Dans un très beau livre, “Trésors du Saint-Sépulcre” (Cerf), l’historien Jacques Charles-Gaffiot nous présente les trésors venus de toute l’Europe pour honorer la Ville Sainte. Ce luxe pour Dieu, explique-t-il, est aussi une quête du Bien et du Vrai.
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Historien d’art, Jacques Charles-Gaffiot a été commissaire de la prestigieuse et inoubliable exposition Trésors du Saint Sépulcre qui eut lieu au château de Versailles en 2013. Dans son livre Trésors du Saint-Sépulcre, il accueille littéralement le visiteur dans le lieu saint, pour lui faire découvrir sans interprétations artificielles la quête de Dieu qui a guidé artistes, princes et pèlerins à travers les plus belles œuvres d’art, vers la source de toute grâce.
Aleteia : L’omphalos, symbole du centre du monde, est pour les chrétiens le tombeau vide du Christ, le Saint-Sépulcre. Pourquoi estimez-vous à son sujet qu’« une redécouverte s’impose » ?
Jacques-Charles Gaffiot : Retrouver le sens des choses, concentrer ses efforts pour mieux pénétrer ce qui nous entoure sont autant de démarches méthodologiques échappant à l’expression de la pensée contemporaine. Il faut désormais être pour ou contre une opinion ; il convient de réagir sur l’instant et à l’instant ! L’image — non pas ces clichés diffusés en permanence sur les antennes des grands médias — peut sans doute nous guérir de cette inclination. Statique, elle nous invite à concentrer notre regard sur elle pour bien la percevoir tout d’abord, puis la comprendre. Mais surtout, à la différence de l’écrit par exemple, l’image présente l’extraordinaire capacité de délivrer en un seul instant ou par degré son contenu sans interférence préjudiciable à notre libre arbitre. Que celui qui a des yeux pour voir, qu’il comprenne !
Le livre propose de revenir voir l’omphalos du monde pour mieux en repartir après l’avoir considéré.
En nous focalisant sur un point particulier, en recentrant les regards sur tel objet, nous pouvons plus facilement redevenir nous-mêmes et établir nos propres choix. Dans l’histoire de la pensée qui n’est pas seulement restée occidentale, l’omphalos du monde placé depuis des siècles au cœur du Saint-Sépulcre n’est pas seulement le symbole d’une mésaventure lointaine aux conséquences révolues depuis longtemps. La croix du Calvaire est devenue un pivot ancré au milieu de notre histoire. Dans Trésors du Saint-Sépulcre, je propose donc de faire une halte au Saint-Sépulcre, d’approfondir ce que l’on y voit sans que des conjonctures extérieures ne viennent (ou le moins possible) en ombrager l’observation. Rendu face à lui-même, le visiteur — dans notre cas le lecteur — aura le loisir d’entrer dans un endroit méconnu ou d’y revenir. Des références historiques, la description d’œuvres d’art, la portée donnée aux cérémonies liturgiques pourront le guider dans son cheminement. L’apostrophe Venez et voyez lancée par Jésus aux deux apôtres André et Philippe l’interrogeant pour savoir où il demeure, reste toujours d’actualité. Le livre propose donc de revenir voir l’omphalos du monde pour mieux en repartir après l’avoir considéré.
Quels trésors artistiques venus d’Europe au Saint-Sépulcre vous ont le plus saisi ?
Les grands règnent et offrent avec éclat tandis que les plus humbles adressent peut-être leurs présents avec une générosité plus désintéressée. Il est donc difficile de juger de la valeur des offrandes faites au Saint-Sépulcre et aux sanctuaires des lieux saints par l’intermédiaire de la Custodie de Terre sainte. En évoquant les trésors artistiques venus d’Europe, il faut tout d’abord rappeler que le miracle n’est pas tant leur conservation à travers les âges mais leur arrivée à destination. La traversée de la Méditerranée était pleine d’embûches. Les pèlerins s’embarquaient au moment le plus favorable pour éviter tempêtes et naufrages, mais voyager au péril de la mer était surtout risquer la piraterie des barbaresques aboutissant à une mise en esclavage sur les marchés d’Alger. Parvenus à Jaffa, les voyageurs étaient loin d’être arrivés au bout de leurs peines. Des taxes de toute sorte étaient exigées d’eux pour débarquer. Une fois leurs bagages fouillés, ils empruntaient la route en direction de Jérusalem sous la conduite d’un frère en espérant de n’être ni violentés ni rançonnés durant le trajet. Les entrées dans la ville et dans la basilique étaient soumises à des octrois comme à une série de mesures vexatoires (dhimmitude) auxquelles il fallait se soumettre. Dans de telles conditions, le trésor apparaissant le plus spectaculaire est incontestablement l’ensemble d’orfèvrerie offert, entre 1747 et 1757, par le roi de Naples, Charles de Bourbon, futur Charles III d’Espagne, ainsi que par des bienfaiteurs napolitains restés anonymes. Il s’agit là de pièces ciselées en or massif, agrémentées de gemmes précieuses et de dimensions spectaculaires. Elles sont toujours utilisées aujourd’hui lors des plus grandes cérémonies liturgiques de l’année. Il en va de même pour les autres présents historiques reçus aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. De la sorte, malgré les vicissitudes de l’Histoire, les vœux des divers donateurs sont toujours fidèlement respectés.
