Dans une pure logique de pouvoir, l’État a peu à peu transformé la laïcité en instrument de contrôle préventif de la société civile et de la sphère religieuse. Au nom de la sécurité des corps mais aussi des idées.
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L’historien observant le traitement de la liberté de culte public par les autorités luttant contre l’épidémie de Sars-CoV2 ne peut que relever que celle-ci fut particulièrement restreinte. Lors du premier confinement, elle fut réduite à la possibilité de cérémonies funéraires dans la limite de moins de 20 personnes et à des mariages de six personnes au plus — ce qui, en soi, montre que le référentiel de la politique des cultes demeure le catholicisme, qui sacralise ces deux rites de passage plus que les autres religions. Lors du second confinement, elle fut d’abord réduite dans la même proportion, avant un élargissement à des assemblées de trente personnes — occasion d’un étonnant cafouillage gouvernemental.
On notera l’originalité consistant à maintenir ouverts des lieux de culte en y interdisant tout usage collectif, alors que la liberté de culte est une liberté individuelle notamment destinée à permettre des rassemblements collectifs. On relèvera aussi combien la liberté de culte fut absente des réflexions des législateurs et du gouvernement, tant dans les avis du Conseil d’État que dans les études d’impact et les débats parlementaires, en commission ou en séance — au moins lors du premier confinement. On soulignera enfin combien la liberté de culte fut considérée comme moins importante que l’activité économique, la réouverture des lieux de culte ayant été en partie imposée au gouvernement par des recours au Conseil d’État, tant lors du premier déconfinement que du second confinement.
Au nom de la sécurité
La logique ayant conduit à restreindre à ce point la liberté des cultes se trouve dans la croissance de la régulation étatique de la société civile par l’édiction de normes de sécurité. Elle atteint les lieux de culte par l’article 236 du décret du 7 février 1941 « relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments ou locaux recevant du public » (modifié en 1954, 1965 et enfin en 1980 en application de l’article R123-12 du nouveau Code de l’habitation et de la construction). Les lieux de culte ne sont plus une espèce déterminée par l’activité qu’y pratiquent les associations cultuelles, comme en 1905, mais une classe d’une catégorie englobante, les « établissements recevant du public » (expression de 1954), sujette aux normes étatiques. Le Code de la Santé publique (art. L. 3131-1 et L3131-15), s’appuyant sur le Code de l’habitation et de la construction, peut alors atteindre les lieux de culte, en autorisant la fermeture des « établissements recevant du public » en cas d’urgence sanitaire.
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Ainsi, une réalité est créée et en même temps immédiatement contrôlée, l’État manifestant sa souveraineté transcendante : comme Dieu, sa parole est performative, créatrice et régulatrice. L’extension de la puissance étatique sur le cultuel se réalise donc, plus que selon la logique de 1905 (le contrôle qualitatif des propos tenus), par le biais d’une logique technicienne (des normes de sécurité) fondée sur la qualification des lieux (lieux de réunion, établissements recevant du public), qui transforme le culte en une réunion parmi d’autres, et non plus en une action spécifique dont l’exercice est garanti.
Une laïcité ignorante du fait religieux
D’autres logiques plus sociologiques ont pu jouer, qu’on avancera à titre d’hypothèses évaluables un jour à partir des témoignages des acteurs et de l’exploration des archives. On peut d’abord s’interroger sur la culture de la laïcité des auteurs des décrets et arrêtés récents. Pour le législateur de 1905, le culte ne se réduit pas à une contribution au traitement de la mort, comme les dispositions gouvernementales l’ont actuellement établi. Il est par essence collectif et diffère en tant que tel de la possibilité de se rendre individuellement dans les lieux qui y sont destinés, et concerne plus les rapports des vivants les uns avec les autres que les rapports des vivants avec les morts. On peut aussi supposer que le monde cultuel a été fort peu, voire pas du tout, consulté par les pouvoirs publics. La désaffiliation religieuse croissante a réduit la connaissance et la compréhension des attentes du monde religieux par les responsables politico-administratifs. L’amenuisement des liens personnels entre ces deux sphères a tari les canaux de communication et conduit l’État à suivre uniquement sa propre logique de contrôle étendu au nom du « faire vivre ».
La surveillance des corps au mépris des consciences
On peut s’interroger également, pour le deuxième confinement, sur le degré de sensibilité ou d’antipathie personnelles de responsables gouvernementaux en partie renouvelés aux attentes des organismes cultuels et de leurs fidèles. Enfin, dernier questionnement : quelle est la justification des modalités de lutte contre l’épidémie ? La « science » valide le contrôle des corps en interdisant leur déplacement ou leur réunion, source de propagation de l’épidémie. Cette argumentation traduit que l’État vise en fait la surveillance des corps, jugés sans le dire plus importants que les consciences. En radicalisant ainsi son emprise sur les corps, au nom de leur salut immédiat, l’État atteint les consciences, indissociables de corps médiatisant leur expression. Il infléchit donc la laïcité mise en place en 1905, jusque-là notamment destinée à limiter son emprise sur les consciences en garantissant une réelle autonomie à la réunion des corps en un même lieu.
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