, c’est un épanchement de son être même.


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Jésus est ce qu’il prêche et Jésus prêche ce qu’il est, sans ce léger décalage entre le discours et la personnalité qui empêche parfois de prendre tel orateur trop au sérieux. Et cette autorité de Jésus, loin d’écraser son auditoire, lui permet justement d’exister et de grandir dans la liberté — ici c’est la racine latine de l’autorité, auctoritas du verbe augere (faire grandir, augmenter) qui vient au secours de notre compréhension –. La parole de Jésus est une parole qui relève et non pas une parole qui abaisse. C’est cela, l’autorité véritable.

Et les actes suivent

Mais si la parole de Jésus s’impose par l’autorité qui émane de lui, c’est aussi parce qu’elle produit efficacement ce qu’elle signifie. Non seulement Jésus prêche ce qu’il est, et est ce qu’il prêche, mais lorsqu’il parle, les actes suivent et la réalité extérieure elle-même est façonnée par sa parole. En cela, Jésus se révèle comme le Fils éternel du Père, le Verbe de Dieu qui façonnait le monde par sa Parole dans l’œuvre de la création. À l’instar de Dieu aux origines (Gn 1 ; Ps 33, 9), Jésus parle, et cela est, et la Parole de Dieu venue sur la terre ne s’en revient pas sans résultat (Is 55, 11). C’est ainsi qu’au démon qui a pris possession d’un homme présent dans la synagogue, Jésus peut dire : “Tais-toi ! Sors de cet homme !” Jésus ordonne, et le démon s’exécute. Il dit, et cela est. Dans cet exorcisme spectaculaire qui inaugure son ministère public, Jésus révèle le motif prochain de son Incarnation : il est venu dans notre chair pour nous sauver du péché et vaincre le Diable. Le dessein de Dieu sur l’humanité est certes plus large que cela, puisqu’il s’agit dès l’origine de nous diviniser par l’adoption filiale. Mais l’Écriture nous enseigne que pour réaliser cet unique dessein demeuré inchangé en dépit de la faute originelle, Jésus est venu nous sauver du péché et de la mort, et pour cela vaincre le démon qui s’était imposé dans trop de cœurs.

Ce récit d’Évangile nous livre un écho de l’autorité inouïe avec laquelle Jésus prêchait.

L’autorité de Jésus se mesure à l’efficacité de l’exorcisme qu’il exécute, mais aussi avant cela par la confession de foi des démons. Avant même que Jésus ne le réduise à l’impuissance, l’esprit impur lui crie : “Je sais qui tu es, le Saint de Dieu.” C’est l’hommage du vice à la vertu ! Ainsi, un démon peut proclamer de manière voilée la divinité du Christ, et il est même le premier à le faire dans l’Évangile de Marc ! C’est donc qu’il ne suffit pas de proclamer la divinité de Jésus pour être chrétien, il faut encore que la charité vienne vivifier une foi qui, sans cela, reste morte. Il ne suffit pas de savoir que Jésus est Dieu, il faut encore vouloir vivre de sa vie, être son serviteur, son frère et son ami.

Une efficacité qui se transmet

Ce récit d’Évangile nous livre un écho de l’autorité inouïe avec laquelle Jésus prêchait. Mais que vaudrait un tel récit si cette autorité de Jésus n’était qu’un reliquat du passé, une belle histoire d’un temps malheureusement révolu ? Rien ! Au grand homme — Jésus —, la patrie — l’Église — serait vaguement reconnaissante, mais la statue serait vite reléguée au rayon des antiquités. À l’instar du gaullisme incantatoire des élites politiques françaises, on s’en réclamerait de loin pour asseoir son propre pouvoir, mais sans que le souvenir du passé suffise à façonner le présent. Pourtant, la parole de Jésus et son autorité souveraine demeurent efficaces aujourd’hui. C’est le cas lorsque la proclamation et la méditation de l’Évangile retournent les cœurs et provoquent à l’action pour le Royaume. Mais c’est encore davantage le cas dans les sacrements. Lorsque le prêtre, qui agit in persona Christi, dit : “Ceci est mon corps, ceci est mon sang”, le pain et le vin sont réellement le corps et le sang du Christ, et l’Église s’édifie dans les cœurs. Lorsque le prêtre, qui agit in persona Christi, dit : “Je te pardonne tous tes péchés”, les péchés sont effectivement remis, le démon vaincu et le pénitent restauré dans son amitié avec Dieu.


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Oui, la parole de Jésus retentit dans son Église, et elle a le pouvoir de façonner la réalité pour la configurer à Dieu. Elle est d’une efficacité souveraine, parce qu’elle tire son autorité de Jésus lui-même. Elle libère et elle relève les hommes pour en faire des enfants de Dieu libres sous la grâce. L’appel de Capharnaüm n’est pas l’appel du 18 juin. Il est beaucoup plus que cela !

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