Vous osez refuser la sacralisation de la science et de la technique ? Vous êtes un « scientophobe ».
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Clémentine Autain est inquiète. Aussi inquiète, sans doute, que lors de l’élection de Benoît XVI qui lui avait inspiré une plainte douloureuse : « Ce pape ne passe pas. » On s’en doute, pour la députée La France Insoumise, Josef Ratzinger était un anachronisme vivant, un contresens dans une civilisation de Progrès, un crime de lèse-modernité.
La chasse aux phobes
La nouvelle inquiétude de Clée Autain est un peu du même ordre. Elle vise le développement d’« une forme de scientophobie ». Elle l’a déclaré au « Talk » du Figaro le 19 novembre à propos des vaccins et elle dénonce plus généralement des « temps de scientophobie et de complotisme ». La coordination, on s’en doute, vaut condamnation sans examen, tant le complotisme est le nouveau mot fourre-tout qui discrédite sans effort. Il permet d’unir sous un même anathème celui qui croit que Michael Jackson, Elvis Presley et Hitler — qui aurait tout de même 131 ans — ne sont pas morts, et ceux qui envisagent que, parfois, un grand laboratoire pharmaceutique puisse cacher une ou deux informations gênantes sur le contenu d’un médicament. Jumelle du complotisme, « la scientophobie » menace le monde. Peut-être y a-t-il même une église de scientophobie comme il y a une église de scientologie.
Avouons une difficulté à prendre au sérieux une menace finissant par « phobe », ce suffixe dont Philippe Muray voyait déjà les progrès rapides en 1999 : « S’il y a une chose qui marche très fort, en ce moment, et qui marchera de plus en plus, au fur et à mesure que l’espèce humaine exigera davantage d’être aimée sans condition, dans toutes ses “différences” devenues de mini-impérialismes, dans ses plus petites particularités et ses moindres caprices, c’est la chasse aux phobes. » Il va de soi, explique Muray, qu’une phobie étant une maladie mentale, il est hors de question de discuter avec un « phobe » quel qu’il soit. On ne débat pas avec un aliéné, dont les arguments ne sauraient être rationnels. La seule solution est toujours de l’interner, de le mettre dans « la cage aux phobes ».
Tous les coups sont permis
Qui sont ces « scientophobes » ? A priori, ce sont donc ceux qui n’acclament pas par des battements de mains et des cris de joie l’annonce de l’arrivée d’un possible vaccin. Mais, plus généralement, ce sont tous ceux, suggère Clémentine Autain, qui ne mettent pas leur foi dans la science : « Et moi, peut-être en héritière de l’esprit des Lumières, en tout cas je crois au progrès scientifique. » Muray, lui, jugeait que l’ère du « phobisme infamant » était justement le contraire de « l’esprit des Lumières », mais il faut croire que, contre les ennemis supposés de la science, tous les coups sont permis. Voltaire lui-même s’aveugla parfois, à force de voir partout un complot des curés. Complotisme ?
Une partie de la gauche ouvre enfin les yeux sur sa mythologie du Progrès, qui faisait dire à Woody Allen : « Nous sentant orphelins de Dieu, nous n’avons rien trouvé de mieux que de diviniser la technologie. »
Pour Clémentine Autain, donc, la science vient des Lumières, aussi sûrement que la lumière vient des sciences. Une partie de sa famille politique, pourtant, perçoit enfin la part d’ombre des Lumières, auxquelles le progrès scientifique a servi régulièrement d’alibi pour la domination brutale de la nature et la soumission des populations, sous couvert de leur apporter la civilisation. Autrement dit, une partie de la gauche ouvre enfin les yeux sur sa mythologie du Progrès, qui faisait dire à Woody Allen : « Nous sentant orphelins de Dieu, nous n’avons rien trouvé de mieux que de diviniser la technologie. » La Science prend alors un grand S, le Progrès un grand P, comme l’Histoire avec un grand H, que Georges Pérec rebaptisa ironiquement « avec une grande hache » pour en évoquer les horreurs.
