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Dresser le bilan d’une année étonnante

Saint Marc apôtre

Saint Marc apôtre, représenté dans le baptistère de Padoue (Italie).

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Jean-François Thomas, sj - publié le 20/12/20
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Au moment de Noël, il est bon de secouer la poussière de l’an qui s’achève afin d’entamer une nouvelle étape sous le regard de Dieu. Mais comment dresser un bilan paisiblement, sans se complaire dans le sinistre ou l’autosatisfaction ?

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Non, il ne s’agit pas ici d’une chronique politique analysant les événements de l’année écoulée. Bilan est plutôt à entendre comme examen de conscience par chacun, comme nous avons tous l’habitude de le faire au moins lors de dates symboliques comme l’ouverture d’un nouvel an de grâces donné par Notre Seigneur. Avant d’ailleurs de nous plaindre et de gémir sur la dureté des temps, il est bon d’exprimer sa reconnaissance pour le temps qui nous a été donné, gratuitement, ces jours emplis de joies et de peines. Certes, un peu essoufflés, assommés, sonnés ou abattus au terme de ces mois bouleversés, nous pourrions reprendre à notre compte cette phrase de Léon Bloy dans son Journal, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne : « Je suis comme une vieille horloge pleine de poussière ». Au moment de Noël, il est bon de secouer cette poussière afin d’entamer une nouvelle étape sous le regard de Dieu.

Nous n’aimons pas ce qui dérange

Lorsque le terme de bilan est employé, il est souvent synonyme désormais de résultats catastrophiques ou, pour le moins, insatisfaisants. Ainsi du bilan scolaire des enfants qui n’ont guère de cœur à l’ouvrage, du bilan de santé qui laisse une épée de Damoclès au-dessus des têtes, et, bien entendu, du célèbre bilan économique de tous les gouvernements et chefs d’État qui se succèdent, creusant sans cesse davantage la dette, le chômage, la fermeture des industries et des commerces. Bref, il n’y a plus qu’à déposer le bilan devant un tel paysage guère enthousiasmant. Parfois cependant le bilan n’est pas écrasant, mais plutôt encourageant. Il retient alors moins l’attention et l’intérêt. Lorsque tout marche normalement, dans un pays ou dans une existence particulière, cet état des choses est pris comme argent comptant, presque comme un droit inaliénable. Or nous savons d’expérience que la grâce est fragile et que le bonheur d’un instant tarde à se reproduire, si fugace. Nous essayons de passer à travers les gouttes d’eau, sans trop nous poser de questions la plupart du temps car, sinon, tout devient si compliqué.

L’année qui vient de s’écouler fut particulièrement perturbante, non pas tant à cause d’un virus voyageur, que de la réaction des États, des institutions et des personnes en la présence de cet empêcheur de tourner en rond.

Il est peu probable que cette attitude soit la plus efficace pour faire face à la réalité. Nous n’aimons pas ce qui dérange nos habitudes. L’année qui vient de s’écouler fut particulièrement perturbante, non pas tant à cause d’un virus voyageur, que de la réaction des États, des institutions et des personnes en la présence de cet empêcheur de tourner en rond. Paul Claudel notait dans Contacts et circonstances : « L’exceptionnel dérange désagréablement nos habitudes et le centimètre intime qui sert à nos opinions quotidiennes ». Nos projets se retrouvent sens dessus dessous et ce chaos nous désarme, nous qui aimons tant planifier, prévoir, organiser.

La tendance contemporaine à se duper

Il est intéressant de constater que, plus que jamais, sévit ainsi dans notre monde la tendance contemporaine à se duper. Comme nous nous raccrochons normalement aux explications logiques et rationnelles, lorsque nous n’en trouvons pas de valables, nous faisons semblant et nous ne manquons pas alors d’arguments abscons et fumeux. La cacophonie française, depuis le début de l’année 2020, n’a jamais faibli et s’est amplifiée, chacun y allant de ses théories, de ses preuves irréfutables. Bossuet nous avait pourtant déjà prévenus à ce sujet dans son Histoire des variations des églises protestantes : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit ».


