"La déclaration est tout à fait galante / Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante" (Molière, Tartuffe, acte III, scène 3). À Tartuffe, qui lui fait une des plus belles déclarations d’amour de la littérature française, Elmire marque ainsi son étonnement. Lui, le dévot sévère sur les mœurs des autres, devient séducteur enflammé d’une femme mariée, celle de l’homme, en outre, qui l’a généreusement accueilli chez lui. Le langage courant a transformé le nom propre en nom commun — antonomase, disent les amateurs de mots rares — et on dénonce volontiers "un Tartuffe" chez tout homme dont les actions ne sont pas à la hauteur des discours tenus.
Le discours des Bernardins
Une telle confrontation des paroles et des actes est particulièrement cruelle pour le Président de la République, pour qui relit deux ans et demi plus tard son discours aux collèges des Bernardins. Nous ne pouvons que recommander cette lecture aussi instructive qu’amusante, que nous suggère malicieusement le père dominicain Augustin Laffay. L’exorde est déjà très savoureux :
Voilà qui est fort bien dit ! À l’évidence, les évêques n’ont pas oublié cet appel, au point de rappeler au Président, par la bouche de Mgr Rougé, les conditions d’un "dialogue en vérité" : que la confiance en l’autre soit possible, que la parole soit tenue et que les mots engagent. Car Tartuffe, Beaumarchais l’a perçu dès 1792 dans La Mère coupable, n’est pas seulement un censeur catholique d’Ancien Régime. Il se décline très bien à la mode républicaine et n’est pas plus aimable que son pieux prédécesseur.
Union sacrée
Au-delà de l’importance du dialogue, dont les évêques ont désormais noté qu’il pouvait inclure le recours au Conseil d’État, le président des Bernardins rendait hommage à l’engagement républicain de bien des catholiques. Il avait même recours au lyrisme de la flamme, sans doute pour mieux unir les lecteurs de Victor Hugo et les adeptes de "Trouver dans ma vie ta présence", qui veulent "tenir une lampe allumée" : "Lorsque vient l’heure de la plus grande intensité, lorsque l’épreuve commande de rassembler toutes les ressources qu’on a en soi au service de la France, la part du citoyen et la part du catholique brûlent, chez le croyant véritable, d’une même flamme."
Union sacrée, donc, entre la flamme du soldat inconnu et le cierge pascal ! On pourrait croire que le rapprochement des deux flammes visait avant tout à dissoudre l’union au Christ dans la foi républicaine, mais le plus beau est que le Président déclarait savoir d’où venait la force des catholiques. Il désignait sans hésiter la source qui leur permit souvent de donner leur vie pour leur pays : "Si les catholiques ont voulu servir et grandir la France, s’ils ont accepté de mourir, ce n’est pas seulement au nom d’idéaux humanistes. Ce n’est pas au nom seulement d’une morale judéo-chrétienne sécularisée. C’est aussi parce qu’ils étaient portés par leur foi en Dieu et par leur pratique religieuse."
Admirable précision, cet hommage à la pratique religieuse, loin de tout spiritualisme diffus et de tout confinement de la foi dans la sphère privée. Réduire le nombre de ceux qui peuvent puiser leur force à la source eucharistique serait à l’évidence faire courir à notre pays un grand danger !
Trois dons à la République
Dans ce même discours aux Bernardins, Emmanuel Macron demanda aux catholiques de faire trois dons à la République : le don de leur sagesse, le don de leur engagement, le don de leur liberté. Résumé magistral, par anticipation, de l’action des catholiques, évêques compris, pour obtenir le retour de la messe. C’est faire preuve de sagesse de ne pas renoncer à la liberté de culte par excès d’hygiénisme sanitaire. C’est témoigner d’un bel esprit d’engagement de se réunir pour prier sur les parvis des églises. C’est porter haut la liberté, enfin, de ne pas se soumettre docilement à un gouvernement abusant de son pouvoir. À l’évidence, les catholiques ont appliqué à merveille le programme que leur traçait leur Président, y compris quand obéir à ses discours supposait de désobéir à ses décrets. Ils sont allés "au bout de leur vocation". La République leur doit une fois de plus reconnaissance.
Il reste désormais à Emmanuel Macron à appliquer la partie du programme qu’il s’est lui-même fixé et à ne pas "manquer à son devoir". C’est à son tour de réparer le lien abîmé entre l’Église et l’État dont il déplorait les méfaits. Pour que la part du catholique et la part du citoyen brûlent d’une même flamme, le Président a tout intérêt à ne pas cracher sur la lumière de Noël après avoir interdit le feu de Pâques.
Pour en savoir plus : Manger Dieu, pour une eucharistie de première nécessité, par Henri Quantin, Éditions Le Livre ouvert, décembre 2020, 180 pages, 14 euros.