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La religion du progrès scientifique
Un bon nombre de ceux que Clémentin Autain appelle « scientophobes » ne disent au fond qu’une chose : confondre le progrès scientifique avec le progrès de l’humanité est non seulement naïf, mais mortifère. C’était naïf au XVIIIe siècle et Voltaire finit par comprendre, tout en ricanant de Rousseau, qu’il y a des « coquins raffinés », pourtant plus développés techniquement que les « gens de bien grossiers ». C’était inepte au XIXe siècle dans la bouche de scientistes disant avec Renan : « Moi qui suis cultivé, je ne sens pas de mal en moi » et persuadés que la locomotive mettrait fin à la violence des hommes. Max Jacob fit un premier bilan parfait de cette religion du progrès scientifique à l’approche de la Première Guerre mondiale, en cette époque où « les médecins étaient honorés comme des dieux » : « Les sciences ont eu longtemps l’empire de la terre. Leur empire n’est plus ; voici venir la guerre. » La divinisation de la science renaît hélas facilement de ses cendres, même de celles d’Hiroshima.
En ajoutant les « scientophobes » à la « cage aux phobes » déjà surpeuplée d’islamophobes, de technophobes et d’homophobes, Clémentine Autain tend avant tout à interdire la lucidité de ceux qui refusent toutes les idolâtries
Parole de rabat-joie crachant dans la soupe de l’anesthésie générale et des prouesses chirurgicales ? Non. Souvent, les supposés scientophobes sont seulement des hommes qui ne renoncent pas, face à la science, aux exigences de la conscience. Rien ne vaut à ce sujet la mise au point de Jacques Ellul, dans Les Nouveaux Possédés, écrit en 1973 : « Ce n’est pas la technique qui nous asservit mais le sacré transféré à la technique, qui nous empêche d’avoir une fonction critique et de la faire servir au développement humain. » Autrement dit, si le progrès médical me permet d’avoir moins mal quand on m’arrache une dent, je ne dis pas non. S’il exige que j’attende le bonheur de mon dentiste, il me trouvera plus méfiant.
Sacraliser la technique
Or il n’y pas de plus sûre manière de sacraliser la technique que d’en faire une émanation de « l’esprit des Lumières » — singe de l’Esprit saint — et d’appeler à « croire », dans l’absolu, au « progrès scientifique ». Le premier pas salutaire vers une désacralisation serait au moins de se demander selon quels critères on peut parler de « progrès » et au regard de quel objectif visé. Dans son pertinent essai Une question de taille, Olivier Rey pose lucidement la question à propos des transports. Nul ne niera que, scientifiquement, le passage du vélo à la voiture soit un progrès : l’invention du moteur à quatre temps est à l’évidence une prouesse technique plus grande que la mise au point du dérailleur. Progrès pour l’humanité ? Cela va moins de soi. Si le critère d’évaluation est, pour l’homme, la réduction du temps passé dans les transports pour aller travailler, le familier du périphérique parisien a quelques raisons de considérer qu’il y a régression, par rapport à la bicyclette de l’ouvrier des années cinquante.
En ajoutant les « scientophobes » à la « cage aux phobes » déjà surpeuplée d’islamophobes, de technophobes et d’homophobes, Clémentine Autain tend avant tout à interdire la lucidité de ceux qui refusent toutes les idolâtries. Comme le déclarait le professeur Jacques Testard, père du premier bébé-éprouvette prenant finalement conscience de l’eugénisme en marche : « C’est toute une mythologie du progrès, souvent renforcée par le conformisme du bien penser, qu’il faudrait ruiner. » S’il s’agit, à toute époque, de lutter contre les mythologies dangereuses et les idolâtries meurtrières, il est bon que le temps de la conscience ne soit jamais du passé. C’est aussi, entre autres vérités précieuses, ce que rappellent les papes qui ne passent pas.
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