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En général, notre société n’en est plus à adresser des prières à un Dieu qu’elle ignore ou rejette, mais elle se perd dorénavant dans le cercle vicieux de sa propre raison devenue folle et sombrant dans l’illogisme, autre manière de mettre une distance infinie entre les causes et les effets. Erick Audouard, dans Comprendre l’Apocalypse, écrit justement : « Non contents d’avoir aboli la claire vision de notre origine et de notre fin communes, non contents de défier les lois les plus élémentaires du vivant, nous voici occupés à combler cet espace vide avec des alibis et des raisonnements fallacieux, pareils à des aveugles cavernicoles qui vivent ensemble dans les ténèbres pour se convaincre qu’ils n’ont pas perdu la vue ».

« Je vous l’avais bien dit »

En plus d’être dupes, et de se complaire dans cette situation car ainsi nous pensons éviter le choc frontal des problèmes, la seconde tendance consiste à se fondre dans la masse et à rejeter toute responsabilité sur un « autre » insaisissable, sur un « on » composant une masse molle à laquelle nous échapperions puisque nous pensons être « victimes » de tous les complots du monde. Nous nous considérons comme a priori blanchis de toute culpabilité lorsque quelque chose ne tourne pas dans le bon sens. Le roi David, grand pécheur mais toujours devant l’Éternel, implorait Dieu de ne pas permettre qu’il puisse se complaire dans les fausses excuses pour ses trahisons. Il savait combien la conscience peut déployer de ruses et de détours afin de se dédouaner sur d’autres ou sur Dieu Lui-même.

Personne n’est coupable devant le lourd bilan qui clôt chaque année, mais chacun se veut accusateur, moraliste et prophète.

La vérité ne doit plus être dite puisque la Vérité a été crucifiée et que son sort a été définitivement réglé il y a deux mille ans. Personne n’est coupable devant le lourd bilan qui clôt chaque année, mais chacun se veut accusateur, moraliste et prophète. « Je vous l’avais bien dit », n’hésitera pas à vous asséner un faux ami au spectacle de votre malheur, de votre échec. Les visionnaires catastrophiques ne manquent pas et ils ne nous aident pas à appréhender correctement la réalité. Dans le domaine apocalyptique, les paroles de Notre Seigneur sur le sujet se suffisent à elles-mêmes. Cultiver notre imagination et construire ses propres scénarios nous écartent d’un bilan objectif où notre propre responsabilité trouverait sa place. Georges Bernanos signale justement, dans ses Textes non rassemblés : « Le tort des Cassandres n’est pas de prévoir le pire — qui ne l’a prévu dans son cœur et même prévoit-on autre chose ? — c’est de souhaiter nous faire partager une tristesse pour nous incompréhensible puisqu’elle anticipe des maux que nous voulons croire inévitables et gâte ainsi par avance l’inavouable plaisir que nous prendrons à les déplorer ».

Méditer sans présomption

Au lieu de nous complaire dans le sinistre ou l’autosatisfaction, nous serions plus sages de nous poser, de regarder en arrière paisiblement, de reconnaître le bien et de demander pardon pour le mal, de nous préparer à l’avenir proche sans présomption et avec humilité. Ce n’est pas parce que nous claquons des dents qu’il neigera demain ; ce n’est pas non plus parce que nous serions remplis d’une joie artificielle que les lendemains chanteront. Aborder toute chose avec son intelligence ou avec sa sensibilité ne suffit pas. Il est nécessaire d’être dans une attitude méditative. Les comptes bancaires et les mesures d’hygiène ne suffisent pas à nous rendre heureux, sinon une grande partie du monde le serait depuis longtemps. Silence, patience, attente doivent inspirer nos actions et soutenir notre persévérance dans l’adversité.

Charles Baudelaire, torturé, écrivait à sa mère en 1853 : « J’ai une âme si singulière que je ne m’y reconnais pas moi-même ». Si nous arrivons à faire correspondre notre âme avec la saisie que nous en avons, alors nous serons sur la bonne voie, celle qui conduit à relativiser les malheurs du monde et à ne regarder que vers le ciel, car le salut ne vient pas des hommes mais de Dieu seul. Tout le reste est négligeable. Notre bilan ne doit pas être signé par des institutions humaines mais par une plume d’ange.


FIDELE EGLISE MASQUE
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