Dans “Les Religions face aux épidémies, de la peste à la Covid-19” (Cerf), l’historien Philippe Martin étudie les différentes manières dont les religions ont affronté les épidémies dans l’histoire.
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Historien, professeur à l’université de Lyon-II, Philippe Martin est également directeur de l’Institut supérieur d’étude des religions et de la laïcité. Pour son dernier essai, Les Religions face aux épidémies, il a demandé à près de 700 chrétiens, catholiques et protestants, comment ils ont vécu l’épidémie de la Covid-19. Même si la pandémie de l’année 2020 inaugure peut-être une nouvelle page dans l’histoire de l’humanité, bien souvent les religions ont tracé la voie et “pavé la voie des gouvernants politiques”.
Aleteia : Quelle est la différence entre épidémie et pandémie ?
Philippe Martin : Une maladie est endémique quand elle est stable dans une région définie. Si le taux de prévalence s’envole, elle devient épidémie. Pour peu qu’elle gagne plusieurs continents, la voici pandémie. C’est cette dernière phase que nous vivons aujourd’hui.
Toute pandémie offre, dites-vous, une “leçon politique”. Qu’avez-vous observé sur les “rapports étroits” entre épidémie et religion ?
La manière de recevoir les mesures sanitaires est révélatrice des relations entre les États et les religions. Au printemps 2020, comment celles-ci allaient-elles accepter la limitation des occasions de rencontres alors que de grandes fêtes chrétiennes, musulmanes et juives auraient dû être célébrées ? Or il n’y pas eu de souci. Dans nos pays occidentaux, toutes les religions ont appuyé ces contraintes, appelant leurs fidèles à faire très attention. “Fermer les églises, ce n’est pas fermer la religion” a expliqué un pasteur. Lors du second confinement, la société a bien plus mal accepté les mesures sanitaires. Les religions ont suivi ! C’est ce qui explique, en France, les demandes du clergé catholique à propos de l’ouverture des lieux de culte. Le clergé a agi comme bien d’autres groupes. Dans de nombreux pays, la crise a été l’occasion d’affrontements révélant les fragilités des États. Cela a d’abord été le poids de minorités comme en Israël quand les Haredim ont refusé d’appliquer les gestes barrières. Ce fut ensuite, la révélation d’États faibles, incapables de s’affirmer face aux clergés. Au Sénégal, les responsables de mosquées ont décidé de laisser ouverts les lieux de culte, contraignant le Président à renoncer aux mesures de confinement.
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Les mesures de restriction prises ces derniers mois à l’égard des cérémonies religieuses sont-elles inédites dans l’histoire ?
Absolument pas. Les mesures prises depuis le début de cette pandémie sont dans la droite ligne de ce qui se faisait lors des attaques de la peste au XVIe siècle. Les églises étaient fermées et des autels dressés dans les rues pour éviter la proximité physique entre les fidèles. Le clergé rivalisait d’inventivité. Ainsi, pour les confessions, le fidèle restait chez lui, à une fenêtre dont on fermait le volet. Le prêtre s’installait dans la rue l’oreille collée au volet. Le secret était maintenu et il n’y avait aucun contact entre le pénitent et son confesseur. Dans le domaine religieux, les mots d’ordre ont toujours été les mêmes : faire évoluer le rite pour éviter les risques de contagion ; maintenir une activité charitable ; continuer la prière. Charles Borromée à Milan (1576) ou François-Xavier de Belsunce à Marseille (1720) sont des modèles pour l’ensemble du monde catholique tant ils ont été zélés pour combattre la peste, prenant parfois des mesures de restrictions plus vigoureuses que ce que souhaitaient les autorités civiles.
Dans le domaine religieux, les mots d’ordre ont toujours été les mêmes : faire évoluer le rite pour éviter les risques de contagion ; maintenir une activité charitable ; continuer la prière.
Quel rôle joue la prière en temps d’épidémie pour les croyants ?
Face à la peste du XVIIe siècle, le pasteur allemand Johann Rist priait Dieu : “Tu es celui qui aide dans la détresse, en toi on peut trouver conseil, tu peux surmonter victorieusement la maladie et même la mort. Tu peux parfois nous blesser et, en même temps, tu peux nous guérir comme notre médecin.” Cette prière traduit la confiance du croyant en temps d’épidémie. Pour lui, la prière a trois vocations. Elle est d’abord reconnaissance de l’état de pécheur ; elle est ensuite soumission au destin ; elle est enfin demande. Lors de la pandémie actuelle, chose remarquable et nouvelle, les croyants ont peu prié pour leur sécurité personnelle. Ils ont invoqué le Ciel pour les soignants, les malades, les politiques… Ils ont eu une attitude très ouverte au monde espérant que la maladie permettrait de comprendre que l’homme n’est pas tout-puissant. Jadis on invoquait la Vierge et les saints antipesteux, comme Roch ou Sébastien. En 2020, les catholiques se sont tournés vers Dieu, Jésus ou la Vierge, négligeant les saints et se plaçant ainsi en rupture avec des prélats qui ont remis en honneur les anciens protecteurs.
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Les personnes que vous avez interrogées attendent-elles des religions qu’elles s’investissent davantage dans l’après-pandémie ? De quelle manière ?
Pour réaliser mon ouvrage, j’ai interrogé 700 chrétiens (catholiques et aussi issus des diverses mouvances protestantes) qui affirment leur foi et leur identité. L’immense majorité (75%) reconnaît la primauté de l’État pour tout ce qui concerne la gestion de la crise. Si les mesures restreignant la liberté de rassemblement lors des funérailles ont été mal vécues, les interdictions de regroupement ont été comprises. “Je n’ai jamais été plus pieuse que pendant le confinement, car beaucoup plus dans l’être que dans le faire” m’a expliqué une kinésithérapeute. Tous espèrent que l’humanité pourra en tirer trois leçons. La première est la nécessité de repenser ce qu’est une communauté de vie chrétienne. La seconde concerne l’appel à des Églises moins hiérarchiques où les laïcs auraient une plus grande place. Enfin, ils souhaitent que la religion redonne du sens au monde. Non pas qu’elle se substitue au politique, mais qu’elle rappelle la fragilité des constructions humaines, qu’elle attire l’attention sur les plus faibles… Ces demandes ne sont pas nouvelles mais la crise a joué un rôle d’accélérateur. Certains catholiques, par exemple, s’interrogent sur la portée des célébrations par Internet sans eucharistie partagée. Ils ont vécu intensément ces messes à distance. Alors, en revenant dans les sanctuaires, comment ne pas se questionner sur le sens du rite ? Il y a une attente importante des croyants qui espèrent ne pas être déçus.
Les Religions face aux épidémies, de la peste à la Covid-19, Philippe Martin, Éditions du Cerf, octobre 2020, 22 euros