Si les rites, les objets d’art offerts à Dieu n’apportent rien au Créateur, l’offrande de ces derniers, en revanche, profite à l’homme qui chemine vers sa perfection.
« Le luxe pour Dieu » : comment est-on arrivé à penser la beauté de l’art sacré comme un moyen pour le Bien de triompher du Mal ?
Le génie de la main, le génie de l’esprit participent tous deux et à part entière à l’acte de création. Ainsi, l’œuvre d’art ne se résume pas seulement à la matière ou à la technique employées. Si la véritable œuvre d’art résulte peu ou prou d’un instant de perfection pour atteindre la valeur d’un chef-d’œuvre, elle ne saurait donc avoir pour finalité qu’une seule et unique expression esthétique. Elle s’approche aussi et du Bien et du Vrai. La philosophie hellénistique, depuis Platon, a dégagé ces principes, tout en affirmant que seule l’aptitude de l’esprit permet d’atteindre les réalités immatérielles. Alors se pose ensuite la question de la licéité du « luxe pour Dieu » puisque la matière est invitée à participer à la quête spirituelle.
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Considérons tout d’abord que si les rites, les objets d’art offerts à Dieu n’apportent rien au Créateur, l’offrande de ces derniers, en revanche, profite à l’homme qui chemine vers sa perfection. La louange adressée à Dieu ne saurait seulement procéder d’actes immatériels. Par ses gestes, les dons éventuels adressés à Dieu, le donateur s’inscrit alors dans la réalité concrète de la vie. Tout acte liturgique célèbre, pourrait-on dire, les noces du ciel et de la terre, épousailles qu’autorise l’incarnation du Verbe dans la théologie chrétienne. Enfin, saint Thomas d’Aquin peut nous permettre de mieux saisir la valeur des offrandes faites à Dieu. Rendant compte du mouvement structurant la théologie, c’est-à-dire une trajectoire de sortie (exitus) et un trajet de retour vers le Tout-Puissant (reditus), il place toute oblation dans ce même processus en lui octroyant tant dans sa finalité que dans sa source une origine divine identique à laquelle nous sommes invités à participer en qualité de « fils adoptifs » que nous sommes.
Les disciples de saint François, les minores, n’ont, dites-vous, accordé qu’un caractère quasi secondaire au Sépulcre du Christ pour préférer le « site insigne du Cénacle ». Quel rôle jouèrent les franciscains dans la conservation de ces trésors du Saint-Sépulcre ?
Les Évangiles se terminent par l’invitation faite aux apôtres d’aller évangéliser toutes les nations. Saint François quant à lui prend conscience de la mission qui lui est confiée en comprenant que sa vocation ne se limite pas à la reconstruction de la chapelle de San Damiano ou de celle de la Portioncule. S’il lui faut relever les ruines de l’Église, c’est tant au sein de l’institution qu’à l’extérieur. Le Povellero cherchera donc rapidement à porter son action missionnaire dans le monde musulman. En 1219 il s’embarque avec quelques compagnons pour rencontrer près de Damiette le sultan d’Égypte, Al-Kamel, et tenter de le convertir. Cet appel missionnaire est comparable à celui reçu par les apôtres le jour de la Pentecôte alors que ceux-ci sont tous rassemblés autour de la Vierge au Cénacle, et que ce même élan sera celui des frères de saint Dominique. Ce sont les vestiges de ce même Cénacle, reconstruits par les croisés et que l’on peut voir encore de nos jours, que le roi de Naples, Robert d’Anjou, achète à prix d’or en 1333 pour offrir aux franciscains de Terre sainte une pierre où reposer la tête. Le Cénacle, lieu où est instituée le soir du jeudi saint l’eucharistie, puis quarante jours plus tard lieu où l’Esprit saint fait son irruption, est en parfaite harmonie avec la mission confiée par saint François à ses frères, plus que tout autre lieu saint.