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Canterbury, 29 décembre 1170. Thomas ne lève pas la tête de sa prière lorsque les cris injurieux se font entendre à l’entrée de la cathédrale. Les portes s’ouvrent à la volée, laissant entrer le froid de décembre. Les prêtres et les diacres qui l’accompagnaient dans les vêpres sursautent et se réfugient derrière l’autel. Mais Thomas ne bronche pas et termine sa prière calmement. À vrai dire, il s’attendait à cette visite fatale.
Le temps de son amitié avec Henri Plantagenêt lui semble bien lointain. Comme si cette complicité datait d’une autre vie. En le nommant archevêque, le roi avait espéré obtenir le contrôle total de l'Église d’Angleterre et de ses fonctions. Que ce soit la cour ecclésiastique ou les excommunications, toutes les décisions finales seraient prises par le roi et personne d’autre. Mais c’était sans prendre en compte la fidélité de Thomas envers la foi et le pape Alexandre III, adversaire juré d’Henri et de sa quête de domination absolue. L'Église était l’affaire de Dieu et des hommes de Dieu.
Après son élection en 1161, Thomas avait fait tout son possible pour préserver l'Église des griffes de l’avide souverain. Leur amitié si complice s’était rapidement dégradée face à leurs nombreux désaccords. Thomas refusait de faire payer des impôts injustes à l'Église, de laisser la cour royale se mêler des affaires ecclésiastiques ou d’aller à l’encontre du droit canonique. Aux yeux du roi, son pion s’était retourné contre lui.
Mais vint alors la rupture définitive qui abaissa Thomas au statut de traître aux yeux du royaume. Le 30 janvier 1164, Henri II convoqua l’archevêque et la cour à Clarendon. Sous prétexte de prêter serment aux coutumes des ancêtres, les évêques qui s’étaient soumis au roi lui assurèrent qu’il ne s’agissait que d’une formalité. Épuisé et à bout, Thomas céda. Mais les fameuses Constitutions de Clarendon qu’on lui présenta s'avérèrent être un contrat donnant autorité absolue au souverain dans les décisions de l'Église.
Révolté, Thomas refusa de signer et le piège du roi se referma. Ce retour sur sa décision fut perçu comme une trahison. L’archevêque fut contraint de s’exiler en France durant six longues années.
Cela fait à peine quelques semaines qu’il est de retour à Canterbury, ne voulant plus négliger ses devoirs. Et voilà que déjà on vient pour sa tête. L’archevêque lâche un long soupir. Sa dernière heure n’est pas loin.
- Seigneur, faites que personne d’autre que moi ne soit rappelé aujourd’hui, dit-il pour conclure sa prière.
Il se lève, époussette sa vieille bure et se tourne vers l’entrée. Quatre hommes, nobles et chevaliers, ont fait irruption dans la cathédrale. Reginald Fitzurse, Hugues de Morville, Guillaume de Tracy et Richard le Breton. Tous fidèles serviteurs de Sa Majesté. Henri les a-t-il envoyés ? Ou avaient-ils entendu les plaintes de leur roi à son égard ? Cela importe peu à présent.
- Te voilà donc, traître, déclare Fitzurse. Pensais-tu nous échapper en te déguisant en ermite ? Pour qui te prends-tu, à excommunier les serviteurs de notre roi ? Nous ne laisserons pas cet affront impuni !
- Me voici, répond Thomas, aussi paisiblement que s’il s’adressait à un vieil ami. Laissez partir les autres sains et saufs. Ils n’ont rien fait de mal.
Le sang-froid de l’archevêque fait monter la colère à la tête des chevaliers. Sans crier gare, Reginald Fitzurse dégaine son épée et le frappe à la tête. Thomas s’écroule sur le sol et telles des bêtes assoiffées de sang, les trois autres se jettent sur lui et le frappent encore et encore, sous les yeux horrifiés des prêtres et des diacres.
Mais alors que sa vie le quitte peu à peu, Thomas ne songe qu’à une chose.
- Suis-je parvenu à défendre ton Église, Seigneur ?
Thomas Becket est canonisé en un temps record moins de trois ans après sa mort, le 21 février 1173 par le pape Alexandre III et reconnu comme martyr par l'Église.
Outre son courage pour défendre les droits et les valeurs de l'Église de Dieu, les catholiques se souviennent de saint Thomas Becket pour son humilité et son service des plus pauvres.