En choisissant de se rendre en Irak du 5 au 8 mars prochain, le pape François vient au chevet d’une communauté chrétienne exsangue après deux décennies de souffrance. Mais c’est tout un pays que le pape veut encourager à la paix et la fraternité.Au fil des ans, l’idée d’un voyage du pape en Irak était devenue un serpent de mer. C’est dire si l’annonce officielle d’un tel périple – qui plus est en temps de pandémie mondiale – a suscité une grande allégresse en Irak. “Prophétique”. Telle fut la réaction du patriarche des chaldéens, Sa Béatitude Louis Raphaël Sako Ier. Il faut dire que jamais un successeur de Pierre n’avait foulé le sol irakien. Il y a vingt ans, le pape Jean Paul II avait souhaité débuter son pèlerinage jubilaire de l’an 2000 dans la région d’Ur, au sud de Bagdad, pour se recueillir sur les lieux où aurait vécu Abraham, le “Père des croyants”. Pour des raisons sécuritaires et politiques, son vœu n’avait pas pu se réaliser. Pour la petite histoire, deux prêtres français, le Père Dominique Lebrun – qui deviendra plus tard archevêque de Rouen-, et le Père Pascal Gollnisch – futur directeur de l’Œuvre d’Orient –, avaient symboliquement rapporté au pontife polonais un peu de terre d’Ur. “Il avait été touché”, se souvient aujourd’hui Mgr Gollnisch, heureux qu’un pape puisse enfin venir réconforter des communautés chrétiennes installées sur ces terres depuis les premières années du christianisme.
C’est d’ailleurs le premier enjeu de ce voyage : consoler une communauté chrétienne exsangue après deux décennies marquées par la peur, la violence et l’humiliation. L’archevêque syriaque catholique de Mossoul et Qaraqosh, Mgr Petros Mouché, perçoit ainsi cette visite comme une “bénédiction” accordée à “une communauté très blessée”. En 2014, à l’instar des 120.000 chrétiens de la plaine de Ninive, le prélat irakien avait dû fuir en catastrophe son évêché de Qaraqosh devant l’avancée des hommes de l’État islamique (EI). Entassés dans des camps de réfugiés au Kurdistan irakien, nombre de chrétiens avaient alors décidé de s’exiler pour toujours.
Le pape François veut montrer que le terrorisme n’a pas d’avenir.
Certes, la reconquête de la plaine de Ninive fin 2016 a amorcé un lent retour des chrétiens. La ville de Qaraqosh, qui comptait 50.000 âmes avant le passage de Daech, a vu la moitié de sa population revenir. Mais à Mossoul, seule une cinquantaine de familles s’est réinstallée, confie Faraj-Benoît Camurat, directeur de Fraternité en Irak. Dans cette ville, comme partout où l’EI est passé, les islamistes s’étaient obstinés à éradiquer les signes de la présence chrétienne, démolissant les croix, burinant les bas-reliefs ou bien même, dans certains cas, dynamitant l’édifice lui-même.
“Un passage du pape à Mossoul semblait absolument inenvisageable il y a encore peu”, souligne Antoine Fleyfel, spécialiste de la géopolitique des chrétiens d’Orient, rappelant que cette ville avait été choisie par l’EI pour être sa capitale en Irak. Par cette présence à l’endroit même où l’inhumanité a atteint son paroxysme, “le pape François veut montrer que le terrorisme n’a pas d’avenir”, se félicite le patriarche Sako, qui confie n’avoir jamais douté de la volonté du pontife de venir visiter le peuple irakien.
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Avec la consolation, le pontife argentin veut aussi adresser un encouragement aux chrétiens. “C’est un signe envoyé pour continuer de vivre en Irak”, confie en ce sens Abraham Lallo, ancien directeur-adjoint d’un camp de déplacés de chrétiens à Erbil. Car les chiffres de la présence chrétienne en Irak sont implacables : en vingt ans, cette population n’a cessé de décroître, passant de 1,5 million avant l’invasion américaine de 2003 à 150.000 aujourd’hui, selon certaines sources. Si l’Irak a retrouvé une relative stabilité après le désastre de l’Etat islamique, la situation du pays reste fragile. “Je ne sais pas si la venue du pape fera revenir les chrétiens partis”, souligne Mgr Mouché. “Il faudra attendre”, corrobore le cardinal Sako, qui estime que tout dépendra de l’attitude des musulmans. “Ils doivent accueillir leurs frères chrétiens qui ont beaucoup donné à l’Irak et aux autres pays du Moyen-Orient comme le Liban ou la Syrie. Il faut qu’ils comprennent que les menacer et les chasser est une grande perte pour tout le monde”.
C’est sans doute sur l’importance de la fraternité que le pape François insistera le plus durant son voyage. Dans le sillage de sa dernière encyclique Fratelli tutti, il devrait marteler que la paix n’est pas possible sans le respect dû à chaque communauté, à chaque personne. “Il fera entendre une voix prophétique. “Vous êtes frères et membres de la même famille ! Pourquoi vous déchirez-vous ? Aimez-vous les uns les autres !””, imagine déjà Sa Béatitude Sako. Comme l’indique Mgr Gollnisch, le voyage du pape ne viendra pas servir la seule cause des chrétiens d’Orient mais bien celle de tous les Irakiens, les chrétiens incarnant simplement leur vocation de “créateurs de ponts” et “d’artisans de paix”.
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Pour que cette fraternité soit concrète et pérenne, le pape devra par ailleurs insister sur la nécessaire reconnaissance par l’État irakien d’une citoyenneté effective et totale pour tous les Irakiens. Ce vœu, l’épiscopat irakien le porte depuis des années, dans la lignée de la diplomatie vaticane dans la région, analyse Antoine Fleyfel. “Cette diplomatie, explique-t-il, cherche à faire advenir le respect des Droits de l’Homme et la liberté de conscience. De la question de la citoyenneté dépend l’avenir des chrétiens au Moyen-Orient”. Pour le directeur du nouvel Institut chrétiens d’Orient, basé à Paris, cette citoyenneté représente aujourd’hui une sorte de “salut social”, un moyen d’exister.
Le voyage du pape François fera-t-il bouger les lignes en ce sens ? Il faudra du temps pour l’analyser. Mais déjà, l’annonce de la visite du pontife a produit une avancée symbolique : mi-décembre, le Parlement irakien établissait le jour de Noël comme une fête nationale.