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Haut-Karabakh : le patrimoine chrétien en péril

Dadivank

Le monastère de Dadivank est perché à 1100 mètres d'altitude, au cœur de la forêt du Haut-Karabakh.

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Jean-Baptiste Noé - published on 27/11/20
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Effacer les traces du christianisme arménien du Haut-Karabakh est une façon réécrire l’histoire pour justifier des prétentions politiques de l’Azerbaïdjan.Le cessez-le-feu conclu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sous l’égide de la Russie est loin de régler les problèmes de la région. Le patrimoine religieux et civil devient un terrain d’affrontement car signe de la longue présence culturelle arménienne et chrétienne. La tentation est forte d’effacer les traces de cette présence afin de réécrire le passé pour mieux contrôler le futur.

La conservation et l’entretien du patrimoine historique relèvent d’enjeux politiques. L’histoire est remplie d’exemples où l’archéologie quitte la sphère strictement scientifique pour entrer dans le domaine de la politique. Il en va ainsi en Artsakh (ou Haut Karabagh) où le patrimoine arménien se retrouve au cœur de tensions avec le nouvel occupant du territoire. La question de la présence des traces historiques de l’Albanie caucasienne et de l’effacement de la présence chrétienne à travers la disparition des signes religieux et patrimoniaux est à cet égard un des enjeux de la paix à venir. Est ainsi développée l’idée que le peuple azéri turcophone et chiite descendrait directement de l’antique royaume albanais du Caucase et que l’ensemble des monuments chrétiens situés sur le territoire de la République autoproclamée de l’Artsakh seraient albanais.

Les traces d’un royaume antique

L’Albanie caucasienne est le nom de l’ancienne région nommée ainsi à l’époque antique en raison de la blancheur de ses cimes enneigées (albis signifiant blanc). Elle n’a rien à voir avec l’Albanie des Balkans. L’Albanie caucasienne est un ancien royaume chrétien dont le territoire recoupait une partie de celui de l’Arménie, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan, en particulier sur les plaines de la rive gauche du fleuve Kour et le long du littoral du Daghestan du sud. Sa population avait des origines hétérogènes et parlait une variété de langues, caucasiques du nord-est et iraniennes pour la plupart.


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L’histoire de l’Arménie et de l’Albanie caucasienne est étroitement liée depuis la christianisation des deux pays survenus au début du IVe siècle et l’invention de leurs écritures au début du Ve siècle par le savant arménien Mesrop Machtots. Néanmoins, et contrairement à l’Arménie montagneuse, l’Albanie du Caucase qui s’étendait sur des plaines à l’est de l’Artsakh fut largement islamisée par les Arabes au VIIIe siècle. Par la suite, la langue albanienne s’est graduellement évanouie, alors que l’arménien devenait la langue dominante pour tous les chrétiens qui restaient encore sur l’ancien territoire de l’Albanie, qu’ils soient d’origine arménienne, albanienne ou d’autres populations d’origines caucasiques et iraniennes. Quand vers la fin du Xe siècle les premières tribus turcomanes et turques commencèrent à pénétrer dans le Caucase du sud, elles n’y rencontrèrent, selon toute vraisemblance, plus d’habitants qui parlaient encore l’albanien. Les échanges entre Turcs et Arméniens furent, en revanche, intenses, comme en témoignent les emprunts arméniens dans l’azerbaïdjanais et dans le turc.

Une guérilla archéologique

La théorie selon laquelle le peuple de l’Azerbaïdjan tirerait ses origines des Albaniens du Caucase fut élaborée à l’époque soviétique, dans un contexte social et culturel qui lui était propre. Alors qu’il était interdit aux nations qui composaient l’Union soviétique de donner une dimension politique à leurs identités, ces nations pouvaient, sous certaines conditions, explorer leur passé, en particulier l’archéologie, l’architecture, les langues et le folklore. Parfois, les peuples soviétiques étaient même encouragés à redécouvrir le passé de leurs Républiques respectives. Leur passé devait néanmoins être bien distinct : il y existait donc une archéologie arménienne, une archéologie géorgienne, une archéologie azerbaïdjanaise, une archéologie turkmène… Alors que les historiographies d’Arménie et de Géorgie rivalisaient entre elles, confrontant des récits concurrents allant jusqu’à l’Antiquité et au début du premier millénaire avant notre ère, l’Azerbaïdjan turcophone, entité politique récente, essaya d’élaborer une historiographie fondée sur le postulat qu’elle descendait directement de l’antique Albanie caucasienne. L’enjeu était ici politique : il s’agissait de créer une histoire qui débutait avant le Xe siècle et l’arrivée des populations turcophones afin de pouvoir bénéficier d’une profondeur historique au moins aussi grande que les Géorgiens et les Arméniens. Se définir et se voir comme les héritiers du royaume de l’Albanie du Caucase était une façon de justifier une existence politique. L’archéologie était mise au service d’une cause qui n’avait plus rien à voir avec la science.

Effacer les traces de l’histoire, les inscriptions, les croix, les stèles gravées en arménien, c’est une façon d’effacer la présence chrétienne…

Mais les églises les plus anciennes que l’on peut trouver en Artsakh portent des inscriptions et des symboles arméniens puisque la région fut christianisée au moins quatre siècles avant l’arrivée de l’islam. Il y a également les textes et les chroniques pour lesquels nous disposons de copies, dont l’histoire de l’Albanie chrétienne nous est connue presque exclusivement à travers des sources écrites arméniennes, et tout spécialement par l’Histoire des Albaniens composée en arménien à la fin du Xe siècle par Movsês Kałankatuatsi. L’héritage et l’existence du royaume chrétien de l’Albanie caucasienne est devenu un combat politique entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Effacer les traces de l’histoire, les inscriptions, les croix, les stèles gravées en arménien, c’est une façon d’effacer la présence chrétienne et, par cette réécriture d’un passé très lointain, justifier des prétentions politiques aujourd’hui.

Une mission de l’Unesco pour assurer la protection des œuvres

La communauté internationale craint pour la survie d’un patrimoine religieux et civil riche et ancien. Les monastères, les églises antiques, les cimetières, dont plusieurs sont classés au patrimoine de l’Unesco, pourraient être détruits, effacés ou réaménagés. La récente transformation de la cathédrale Sainte-Sophie en mosquée laisse craindre que des projets similaires soient conduits dans la région. Il y a une quinzaine d’années, les pierres tombales du cimetière arménien de Bakou furent utilisées pour la construction d’une autoroute. Différentes personnalités azerbaïdjanaises se sont répandues dans les médias pour dire qu’elles voulaient « vérifier » l’authenticité historique des monuments arméniens. Il est à craindre que cette « vérification » aboutisse à une destruction ou un effacement afin de gommer le passé.

L’Unesco a annoncé son souhait d’envoyer une mission d’experts dans la région afin de réaliser un inventaire des biens culturels et religieux pour assurer leur protection. La directrice générale de l’organisation, Audrey Azoulay, a évoqué le rôle de la mission dans un communiqué : « Dresser un inventaire préliminaire des biens culturels les plus significatifs [afin d’assurer] une protection effective du patrimoine de la région. » La question du patrimoine est extrêmement sensible, car elle est liée à celle de l’identité dont chaque nation essaye de se rattacher et tente de construire autour du royaume de l’Albanie caucasienne. La France s’est dite favorable à l’ouverture de cette mission, tout comme les États-Unis et la Russie. Reste à la mettre en place de façon rapide afin d’éviter des destructions qui pourraient être irréparables. On peut espérer aussi — est-ce un vœu pieu ? — que le patrimoine historique puisse servir de dénominateur commun et être préservé pour créer un terrain d’entente et in fine une paix dans la région. Nous en sommes pour l’instant très loin et l’urgence est à la préservation de ces chefs-d’œuvre en péril.



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